38 000 enseignants optent pour la désobéissance civile

La cour interdit les allocations de subsistance aux grévistes

Le 23 octobre, les enseignants de la Colombie-Britannique votaient à 77 % pour un retour en classe, après 16 jours de grève illégale. Deux semaines de « désobéissance civile » au cours desquelles la Cour suprême de la province a interdit au syndicat de verser la moindre allocation de grève à ses membres.

Dans une décision d’une dureté sans précédent, la juge Brenda Brown a en effet ordonné le gel des actifs de la Fédération des enseignants de Colombie-Britannique (BCTF) pour l’empêcher de distribuer des allocations de subsistance aux grévistes. « Il s’agit d’un très malheureux précédent pour l’ensemble du Canada », déplore la vice-présidente du syndicat, Susan Lambert, en entrevue à l’aut’journal.

Le jugement visait à punir la BCTF pour le débrayage des 38 000 enseignants du réseau scolaire public, illégal selon les lois de la province. Les dispositions sur les services essentiels sont particulièrement larges en Colombie-Britannique et rendent pratiquement impossible une grève légale des enseignants.

Ceux-ci ont choisi de braver l’interdiction après que le gouvernement libéral de Gordon Campbell leur ait imposé une nouvelle convention collective – la deuxième depuis 2002– par une loi spéciale, plutôt que de négocier un règlement. Le contrat de travail imposait un gel des salaires de trois ans et ne faisait même pas mention des revendications du personnel quant à la grosseur des classes et leur composition. « Nous ne pouvions pas rester les bras croisés devant une loi qui visait à nous briser », explique Susan Lambert.

Dans une tentative pour diminuer le soutien du public aux grévistes, le premier ministre Campbell a essayé de les dépeindre comme de dangereux délinquants et il a affirmé que son gouvernement ne négocierait pas avec des gens qui ne respectent pas la loi. Son stratagème s’est toutefois retourné contre lui quand des photos prises par la police lors de son arrestation sont apparues sur les lignes de piquetage, reproduites à des dizaines d’exemplaires. Gordon Campbell a été accusé de conduite en état d’ébriété lors d’un voyage à l’étranger, en 2003.

Pour Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), les attaques contre les enseignants de Colombie-Britannique illustrent bien le contexte général des négociations du secteur public au Canada. « Les tendances lourdes dans le monde du travail, sont réduire de plus en plus le droit de négocier et rendre la vie syndicale difficile. Et on joue beaucoup sur le facteur économique pour écraser les syndicats, remarque-t-il. Comme à Montréal, où nos collègues membres de l’Alliance des professeurs ont vécu un recours collectif. »

Il ajoute qu’il faut faire attention aux termes utilisés pour décrire cette grève. « Je suis toujours prudent quand on parle de grève illégale. Disons que c’est une grève qui ne respecte pas les dispositions du Code du travail de la province. »

La CSQ a offert un soutien monétaire à la BCTF et lancé une campagne de collecte de fonds parmi ses membres pour aider leurs vis-à-vis de l’Ouest canadien. « Nos relations sont assez sympathiques avec eux, nottamment parce que le niveau de combativité est semblable », affirme Réjean Parent.

Les grévistes ont aussi bénéficié du soutien de l’ensemble du mouvement syndical en Colombie-Britannique, où des dizaines de milliers de membres du Syndicat canadien de la fonction publique ont débrayé pour une journée d’appui. Après le gel du fonds de grève, des sympathisants venaient même offrir des dons aux grévistes sur les lignes de piquetage.

Cette solidarité a joué même lorsque le gouvernement a menacé les enseignants de poursuites criminelles. L’association professionnelle qui représente les procureurs de la couronne a émis un communiqué pour avertir que ses membres seraient en conflit d’intérêt et pourraient difficilement poursuivre les grévistes, puisqu’ils avaient eux-mêmes goûté à la médecine anti-syndicale du gouvernement Campbell. En février dernier, les juristes se sont vus imposer un contrat de travail de trois ans par une loi spéciale, sans négociation. L’association précisait que le jugement de ses membres pourrait être biaisé « en raison des parallèles frappant » entre les deux situations.

Depuis le début du conflit, la présidente de la BCTF avait dit savoir dans quoi elle s’embarquait et se disait prête à aller en prison s’il le fallait. Mais les poursuites au criminel n’ont jamais eu lieu et le gouvernement a fini par reculer légèrement. S’il refusait toujours de négocier avec les enseignants en débrayage illégal, il a tout de même nommé un intermédiaire pour le faire à sa place.

« Nous croyons avoir fait des gains significatifs au cours de ces deux semaines de désobéissance civile, explique Susan Lambert. Quand nous nous sommes lancés là-dedans, nous savions qu’il faudrait éventuellement négocier un retour au travail. Mais nous avons réussi à sensibiliser toute la province au problème de la taille et de la composition des classes dans les écoles. »

« Au départ, à la table de négociations, le gouvernement avait un cadre rigide, une position selon laquelle toute amélioration des conditions des enseignants devrait être compensée par une concession équivalente ailleurs. Nous avons réussi à briser ce mandat », ajoute fièrement la vice-présidente.

Selon elle, même si toutes les demandes des enseignants n’ont pas été exaucées, la grève a prouvé qu’il était possible de résister aux politiques anti-syndicales comme celles qui sont mises de l’avant par les libéraux de Colombie-Britannique. « Avec ce conflit, nous avons développé toute une génération de jeunes militants qui savent maintenant qu’en nous tenant debout, nous pouvons changer les choses. »