Qui a volé les barres d’uranium du Congo ?

Sommes-nous devant une réédition de l’opération Yellow Cake ?

La mystérieuse disparition de barres d’uranium du Congo a coïncidé avec une importante réunion, tenue du 5 au 8 mars dernier, du conseil supérieur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne ayant pour objet le programme nucléaire de l’Iran.

Selon le journal de Le Phare de Kinshasa du 7 mars, « plus de 100 barres d’uranium ainsi qu’une quantité inconnue d’uranium contenue dans des boîtes en forme de casques ont disparu du centre nucléaire de Kinshasa dans le cadre d’un vaste trafic » .

Le Commissaire à l’énergie atomique de la République démocratique du Congo (RDC), le professeur Fortunat Lumu et son associé ont été arrêtés sur la base d’allégations de contrebande d’uranium.

Bien que les noms des acheteurs présumés n’aient pas été indiqués, un consensus semble régner dans les médias occidentaux sur la base d’un rapport d’août 2006 du Sunday Times, qui est cité abondamment dans les compte-rendus de la presse internationale, selon lequel Téhéran pourrait être derrière l’opération de contrebande d’uranium.

Ironie du sort, le professeur Lumu était arrêté le jour même où l’ancien directeur de cabinet de Dick Cheney, I. Lewis « Scooter » Libby, était condamné par un grand jury fédéral pour des accusations multiples de parjure et d’obstruction à la justice en liaison avec l’opération « Yellow Cake » (uranium) du Niger. Le procès a confirmé que l’histoire du Yellow Cake était une fabrication déclenchée à partir de documents falsifiés prétendant que Saddam Hussein aurait acheté de l’uranium au Niger pour fabriquer sa bombe atomique.

Sommes-nous aujourd’hui devant une autre opération de manipulation psychologique pouvant être utilisée comme prétexte pour une guerre contre l’Iran ?

Au mois d’août dernier, le Sunday Times britannique, citant une source de l’ONU datée du 18 juillet 2006, signalait que de l’uranium 238 avait été sorti en contrebande des mines de Lubumbashi au Congo. Selon les douaniers tanzaniens cités par le Sunday Times, le chargement était « destiné au port iranien de Bandar Abbas ». La cargaison radioactive aurait été interceptée à Dar Es Salaam en octobre 2005 « lors d’un contrôle de routine ».

Selon l’article du Sunday Times intitulé « Conspiration iranienne pour obtenir de l’uranium en Afrique » , « il ne fait aucun doute » que des quantités énormes d’uranium 238 sont sorties en contrebande du Congo. Dans le même article, le Sunday Times affirme, sans preuves à l’appui, que l’Iran a soutenu des cellules terroristes au Royaume-Uni qui « pourraient préparer des attaques contre des centrales nucléaires en Grande-Bretagne. Les renseignements circulant à Whitehall suggèrent que les cellules dormantes liées à Téhéran auraient effectué des reconnaissances sur plusieurs sites nucléaires en vue d’une attaque possible. »

L’article du Sunday Times poursuit : « Le douanier [ tanzanien ], qui a parlé au Sunday Times sous conditions d’anonymat, a ajouté : « Le conteneur [ de barres d’uranium passées en contrebande ] a été mis dans une partie sécurisée du port et pour être ensuite été enlevé, par les Américains, je pense, ou au moins avec leur aide. On nous dit à tous de ne parler à personne de cette affaire.» Le rapport de l’équipe d’enquête de l’ONU a été soumis au Président du comité de sanctions de l’ONU, Oswaldo de Rivero, fin juillet et sera bientôt examiné par le Conseil de sécurité. La mine a été officiellement fermée depuis 1961, avant l’indépendance du pays, mais les enquêteurs de l’ONU ont déclaré au Conseil de sécurité qu’ils ont trouvé des preuves que l’exploitation illégale de la mine se poursuivait.

En 1999, des informations circulaient selon lesquelles les autorités congolaises avaient essayé de rouvrir la mine avec l’aide de la Corée du Nord. Ces dernières années, on a dit que des mineurs avaient cassé les couvercles et extrait du minerai extrait des puits, alors que la police et les autorités locales fermaient les yeux. En juin, une commission parlementaire a averti que la Grande-Bretagne pourrait être visée par des terroristes iraniens si les tensions augmentaient. Une source ayant accès aux évaluations du MI5 a indiqué : «Il y a une grande inquiétude sur des cellules dormantes iraniennes dans ce pays [ la RDC ]. Les services de renseignement prennent cette menace très au sérieux. »

Selon le Sunday Times, « ces révélations augmenteront les craintes occidentales au sujet de l’ampleur du programme présumé d’armes nucléaires de l’Iran et des implications stratégiques de la poursuite de l’appui de l’Iran au Hezbollah pendant la guerre avec Israël. »

Dans le même article, on retrouve tous les ingrédients essentiels pour concocter le scénario de l’infâme complot iranien. Le script comprend de l’uranium 238 sorti en contrebande à destination de l’Iran, l’implication de l’Iran et de la Corée du Nord, les cellules terroristes et dormantes iraniennes au Congo, les terroristes iraniens en Grande-Bretagne, le comité de sanctions de l’ONU qui prend note de la contrebande d’uranium passé en contrebande, la commission parlementaire britannique avertissant le gouvernement de Tony Blair qu’une attaque terroriste commanditée par l’Iran pourrait avoir lieu en Grande-Bretagne.

La « Iran connection » inventée par le Sunday Times s’appuyait sur une lettre du 18 juillet 2006 du Président du Comité du Conseil de sécurité de l’ONU, volontairement citée de manière incorrecte et tordue. Le document de l’ONU et le rapport du groupe d’experts sur la RDC cités analysent bien la contrebande d’uranium, mais ne mentionnent même pas l’Iran.

La lettre signale des incidents de contrebande sur une période de six ans dans et autour de Kinshasa aussi bien qu’en liaison avec des saisies d’expéditions par les autorités tanzaniennes, mais ne contient aucune information concernant les quantités en cause.

En ce qui concerne la prétendue connexion nord-coréenne, il y a bien eu en 1999 une délégation d’ingénieurs nord-coréens au Congo. Mais elle n’a pas eu de suite à cause des pressions exercées sur Kinshasa par Washington comme le confirme le London Times du 27 mars 2004.

L’exploitation d’uranium en RDC est, en pratique, sous le contrôle d’entreprises capitalistes occidentales. La principale d’entre elles, loin d’être iranienne, est anglo-sud-africaine et enregistrée en Grande-Bretagne. C’est la Brinkley Mining PCL.

L’accord établi avec l’autorité de l’énergie atomique du pays, le Commissariat général à l’Énergie atomique (CGEA), incluait la création de la Brinkley Africa Ltd, chargée de superviser « la gestion domestique des ressources nucléaires » en République démocratique du Congo. Les droits exclusifs de la future exploration et production d’uranium revenaient à la Brinkley Africa Ltd, filiale à 70 % de Brinkley Mining, elle-même filiale de Lonrho Africa.

La Brinkley Mining PLC a publié le 7 mars 2007 un rapport annonçant des pertes de 2747 millions de £ en 2006 et une réduction de 20 % des estimés de ses stocks initiaux. Cependant, malgré ce rapport financier, paru en même temps que Fortunat Lumu était arrêté à Kinshasa, la valeur des actions de Brinkley à la Bourse de Londres a fait un bond de 50 % du 7 au 8 mars.

Au même moment, Paul Wolfowitz, président de la Banque mondiale, arrivait à Kinshasa. Après une réunion avec le Président de la RDC, Joseph Kabila, Wolfowitz annonçait 1,4 milliard de $ d’aide financière à la reconstruction d’après-guerre de la RDC. Même si formellement, elle est destinée à soulager la pauvreté au Congo, une partie de cet argent servira à soutenir les intérêts miniers africains anglo-américains et sud-africains au Congo.

Le vendredi 9 mars, en pleine visite officielle de Paul Wolfowitz, le gouvernement de RDC, sans se référer explicitement à la Brinkley Mining PLC, annonce avoir « démantelé un réseau clandestin qui essayait de vendre illégalement l’uranium à des sociétés enregistrées en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud et aux Seychelles » (Associated Press, 9 mars).

Le ministre congolais de la Recherche scientifique, Sylvanus Mushi Bonane, a accusé le professeur Fortunat Lumu et son associé de créer « des sociétés fictives pour vendre de l’uranium » et affirmé les avoir pris la main dans le sac.

Il n’y avait aucune mention de l’Iran dans le communiqué officiel. En fait, tout le contraire ! Le gouvernement pointait du doigt un conglomérat anglo-sud-africain. Selon Le Phare, l’arrestation de Fortunat Lumu était en lien avec les trafics de la Brinkley Mining.

Alors que les médias occidentaux insistent sur une prétendue « Iranian connection », le réseau clandestin décrit par les autorités de RDC se rapporte à des ventes illégales à des « sociétés enregistrées en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud et aux Seychelles ». Or, la Brinkley Mining est enregistrée au Royaume-Uni avec des filiales en Afrique du Sud et aux Seychelles.

La couverture par le Daily Telegraph du scandale de l’uranium congolais suit un cours familier. Alors qu’il n’existe aucune espèce de preuve que l’Iran y soit mêlé, on a eu droit à une série d’allégations selon lesquelles l’Iran serait impliqué !

Traduit de l’anglais par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique, et revu par l’aut’journal.