L’administration du maire Tremblay a lâché ses employésLe déficit sert de justification à la privatisation

Quiconque s’intéresse aux affaires de la ville de Montréal a l’impression d’un immense gâchis au terme du processus des fusions-défusions. Aux quinze villes recréées par suite des défusions, s’ajoute la nouveauté de 19 arrondissements dans la ville de Montréal. Dix-neuf arrondissements qui ne sont pas sans nous rappeler les petits bourgs du Moyen-Âge. À chacun sa réglementation, son système de taxation. La création des grandes villes a constitué un immense progrès. Mais l’éclatement d’une ville comme Montréal démontre que la roue de l’Histoire peut tourner à l’envers.

Les organisations syndicales municipales sont les témoins privilégiés de ce recul historique. Ayant conservé leur unité et les acquis de la fusion en regard à leur nombre de membres, elles sont aujourd’hui les principales forces de résistance au mouvement centrifuge qui conduit à la fragmentation du pouvoir et des services municipaux.

Monique Côté occupe un poste stratégique à la tête du Syndicat des fonctionnaires municipaux (SFMM). « Nous cherchons à harmoniser les conditions de salaire et de travail des quelque 10 000 employés que nous représentons dans les 15 villes défusionnées et les 19 arrondissements de Montréal », nous déclare-t-elle lors d’une entrevue réalisée dans les bureaux du syndicat, au 429, rue de la Gauchetière.

La création des arrondissements est un désastre pour les employés municipaux. « Nous sommes devant 19 petites villes ayant désormais chacune leur politique d’embauche, nous dit-elle. Il n’y a plus de mouvement de personnel d’un arrondissement à l’autre. Dans la ville unique, une bibliothécaire pouvait travailler 35 heures par semaine en cumulant des compléments de tâche dans différentes bibliothèques. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. »

La mobilité, les plans de carrière sont désormais confinés à l’arrondissement. Plusieurs parmi les quelques 4 000 auxiliaires, souvent au service de la ville depuis plus de vingt ans, ont vu leurs heures de travail diminuées substantiellement. « Ça affecte bien évidemment le moral des gens, explique Monique Côté. Le taux d’absentéisme a grimpé en flèche. »

Ce morcellement de la ville en 19 entités rogne évidemment sur les possibilités d’instaurer plus de souplesse dans les horaires de travail et favoriser la conciliation travail-famille et les retraites progressives. « Plus de 30 % du personnel partira bientôt à la retraite. S’il n’y a pas de souplesse possible, nous risquons de perdre leur expertise », prévient la présidente du syndicat.

Après que les arrondissements eurent dépouillé la ville centrale de ses attributs, c’est au tour de Québec de vouloir mettre le grappin sur une des fiertés de la ville de Montréal, son service de la sécurité du revenu. Invoquant la spécificité de Montréal, plaidant en faveur de l’expertise particulière de son personnel, l’administration municipale, les organisations syndicales et les groupes communautaires de Montréal ont toujours fait front commun pour maintenir le statut particulier et l’autonomie des services de la sécurité du revenu et empêcher leur intégration dans le grand tout québécois. « Mais, cette fois, l’administration municipale nous a lâchés », précise Monique Côté. Les 850 fonctionnaires seront intégrés à la fonction publique québécoise.

L’administration Tremblay justifie cet abandon en invoquant les 16 millions de déficit appréhendé d’ici 2009 pour ce service. Le syndicat juge qu’il n’a pas à en faire les frais. La moitié de ce montant découle de la différence entre le gel salarial imposé par le décret à la fonction publique en décembre dernier et l’augmentation de 2,5 % que le syndicat des fonctionnaires municipaux a obtenu pour ses membres.

L’autre moitié du déficit s’explique par le règlement sur l’équité salariale négocié par le syndicat. « Nous avons obtenu que nos membres changent de catégorie de traitement dans le cadre d’une avance sur l’exercice d’équité salariale. Nous n’acceptons pas qu’on puisse par la suite venir parler de déficit à ce sujet », s’indigne Monique Côté.

La question de l’équité salariale semble sortir du champ de vision du maire Tremblay. Avec plus de 60 % de membres féminins, le Syndicat des fonctionnaires municipaux est le seul gros syndicat municipal où il y a obligation en vertu de la loi de faire un exercice d’équité salariale. « Nous n’avons même pas commencé ! », s’insurge Monique Côté.

Il y a quelques mois, l’administration du maire Tremblay a subitement « découvert » un déficit de 400 millions. Monique Côté s’en étonne. « Il y a eu diminution des effectifs du personnel dans tous les services. Ce qui a augmenté, de façon substantielle, c’est le nombre de cadres et d’élus. Tous bien rémunérés. » Mais elle n’est pas dupe. « Tout est en place pour une privatisation des services. Le déficit servira de justification », prédit l’ardente syndicaliste qui a bien l’intention de s’y opposer farouchement avec ses membres.