L’usine de Norsk-Hydro appréhende sa fermeture

Condamnée par la concurrence chinoise et la force du dollar

Les 380 travailleurs de l’usine de Norsk-Hydro à Bécancour, et le millier d’autres travailleuses et travailleurs dont l’emploi dépend de cette usine, voient avec beaucoup d’appréhension arriver le mois d’octobre. Le 25 juillet dernier, la multinationale norvégienne a annoncé son intention de se départir de ses intérêts dans la production de magnésium par la vente de son usine ou, le cas échéant, sa fermeture au mois d’octobre.

« La rumeur voulait qu’il y ait deux acheteurs potentiels sur les rangs. Maintenant, on ne parle que d’un seul et nous n’avons aucune idée de son identité », de nous dire Michel Gauthier, le président du syndicat, rencontré dans les bureaux des TCA à Trois-Rivières.

Michel connaît le dossier sur le bout de ses doigts. L’usine, construite en 1987, est toujours la plus importante et la plus performante au monde, mais elle est condamnée par la concurrence chinoise, la force du dollar canadien et le prix de l’énergie.

« Les Chinois ont construit six nouvelles usines seulement l’an dernier et ont augmenté leur production de 10 % à 15 % », nous explique-t-il en précisant que la production mondiale est maintenant supérieure à la demande.

Les États-Unis ont accusé la Chine de « dumping » et ont imposé des tarifs douaniers de 140 %. Mais cela ne suffit pas. Le magnésium en provenance de Chine est toujours moins cher que celui qui est produit sur les rives du Saint-Laurent, ce qui désavantage l’usine de Norsk-Hydro, dont près de 60 % de la production est achetée par General Motors pour la fabrication de pièces d’automobile.

Le magnésite, qui est transformé par électrolyse en magnésium, provient principalement de Chine et d’Australie. Son prix est relativement plus élevé au Québec par suite des coûts de transport, mais ce qui rend l’usine québécoise moins compétitive, c’est le prix de l’énergie et la force du dollar canadien.

Norsk-Hydro a été attiré au Québec par l’électricité bon marché et les tarifs secrets pratiqués par Hydro-Québec au moment où la société d’État avait des surplus tels que « l’eau passait par-dessus les barrages ». Le contrat secret signé avec Hydro-Québec était tellement avantageux qu’il fut dénoncé par la concurrence américaine, ce qui obligera Norsk-Hydro à y renoncer.

« Aujourd’hui, soupçonne Michel Gauthier, le gouvernement préfère voir fermer l’usine pour récupérer les kilowatts/heure et les vendre aux États-Unis. » Au Saguenay, les travailleurs de l’Alcan ont lancé les mêmes accusations à l’endroit de leur employeur, lorsqu’elle a fermé prématurément les cuves Soderberg de ses installations de Jonquière.

Ces deux exemples soulèvent toute la question de la stratégie industrielle du Québec. Faut-il encourager la fermeture des industries grandes consommatrices d’énergie pour dégager des kilowatts pour l’exportation aux États-Unis ? Non, disent certains, car cela signifie renoncer à établir un secteur industriel fort au Québec et exporter des emplois bien payés aux États-Unis. Oui, disent les autres, qui ne manquent pas de souligner que les promesses d’établir des usines de deuxième et troisième transformation de l’aluminium et de magnésium – pour ne prendre que ces deux exemples – ne se sont jamais réalisés. « Où est la “ vallée de l’aluminium ” promise par les gouvernements pour justifier les tarifs préférentiels d’électricité accordés à ces usines ? », lancent-ils.

Le troisième élément de la non-compétitivité de l’usine de Bécancour, la force du dollar canadien, mérite également d’y voir d’un peu plus près. Norsk-Hydro n’est pas la seule entreprise à être durement frappée par la hausse marquée du dollar canadien. Dernièrement, les médias nous apprenaient que le p.d.-g. de Bombardier, Laurent Beaudouin, s’est rendu à Ottawa pour intervenir auprès des gouverneurs de la Banque du Canada afin qu’ils utilisent la politique monétaire pour infléchir le cours du dollar.

La valeur du dollar canadien est gonflée par le prix du pétrole et ne reflète pas l’état de l’économie. En fait, l’économie canadienne est balkanisée. Les taux de croissance prévus pour les provinces productrices de pétrole comme l’Alberta et, dans une moindre mesure, la Saskatchewan et Terre-Neuve, s’envolent, alors qu’ils stagnent au Québec et en Ontario.

L’économie canadienne se fragmente sur des bases régionales et nationales. L’économie du Québec se démarque nettement de l’économie canadienne et se trouve pénalisée par des décisions économiques et monétaires prises en fonction de cette dernière. Si la situation persiste, la question de la pertinence d’une monnaie québécoise dans un Québec souverain se posera à nouveau.

Il est bien connu que Jacques Parizeau était autrefois partisan d’une monnaie québécoise, mais les souverainistes ont décidé de conserver le dollar canadien lors de la proclamation de l’indépendance pour éviter d’éventuelles spéculations des marchés financiers contre une monnaie québécoise. Le raisonnement est le suivant : Les institutions financières canadiennes vont intervenir contre de telles manœuvres déstabilisatrices si elles se manifestent, car elles seraient les premières à en être victimes. Mais, si les conditions actuelles perdurent, la question d’une monnaie québécoise ne manquera pas de se poser une fois l’indépendance réalisée et la stabilité d’un futur État québécois acquise.

Cependant, à court terme, ce sont les travailleuses et les travailleurs québécois – comme ceux de Norsk Hydro – qui font les frais des distorsions de l’économie canadienne causées par le boom pétrolier. Non seulement l’Alberta et les provinces productrices de pétrole refusent de partager avec les autres provinces canadiennes les plantureux bénéfices qu’elles tirent de l’exploitation pétrolière et gazière, mais la situation conduit inexorablement à la faillite du secteur industriel du Québec et à la mise à pied de milliers de travailleuses et de travailleurs.