Robin Philpot requestionne la tragédie du Rwanda

Une hécatombe indéniable n’est pas un génocide systématique

Robin Philpot a décidément le sens du timing. Alors que le film J’ai serré la main du diable vient de prendre l’affiche et relaie à travers le Québec la version « canadienne » de la tragédie du Rwanda, vue à travers les yeux de l’ex-général devenu sénateur libéral Roméo Dallaire, Philpot livre un nouvel essai percuttant sur le sujet.

Dans Rwanda : Crimes, mensonges et étouffement de la vérité, l’auteur de Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali s’appuie entre autres sur une entrevue exclusive d’un ancien capitaine sénégalais qui travaillait pour Dallaire au Rwanda et qui contredit complètement la thèse de son ancien général, soutenue par le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Les propos du capitaine Amadou Deme, un membre de la section de renseignements des troupes de l’ONU qui agissait comme « les yeux et les oreilles » de Roméo Dallaire et son équipe sur le terrain, laissent carrément entendre que Dallaire a menti pour protéger les États-Unis, le Canada et leur allié du Front Patriotique rwandais et pour camoufler la vérité sur cette tragédie, « probablement la plus importante depuis 1945 » selon Robin Philpot.

L’auteur a étayé cette thèse depuis des années à partir de nombreux documents et entrevues. Son nouveau livre prouve cependant pour la première fois que le général Dallaire et ses anciens officiers des renseignements ont des versions diamétralement opposées de la tragédie, ce qui pourrait forcer Dallaire et les producteurs de son film à se lancer dans des explications embarrassantes.

Rappelons que la version « officielle » de la guerre de 1994 au Rwanda acceptée par le Canada et les États-Unis se résume à peu près à ceci : Tout a commencé le 7 avril 1994 lorsque des génocidaires hutus ont mis à exécution un plan visant à éliminer la population Tutsie sans défense, et non le 6 avril, lors d’un mystérieux « accident d’avion » qui a coûté la vie à deux présidents africains.

Face à ce génocide, sous l’habile direction de Paul Kagame, le Front Patriotique rwandais (FPR) est entré au pays pour marcher sur Kigali, mettre fin au génocide et prendre le pouvoir en juillet 1994.

La communauté internationale, insensible à l’Afrique, est demeurée impassible et immobile malgré les appels incessants du général canadien Roméo Dallaire.

Une guerre a éclaté ensuite au Congo voisin (l’ex-Zaire) à cause de tous les génocidaires rwandais qui s’y étaient réfugiés. Le nouveau gouvernement rwandais sous Paul Kagame, aidé par l’Ouganda et le Burundi, a envahi ce pays pour poursuivre les génocidaires.

Or, rien n’est si simple, démontre Robin Philpot.

Philpot n’a jamais nié qu’un nombre effroyable de Tutsis ont été massacrés au Rwanda. Il soutient toutefois depuis longtemps que l’utilisation abusive du terme « génocide rwandais » a servi à masquer les crimes du FPR de l’actuel président Kagame, un protégé des États-Unis. Kagame et ses troupes pouvaient bien mener une guerre d’agression contre le Rwanda, envahir le pays, se livrer à des massacres, prendre le pouvoir puis envahir le Zaïre voisin et faire main basse sur ses ressources avec l’accord de Washington.

Tout cela se trouvait maintenant justifié, puisqu’il ne faisait que libérer l’Afrique des « génocidaires Hutus », discrédités au yeux de l’opinion publique.

Le mantra des « génocidaires hutus qui ont massacré environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés » ne tient pourtant plus la route souligne Philpot, entre autres depuis la publication des chiffres compilés par le témoin expert à charge du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) Filip Reyntjens.

Selon lui, 600 000 Tutsis et 500 000 Hutus ont été massacrés, dans ce qui constitue une hécatombe indéniable, mais pas un génocide systématique d’un groupe ethnique contre un autre.

« L’utilisation abusive de l’expression “ génocide rwandais ” a eu pour effet d’étouffer la vérité sur des crimes terribles commis dans ce pays », écrit-il. Cette position lui a valu une campagne de salissage du quotidien La Presse alors qu’il se présentait pour le Parti Québécois aux dernières élections, le journal l’accusant carrément de « négationnisme » pour avoir remis en cause la version officielle. Philpot revient longuement dans son livre sur cette tentative d’assassinat médiatique.

Pour Philpot, le but non-déclaré de Roméo Dallaire, du Canada, des États-Unis, de la Belgique et du Royaume-Uni au Rwanda était de faciliter la prise de pouvoir par le FPR, un précieux allié africain, dans une lutte géopolitique contre la France. Le tout, au mépris des millions de morts dénombrées.

L’auteur s’appuie aussi sur 1600 documents de la mission de l’ONU, sur une entrevue personnelle avec Boutros-Ghali, l’ex-secrétaire général des Nations Unies, sur le témoignage du général canadien Guy Tousignant et celui de dizaines de réfugiés, entre autres.

Il résume par ailleurs les conclusions du juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière, qui a effectué une enquête de huit ans sur le drame rwandais, avec tous les moyens du tribunal de grande instance de Paris.

Voici ce que le juge établit : Paul Kagame et le FPR avaient planifié l’attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana et supervisé son exécution pour prendre le pouvoir avec une offensive militaire par la suite.

Kagame comptait sur l’assassinat du président pour rompre le cessez-le-feu en vigueur depuis août 1993 et recommencer la guerre totale.

Notons que dans sa brique J’ai serré la main du diable, Roméo Dallaire ne consacre que quelques pages à ce qu’il considère comme un « accident d’avion », sans préciser que l’accident a été causé par…un missile sol-air.

Le juge a aussi établi que les missiles utilisés appartenaient à l’Ouganda, où les tireurs avaient reçu leur entraînement. L’Ouganda était alors l’allié principal des États-Unis dans cette partie de l’Afrique.

Dans une entrevue avec Philpot, l’ex-secrétaire général des Nations Unies Boutros-Ghali relate d’ailleurs que Bruguière lui a confié qu’il avait la certitude que la CIA était impliquée dans l’attentat.

« Un combat de titans se déroulait en toile de fond du drame rwandais, opposant les États-Unis et ses alliés fidèles, dont l’Angleterre et le Canada, à la France. L’objectif consistait à redessiner la carte politique de l’Afrique centrale et à contrôler militairement et économiquement la région », souligne Philpot en conclusion.

Les acteurs de ce plan savaient très bien ce qui arriverait au Rwanda s’ils organisaient l’assassinat de deux présidents africains et brisaient le cessez-le feu. « Dans un tel contexte, vu l’histoire du Rwanda et de son voisin, le Burundi, les massacres qui ont suivi, quel que soit le qualificatif utilisé pour les décrire, étaient prévisibles, et ils ont été prévus. En revanche, même les plus cyniques en ont sûrement sous-estimé l’ampleur », écrit-il.