Mais Imperial Oil a des réserves pour 100 ans

L’époque du carburant bon marché est révolue

*Le pétrole est une ressource naturelle qui appartient en principe au peuple et qui aurait pu être au fondement de l’élimination de la pauvreté sur terre et servir de base au développement d’autres sources d’énergie non polluantes ; au lieu de cela, il est un instrument de concentration de la richesse et une source de bains de sang.

La flambée des prix du pétrole n’est qu’une manifestation parmi d’autres du contrôle progressif de l’économie mondiale par les multinationales. La leçon des derniers débats sur le prix du pétrole, c’est celle de l’abdication de la raison en faveur de la mystique du marché cultivée par les abuseurs.

D’abord il faut voir comment le pétrole écrit l’histoire et l’avenir du monde. Les Américains avaient eu accès au pétrole iranien en imposant un régime monarchique (le Shah) qui fut délogé par un mouvement populaire. L’affaire de l’Iran n’allait pas se produire en Irak. Les multinationales américaines seraient imposées par les tanks.

« Dans la planification de son budget 2004, l’administration nommée par les Américains en Irak signale son intention d’ouvrir l’économie largement nationalisée du pays aux investisseurs privés, alléguant que les entreprises nationalisées s’étaient révélées des échecs dans le monde entier. La vente d’actifs appartenant à un État par une puissance d’occupation viole la Convention sur les lois de la guerre signée à La Haye en 1907 (Linda Mc Quaig, La ruée vers l’or noir, Stanké, 2005). »

C’est la façon américaine de propager la démocratie occidentale, en imposant le capitalisme sauvage comme rapport au monde. Dès les années 90, la droite américaine exigeait une intervention militaire contre l’Irak. En Azerbaïdjan plein de pétrole, le président est élu par fraudes électorales massives, mais les contrats pétroliers avec Exxon, Chevron Texaco, BP Amaco sont signés, pas de tank pour imposer la démocratie occidentale pour l’instant…

En Afrique, on en est encore au stade du contrat, mais la Force de déploiement rapide n’est pas loin, car la Chine frappe à la porte en n’hésitant pas à verser dans le capitalisme sauvage au mépris des droits les plus élémentaires. Aussi dans la mire, le Venezuela et Chavez qui utilisent les revenus du pétrole pour promouvoir en Amérique latine un modèle autre que le néolibéralisme américain qui traduit l’urgence d’une minorité de s’enrichir. La CIA et même l’évangéliste Robertson pro-Bush ont déjà exhorté à l’assassinat de Chavez.

Au Canada, la conquête américaine se fait en douce ; l’Impériale Esso est détenue à 85,4 % par des investisseurs étrangers dont 69,6 % par l’américaine Exxon-Mobil. Elle a fait 12,1 milliards $ de profits en 15 ans, mais elle a déboursé 12,5 $ en dividendes et rachat d’actions.

L’argent qui pourrait aller dans le transport en commun, dans l’éolien, dans l’électricité plus développée se retrouve en bonne partie dans les poches d’actionnaires américains ou dans celles de milliardaires qui se paient des répliques des grands châteaux français.

Ici les multinationales n’ont même pas eu à se payer une petite campagne de relations publiques pour faire avaler la pilule : Charest, Lapierre, Audet, Stéphane Dion et leurs clones s’en sont chargés en nous conviant à une imbécile soumission : « Les consommateurs devront s’y résoudre bon gré mal gré, l’époque du carburant bon marché est révolue … »

Révolue pourquoi ? Pour faire passer le rendement des pétrolières de 30 % à 50 % ? Forts avec les faibles et faibles avec les forts comme dans le cas des paradis fiscaux, nos politiciens sont prêts à se lever la nuit pour voter une loi spéciale faisant rentrer des travailleurs qui veulent préserver leur pouvoir d’achat, mais restent complètement passifs devant les pétrolières. En France, la menace d’une taxe spéciale sur les profits d’oligopoleurs a fait reculer Total et BP.

La stratégie des pétrolières est d’accumuler des réserves colossales de brut sans augmenter leur capacité de raffinage. En réduisant en chœur artificiellement l’offre de produits raffinés, elles font exploser les prix et se paient des champs pétroliers avec les milliards $ ainsi engrangés.

Elles menacent de poursuites les syndicats qui parlent de manipulation des prix. Pourtant, elles l’avouaient elles-mêmes le 13 septembre à Toronto : l’Impérial Oil parlait de ses réserves confirmées couvrant 15 ans de production et de ses réserves à confirmer couvrant 100 ans aux conditions actuelles. Les pétrolières « canadiennes… » déclaraient investir dans leurs gisements en brut (sables bitumineux, plate-formes côtières) et refuser d’investir dans le raffinage afin de faire monter les prix en restreignant l’offre. En monopolisant de plus en plus le brut, elles empêchent l’entrée de compétiteurs qui pourraient en disposer pour le raffiner.

Mike Harris qui n’est pas spécialement de gauche s’en plaignait et Bush lui-même mentionnait en avril qu’aucune raffinerie n’avait été construite aux États-Unis depuis 1976 malgré une hausse flagrante de la demande américaine et mondiale. Cette abstraction, cette fabrication de l’esprit qu’est le libre marché postule que les « offreurs » attirés par la bonne affaire peuvent entrer librement et que les demandeurs sont en mesure de magasiner un meilleur prix alors que les « oligopoleurs » pétroliers s’entendent pour ne pas augmenter l’offre de produits raffinés. Même le Sénat américain dénonce : « Les vendeurs agiront dans leur propre intérêt pour contrôler l’offre de façon à maximiser leurs profits ; cela veut dire que dans des marchés concentrés, les producteurs tenteront de maintenir un équilibre serré entre l’offre et la demande. C’est de plus en plus la situation de l’industrie pétrolière d’aujourd’hui. »

Même l’OPEP avoue son impuissance : voulant augmenter son offre de brut de deux millions de barils par jour pour calmer la flambée des prix affirmait que cela aura un effet limité, car « les prix étaient tirés vers le haut par l’engorgement des capacités de raffinage plutôt que par la demande. » Conclusion inévitable : les pétrolières manipulent les prix via l’offre et c’est pour cela qu’elles menacent.

On ne peut pas mépriser les abusés, le monde ordinaire, l’échangiste captif. Par exemple ce mépris exprimé devant l’échec de l’appel à « gazer » à coup de cinq cents dans le but d’engorger les stations.

Mais il ne faut pas pactiser avec ceux qui se rangent du côté des abuseurs et qui en profitent. Ceux qui cachent les jeux de pouvoir, qui entretiennent le peuple dans une position humiliante, dans un stade magico-infantile en se servant de leur position pour inculquer leur prêt-à-porter idéologique, la croyance métaphysique en un ordre spontané du marché fondé sur la cupidité personnelle qui dispense de réfléchir, de partager, ceux qui ânonnent dans un délire idéologique que l’intervention de l’État, la réglementation est automatiquement catastrophique.

On fait des reproches injustifiés aux « baby boomers » relativement à la dette publique alors que des infrastructures à long terme correspondent à ces dettes. Mais un reproche est justifié au nom de la justice intergénérationnelle : une grande partie des profits pétroliers devraient aller à l’élaboration de nouvelles ressources énergétiques ! En laissant ceux-ci fuir par dizaines de milliards dans les coffres des pétrolières privées, souvent étrangères par surcroît, qui ne font rien pour développer des sources alternatives, nous assistons passivement à ce vol des générations futures par manque d’autodéfense politique et intellectuelle.

*Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM