Washington plante sa botte dans le Mercosur

Le sénat paraguayen vote l’arrivée des troupes américaines

Le 1er juillet, 500 militaires états-uniens débarquent au Paraguay avec avions, armes et munitions pour s’installer dans l’ex-base aérienne de Mariscal Estigarribia. Construite dans les années 1980 par des techniciens états-uniens à la demande du dictateur Alfredo Stroessner, la base est parfaitement équipée pour loger et entraîner jusqu’à 16 000 soldats.

Depuis les attentats du 11 septembre, les officiels de Washington ne cessaient d’invoquer une menace terroriste dans la région dite des « trois frontières », là où se rencontrent le Brésil, l’Argentine et le Paraguay.

Ils prétendaient (sans la moindre preuve) que le Hamas et le Hezbollah reçoivent beaucoup de dons en provenance de cette région. En mars 2005, William Pope, coordonnateur des opérations antiterroristes du Département d’État, affirmait sans rire que le cerveau du 11 septembre, Khalid Sheik Mohammed, avait séjourné plusieurs semaines au Paraguay…en 1995!

Mais la vérité est que l’aquifère Guarani, l’une des plus grandes réserves d’eau douce de la terre, se trouve dans cette région des trois frontières. De plus, la future base états-unienne est à 200 kilomètres de la Bolivie (et de ses très importantes réserves gazières) dont les élections du 4 décembre prochain pourraient bien porter au pouvoir Evo Morales et son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS).

Le 26 mai 2005, dans l’ignorance la plus totale de la population, le Sénat paraguayen votait non seulement l’arrivée de troupes états-uniennes sur son territoire mais aussi leur immunité contre toute juridiction nationale et internationale jusqu’en décembre 2006. L’immunité est automatiquement prorogeable et survient après une année de pressions états-uniennes dont, entre autres, la menace de retenir une partie de l’aide économique.

Le journaliste Raul Zibechi fait remonter la décision états-unienne « d’enrôler » le Paraguay à après le sommet de Guayana (Venezuela), qui réunissait les présidents du Brésil, de la Colombie, de l’Espagne et du Venezuela.

En plus d’un accord militaire par lequel l’Espagne vendait pour 1,3 milliards de dollars d’équipement au Venezuela (avions et vedettes côtières), la déclaration finale du sommet appuyait la Communauté sud-américaine des nations (union du Mercosur et de la Communauté andine) et les initiatives pétrolières chavistes, Petroamerica et Petrosur, qui visaient l’intégration énergétique de la région.

Le plus inquiétant, dans l’implantation probablement définitive de cette nouvelle base US (opération clandestine en pleine démocratie !), est qu’elle arrive en plein centre géographique du Mercosur et est marquée par la passivité des gouvernements brésiliens et argentins qui auraient pourtant dû réagir il y a longtemps.

Les États-Unis, c’est sûr, ont misé sur la vulnérabilité du Paraguay qui, bien que l’un des pays fondateurs du Mercosur, en est certainement le maillon le plus faible.

Traditionnellement, dit Zibechi, le Paraguay a toujours « oscillé entre ses deux puissants voisins comme le prouve la construction des deux grands barrages hydroélectriques (Itaipu avec le Brésil, et Yacyreta avec l’Argentine). En matière de politique intérieure, tout ce qui arrivait au Paraguay était conditionné par l’un ou l’autre de ses voisins qui se surveillaient mutuellement ».

Puis, l’an dernier, tout a changé. Le président Nicanor Duarte est soudainement devenu le premier chef d’état paraguayen à être reçu à la Maison Blanche et, quelque temps après, le FBI ouvrait un bureau dans la capitale, Asuncion. Puis Washington qui, depuis 2002, compte 46 opérations militaires conjointes avec le Paraguay, a évoqué un traité de libre-échange entre les deux pays.

Mais Zibechi souligne que, pendant ce temps-là, les politiques néo-libérales brésiliennes continuaient de faire mal aux autres pays latino-américains. Petrobras, par exemple, exploite du pétrole en zone indigène équatorienne et une bonne partie du gaz en Bolivie.

Le Paraguay reproche au Brésil de le traiter comme un « moins que rien »; de faire semblant de mener l’intégration sud-américaine tandis qu’il préfère « brasser des affaires » avec la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Union européenne.

« En réalité, dit Zibechi, une politique de libre-échange est contradictoire avec l’unité continentale. Le Brésil, contrairement au Venezuela de Hugo Chavez, a opté pour donner la priorité aux relations commerciales avec des pays qui offrent de grands marchés à ses exportations de produits. »

Puis, une fois le Paraguay « convaincu », Washington s’est occupé des gouvernements argentin et brésilien.

Zibechi raconte qu’en février 2005, afin de neutraliser le gouvernement argentin de Nestor Kirchner, l’administration Bush a fortement appuyé la conclusion d’un nouvel accord de prêt avec le FMI couvrant 60 % du montant de la dette extérieure argentine.

Quant au Brésil, la crise politique suite aux accusations de corruption contre le Parti des travailleurs (PT) du président Lula da Silva s’est révélée une vraie bénédiction. À tel point qu’il se trouve des journalistes locaux pour dire que les États-Unis sont à l’origine de la précipitation du scandale.

Selon le groupe JIBRA (journalistes indépendants du Brésil), l’ex-président Fernando Henrique Cardoso était aux États-Unis, en février dernier, pour demander au président Bush de porter davantage attention à la région avant que de nouveaux Hugo Chavez en surgissent.

À son retour, Cardoso aurait confié à des proches que le Brésil allait bientôt vivre une crise institutionnelle et il a reçu à son appartement des fonctionnaires du consulat des États-Unis.

Zibechi nous dit qu’après les révélations contre le PT, ce sont les élites financières brésiliennes qui ont « sauvé » Lula de la chute parce qu’elles craignaient son remplacement par le vice-président Jose Alencar, un opposant à la politique des hauts taux d’intérêts qui transfèrent annuellement 50 milliards de dollars aux plus riches.

Lula termine donc son mandat mais en est redevable à ces élites qui en profitent pour essayer d’imposer le programme de la droite en matière de politique régionale, c’est-à-dire que le Brésil redevienne le traditionnel État stabilisateur d’une Amérique latine toujours plus « volatile » et cesse d’encourager les évolutions qui irritent Washington, notamment en Bolivie et en Équateur, sans parler du Venezuela.

La délicate position dans laquelle se trouve Lula explique en bonne partie la passivité brésilienne dans les événements du Paraguay. Zibechi explique que, dès le 12 juin, le sénateur social-démocrate Alvaro Dias, avertissait « qu’avec les yeux tournés vers Roberto Jefferson (l’homme qui a dénoncé le scandale de corruption), on ne voit pas ce qui se passe au Paraguay ».

Plus grave encore, lors de la même session, un autre sénateur travailliste, Jefferson Perez, proposait un amendement au traité du Mercosur voulant qu’aucun pays tiers n’ait le droit d’implanter une base militaire permanente dans un pays membre du Mercosur sans l’accord préalable des autres membres.

« Aucun sénateur du PT n’est intervenu, dit Zibechi, malgré la gravité du thème abordé » et, en juillet, après l’arrivée des troupes états-uniennes au Paraguay, on apprenait que l’armée brésilienne réalisait des manœuvres simulant la défense du barrage hydroélectrique d’Itaipu.

C’est ainsi que l’option néo-libérale brésilienne crée les « trous » par où opère la politique de Washington, dit Zibechi. Il ajoute que, dans la situation actuelle, il est presque normal qu’un pays faible comme le Paraguay « dont les problèmes ne peuvent être solutionnés par un Mercosur paralysé et en crise », cherche à s’allier à une puissance comme celle des États-Unis, qui lui promettent « commerce et sécurité ».

« La politique états-unienne en Amérique latine, conclut Raul Zibechi, avance non seulement à cause de la force de l’Empire mais surtout de l’incapacité de ceux qui devraient l’affronter à proposer d’authentiques et généreuses alternatives. »