Plus les villes sont violentes, moins la réponse est adéquate

Du syndrome de Medellin à celui de Johannesburg

Affronter sans violence les violences urbaines est un enjeu majeur pour les habitants des villes du XXIe siècle, mais plus les villes deviennent violentes et moins les instruments conçus pour faire face à cette dynamique négative semblent adéquats. Actuellement, la tendance générale est de régler le problème en rendant quelques gens « violents » responsables d’une évidente défaite globale du lien social.

Les solutions trouvées jusqu’à présent sont fausses parce qu’elles ont été préparées sans que les principales victimes de la violence – les habitants des quartiers populaires – aient été associés à ce chantier primordial. Cercle vicieux, spirale de la violence. À l’évidence, on est dans l’impasse.

Le désarroi a même mené nombre d’habitants à prendre en charge eux-mêmes leur sécurité, au risque de plonger la communauté dans une « guerre civile » de pauvres, escadrons contre paramilitaires, qui les mènera progressivement à l’autodestruction. Syndrome de Medellin. Partout dans le monde, les tentatives pour penser la violence urbaine comme le feraient de bons policiers ont échoué et abouti à encore plus de violence et de victimes, chez les gendarmes comme chez les voleurs. Syndrome de Johannesburg.

Il est donc urgent de promouvoir une nouvelle compréhension de la violence. Il faut agir autrement, radicalement, en renversant la perspective habituelle qui est celle du pouvoir, et repartir de ses antipodes : les quartiers pauvres victimes de la violence. La lutte alternative et non policière contre la violence urbaine passe par une compréhension renouvelée du phénomène, en vue d’une promotion ultérieure des actions intégrées dans les quartiers populaires, les plus gravement affectés par cette violence.

Une ville habitable ne peut naître que si le ciment social prend. La clé du mystère est de savoir avec qui le produire. En 1954, Guy Debord rappelait « que la vie passe, et que nous n’attendons pas de compensations, hors celles que nous devons inventer et bâtir nous-mêmes ». Voilà bien un fait déterminant : ce n’est pas en négociant de quelque manière que ce soit avec ceux qui les oppriment que les opprimés parviendront à défaire cette oppression. Au contraire, ils ne feront que renforcer les règles du jeu telles qu’elles leur sont imposées, favorisant la disparition de toute forme d’activité critique au profit du dogmatique et de la domination.

Si nous prônons la participation, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant : il nous faut encore créer les conditions de l’auto-organisation de la participation populaire. Sans cela, il ne s’agira que d’ouvrir un nouvel étalage à la foire aux mensonges. [...]

Le terrorisme ne doit pas occulter la situation quotidienne de tous ceux qui, depuis leur naissance, sont terrorisés par la pauvreté, la faim, l’errance, le racisme, le chômage, la répression politique ou policière, la gestion inégalitaire de l’eau, l’absence ou la privatisation de services publics, l’accès impossible à l’éducation, le travail des enfants, le fanatisme religieux, le machisme, les trafiquants de drogue, la corruption des fonctionnaires publics, les abus de toutes sortes sur toutes sortes de gens…

Il faut absolument empêcher que la violence de la réponse occidentale à la violence sans égale – pas forcément de plus grande ampleur – du terrorisme (islamiste ?) parvienne à nous interdire de penser les autres violences, banalisées par la chute du World Trade Center.

La violence des villes, Yves Peddrazzini, Enjeux Planète, Paris, 2005