Le Canada n’a pas son pareil pour l’évasion fiscale

Pourquoi chercher ailleurs ce qu’on peut trouver chez soi ?

Vous cherchez un paradis fiscal ? Pas besoin de plages sablonneuses, ni de palmiers, ni de case postale entourés d’eau de mer pour dissimuler votre argent aux ministères du Revenu. Ne déménagez pas, le Canada se qualifie déjà parmi les meilleurs endroits pour pratiquer l’évasion fiscale.

Prenons en exemple le Centre Financier international de Montréal. L’organisme agit comme paradis fiscal pour les sociétés financières et offre une exemption fiscale de 75 % du bénéfice net, sans limite de temps.

Succès mitigé pour Montréal, privant le provincial de revenus importants …surtout que des compagnies d’ici ont astucieusement créé des filiales dans des paradis fiscaux « outre-mer » pour ensuite investir au Centre de Montréal et jouir d’une fiscalité réduite.

Parmi ces paons de l’éthique figurent : Scotia Capitaux, BMO Banque de Montréal, Banque CIBC, Caisse centrale Desjardins. Donc, ont été attirées à Montréal des institutions qui s’y trouvaient déjà; on appelle ça le bien-être social financier.

Malgré les hauts cris des ministres du Revenu, les gouvernements continuent de se faire édenter fiscalement. En 2006, grâce au programme « Truffles », les Reitmans, Couche-Tard, Transcontinental, Van Houtte et Saputo ont pu, en créant une fiducie à l’extérieur du Québec, éviter le paiement d’un demi-milliard de dollars d’impôts provinciaux, dont la moitié revenait au Québec. Non contente d’être siphonnée localement, la province promeut à l’étranger son paradis québécois avec son faible taux d’imposition de 9,9 %.

Parallèlement, Ottawa occulte sciemment l’argent sale qui circule entre le Canada et les centres financiers d’outre-mer.

On se souvient de Bre-X, le plus grand scandale financier canadien, une fraude minière de 5 milliards $. David Walsh, un des propriétaires, s’est réfugié avec sa fortune aux Bahamas, deuxième destination fiscale des Canadiens. Aussi, l’affaire CINAR où le duo Charest-Weinberg a détourné 122 millions $US vers Globe-X, une société d’investissement bahamienne.

Au Canada, l’ancien premier ministre Paul Martin avec son entreprise CLS International incite à l’évasion fiscale en déménageant ses sociétés à la Barbade. Des milliers d’entreprises canadiennes suivent l’exemple, une augmentation de 3 600 %. En 2000, selon la Vérificatrice générale du Canada, 1,5 milliard $ a ainsi échappé au fisc canadien.

Borgnes parmi les « Lucides », certains nous cassent les oreilles avec le manque de revenus de l’État alors que leurs comparses idéologiques s’en mettent plein la panse financière.

Récemment le Canada offrait l’occasion aux citoyens de rapatrier l’argent caché et de payer leurs impôts avec intérêts sans accusations criminelles; 6 798 d’entre eux ont déclaré des sommes totalisant 1,66 milliard $. Selon des estimations publiées dans The National Post, les Canadiens cacheraient 100 milliards $ à l’étranger.

Pendant qu’il asticote les individus, Revenu Canada maintient une politique permettant à des entreprises canadiennes de bénéficier de déductions sur les intérêts de leurs emprunts ayant servi à investir à l’étranger.

La Vérificatrice générale Sheila Fraser l’avait dénoncé en 2002. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, avait exprimé clairement en 2007 son intention de mettre fin à ce « mécanisme d’évitement fiscal ». En 2009, l’intention du ministre s’est volatilisée. Quel lobby est intervenu ?

André Lareau, fiscaliste, désapprouve : « Je veux bien qu’on instaure des mesures fiscales pour créer des emplois au Canada. Mais dans ce cas, on encourage l’investissement à l’étranger et, donc, la création d’emplois ailleurs qu’au Canada ».

Pourquoi les paradis fiscaux font-ils la une des médias en 2010 ?

Parce que le constat des spécialistes est troublant : Loretta Napoleoni, économiste italienne, vient de publier « L’économie canaille », et déclare qu’ « une nouvelle génération d’hommes d’affaires dénués de scrupules, entrepreneurs et financiers, gèrent la planète et, par leur façon de faire, redessinent le monde moderne par l’action de forces économiques obscures. »

Aussi parce que la présente crise financière chamboule les a priori de tous et chacun et expose aux yeux mi-clos du citoyen de la classe moyenne le risque que les plus riches lui tirent le tapis sous les pieds. Il interroge les politiciens.

Parce que nos politiciens, claquemurés dans une politique économique déglinguée, ont mis quelques sujets sur le bûcher médiatique, notamment « les paradis fiscaux », dans l’espoir de faire oublier leur propre turpitude et de couvrir leur piètre gestion de la crise financière.

Au sommet du G20 d’avril 2009, ils étaient plusieurs chefs d’État à clamer « Les paradis fiscaux, c’est fini ! »… « Ils ne sont pas morts », répond Tax Justice Network, un réseau d’experts et d’associations qui militent contre l’évasion fiscale.

Daniel Lebègue, président de l’Observatoire sur la Responsabilité sociétale des Entreprises de France explique que la règle du G20 accrédite un paradis fiscal lorsqu’il signe 12 ententes avec d’autres pays avec lesquels il s’engage à échanger les noms des sociétaires dépositaires. Pas idiots, les pays saligauds se signent des ententes entre eux ; comment imaginer qu’une grande entreprise propre aux Bahamas, déjà peu imposée fiscalement, cacherait son argent à la Barbade ? Vraiment, ces ententes sont de la foutaise.

L’ancienne magistrate et maintenant députée européenne, Eva Joly, qualifie la politique du G20 de mièvre ; leurs critères ne considèrent pas comme paradis fiscaux les îles Maurice, Caïmans... et 70 autres territoires. La « bonne liste » de ces paradis est disponible sur le site du Tax Justice Network.

L’État états-unien du Delaware est au sommet du classement des juridictions les plus opaques au monde ; suivent le Luxembourg, la Suisse, les îles Caïmans et le centre financier de Londres. La Grande-Bretagne possède les îles de Jersey, Guernesey et les Bermudes ; la France détient Monaco et Andorre ; le Canada a Halifax et Montréal…..

Pourquoi « les Rolling Stones » et le groupe « U2 », et les multinationales comme Boeing, US Steel, Walt Disney et Walmart sont-ils fiscalement domiciliés aux Pays-Bas ? Tous disposent d’une boîte postale néerlandaise. La juricomptable Guylaine Leclerc « … Il y a deux grandes réponses à ça : le faible taux d’imposition et le secret bancaire. » Il n’y a rien d’illégal à investir à l’étranger, c’est le fait de se soustraire à l’impôt qui est illégal.

La réputation des individus et des entreprises s’effrite dans leur prêchi-prêcha ! À l’automne 2009, l’Italie met sous enquête l’Institut pour les oeuvres de religion de la banque du Vatican. Le Saint-Siège semble abonné au blanchiment d’argent. Dans les années 1970, le Vatican, allié à la Banque Ambrosiano, se lançait dans des spéculations frauduleuses. Les banquiers impliqués Michele Sindona et Roberto Calvi sont assassinés. Durant l’affaire, le Parquet de Milan découvre 54 millions d’euros en pots-de-vin destinés aux partis politiques en provenance du Vatican.

L’évasion fiscale favorise l’imbrication de l’économie légale et de l’économie criminelle, les paradis fiscaux corrompent en profondeur le jeu économique. Les trafiquants de tout genre utilisent de tels services et les fonds transités dans ces paradis proviennent d’origines des plus crapuleuses : trafics d’armes, financement de guerres privées, prostitution, trafic d’êtres humains, fausse monnaie, trafic de drogue, etc.

Alain Deneault, auteur de OffShore - Paradis fiscaux et souveraineté criminelle s’indigne d’entendre les dirigeants d’entreprises « représenter le fisc comme un intrus malpoli s’ingérant dans les affaires intimes de la finance personnelle, s’en mettre hors de portée grâce à des abris fiscaux votés par des amis en place dans les milieux du pouvoir politique ou grâce aux canaux de l’évasion bancaire vers les paradis fiscaux…Personne n’est ici-bas autonome de part en part et redevable qu’à lui-même. »

Tous, citoyens que nous sommes, oublions bien souvent que le fait de vivre en société et d’utiliser des infrastructures communes impliquent notre contribution fiscale. Nous devrions nous regarder bien froidement dans le miroir avant de confier nos prochains travaux de rénovation à l’économie souterraine, car ce n’est qu’une autre facette du même miroir.