La fiscalité des entreprises demeure une foire d’empoigne

Le Québec est-il toujours plus pire meilleur qu’ailleurs ?

*L’économiste Pierre Fortin de l’UQAM et les fiscalistes Luc Godbout et Suzy St-Cerny de l’Université de Sherbrooke ont publié le 5 octobre dernier une étude intitulée « La défiscalisation des entreprises au Québec est un mythe » qui, comme son nom l’indique, vient à la défense des entreprises en prétextant qu’elles paient trop d’impôts au Québec.

Les auteurs font de ce document une réponse à une étude que nous avons produite avec Michel Bernard et Marc Hasbani de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, qui montrait le déplacement du fardeau fiscal des entreprises privées vers les particuliers depuis quelques décennies.

Les trois universitaires laissent de côté toute la question du déplacement du fardeau fiscal des compagnies vers les particuliers, qui était pourtant le thème central de notre recherche, pour se concentrer uniquement sur la situation des entreprises.

Pour eux, toute opposition à leur affirmation n’est que croyance populaire, èa condition d’inclure dans cette affirmation Yves Séguin, ancien Ministre des finances du Québec et fiscaliste. Le 10 novembre 2005, il écrivait dans le Journal de Montréal : « Lorsque l’on parle du fardeau fiscal des entreprises au Québec, plusieurs laissent entendre que la situation est pire qu’ailleurs. En réalité, les politiques fiscales du Québec sont parmi les plus favorables, comparativement à l’ensemble des pays industrialisés ». Il poursuit : « Le taux d’imposition des entreprises au Québec est l’un des plus bas au monde ».

Enfin, lorsqu’on tient compte de certaines mesures fiscales comme le crédit remboursable en recherche et développement du gouvernement du Québec, Séguin rappelle que notre système fiscal est meilleur que celui de l’Ontario et ceux d’ailleurs au Canada, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Japon et en Italie.

Les prétentions de Fortin et de son équipe vont également à l’encontre des résultats du cabinet international d’experts-comptables KPMG. Parmi ses nombreux travaux, cette firme étudie la compétitivité de 11 pays riches et de leurs villes. Le classement évalue les coûts d’implantation et d’exploitation des entreprises. Il prend en compte divers facteurs dont les niveaux d’impôts. Cette année, le Canada est, une fois de plus, le pays le plus compétitif du G7 et Montréal arrive encore première dans les métropoles d’Amérique du Nord.

La firme de comptables Price Waterhouse Coopers a aussi évalué à quelques reprises divers régimes fiscaux. En tenant compte des taxes et impôts prélevés par les gouvernements, les municipalités et les comtés, le Québec est selon eux nettement plus compétitif que les États américains et l’Ontario.

Dans le même ordre d’idée, le Canadian Business Magazine vient de classer, au mois de septembre 2006, la ville de Québec comme meilleur endroit où faire des affaires au Canada. Là aussi, cette revue a tenu compte de la fiscalité des entreprises.

Le fiscaliste François Bédard, associé du cabinet d’experts-comptables Samson Bélair/Deloitte & Touche écrivait le 26 octobre 2002 dans le journal Les Affaires, que « Contrairement à la croyance populaire, les taux d’imposition des sociétés sont, en général, plus élevés aux États-Unis qu’au Québec ». En fait, il expliquait qu’ « aux États-Unis, plus de 6500 juridictions imposent ou taxent les entreprises tant américaines qu’étrangères ». Les villes et comtés américains effectuent d’importants prélèvements.

Fortin et ses acolytes ont choisi d’éviter la question des paradis fiscaux. Or les collègues de Godbout et St-Cerny de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke viennent de publier une recherche sur les paradis fiscaux. M. Larin, titulaire de la Chaire, et ses collègues rappellent qu’en 2003, il y avait 88 milliards $ d’actifs canadiens dans les paradis fiscaux. À ce titre, le Canada fait pire que les autres pays, comme par exemple les États-Unis.

Dans plusieurs cas, le revenu fiscal déclaré est loin de correspondre au revenu réel, comme on vient de le constater avec la pharmaceutique Merck qui a reçu une facture de deux milliards $ du fisc canadien pour avoir détourné allègrement ses profits d’ici vers la Barbade.

De plus, leur étude omet de traiter des compagnies qui se transforment en fiducies de revenu, ce qui permettra par exemple à Bell Canada et à Télus de « sauver » respectivement 800 millions $ et 700 millions $ d’impôts l’an prochain, ce qui ramènera leurs impôts payés à un gros zéro.

Il est important de rappeler que la part des bénéfices des entreprises n’a jamais été aussi élevée dans l’économie qu’aujourd’hui, alors que la part des salaires des travailleurs n’a jamais été aussi faible. C’est vrai pour l’ensemble des pays, comme le rappelait la revue The Economist au mois de juillet 2005 en ces termes : « Dans la plupart des pays industrialisés, les salaires en tant que proportion du revenu national total sont au plus faible depuis des décennies. Par contre, les profits après impôts l’an dernier ont atteint, par rapport au produit intérieur brut (PIB), leur plus haut niveau en 75 ans ». C’est le cas au Québec et au Canada, selon Statistique Canada.

Fortin et compagnie s’attaquent à notre étude afin de nous discréditer. Or, plutôt que de s’en prendre à nos tableaux et à nos données, qui proviennent toutes de sources officielles et crédibles, ils préfèrent cuisiner leurs propres graphiques et tableaux.

À titre d’exemple, leur premier tableau reprend les impôts, taxes et autres cotisations versées par les entreprises. Ils ont choisi sciemment d’y inclure le Fonds des services de santé du Québec, les régimes de retraite publics, l’assurance emploi et la CSST, sans même distinguer la part de ces contributions qui est versée par le secteur public de celle versée par le secteur privé. En petits caractères, les auteurs rappellent que les régimes de retraites et la CSST ne sont même pas des sources de revenu pour le gouvernement. Mais ils les laissent quand même dans leur tableau, ce qui prête encore à confusion, mais fait bien leur affaire.

Voici un autre exemple. Dans leur deuxième tableau, les auteurs présentent le montant de la taxe sur le capital, soit 2,1 milliards $ en 2001. Or, dans leur premier tableau où l’année de référence est cette fois 2004, cette taxe n’est plus que 1,6 milliards $. Ces braves défenseurs des compagnies surtaxées omettent toutefois de mentionner que ce montant inclut la part des sociétés d’État.

Par exemple, Hydro-Québec a versé au Québec 324 millions $ en 2004 en taxes sur le capital, soit plus de 20 % du total, à elle seule. Toujours dans son article du Journal de Montréal d’il y a un an, Yves Séguin rappelle que « depuis 2004, 80 % des entreprises au Québec ne payent plus de taxes sur le capital, et d’ici cinq ans, les autres verront diminuer de moitié cette taxe ».

Le trio universitaire continue de propager le mythe selon lequel les impôts élevés sont synonymes d’inefficacité pour une économie. Ceci n’a jamais été démontré par aucun organisme international sérieux. Le Forum économique mondial tient un classement annuel de la compétitivité des pays, où la Finlande arrive première au monde et où les pays scandinaves sont en tête de peloton, malgré une fiscalité très élevée. Pour l’économiste en chef du Forum, ceci s’explique par le fait que ces pays font un usage très efficace de leurs recettes fiscales.

Terminons par les propos d’Yves Séguin, alors ministre des Finances du Québec, et repris dans un article de La Presse du 24 février 2004. Il avait alors qualifié les entreprises québécoises de gâtées au niveau de la fiscalité et de l’aide gouvernementale. Dire que les entreprises ne sont pas assez taxées serait une croyance populaire ? Soutenir le contraire est assurément une croyance patronale !

* Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM