Comme toujours, Gérald Tremblay joue les autruches

Qui blâmer ? Les fonctionnaires ou l’incurie du maire ?

D’après Gérald Tremblay, les augmentations de taxes des deux dernières années à la Ville de Montréal seraient directement liées aux pertes de rendement des caisses de retraite.

« N'eut été de la hausse de la contribution de la Ville de 135 M $ pour les caisses de retraite des employés municipaux, qui est une conséquence directe de la crise économique de 2008, la hausse du budget de la Ville serait de 1,8 % », soulignait le maire en conférence de presse à l’occasion du dépôt du budget municipal en décembre dernier.

Le budget 2011 de la Ville de Montréal s’élève à 4,5 milliards $, soit une augmentation de 5 % par rapport à 2010. Une hausse de 4 % du fardeau fiscal des contribuables y est notamment prévue, sans compter une taxe sur les véhicules de 45 $, une hausse de 4 % des tarifs de la Société des transports de Montréal et des augmentations des taxes foncières qui pourraient s’avérer plus importantes selon les arrondissements.

La Ville a indiqué qu’elle devra nécessairement revoir les avantages qu’elle consent à ses employés, compte tenu du contexte économique.

En entrevue avec l’aut’journal, le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal et le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal maintiennent que ces déclarations ne sont qu’une stratégie de diversion.

Piquée au vif par les propos du maire à l’endroit des employés municipaux, la présidente du syndicat des cols blancs, Monique Côté, affirme : « Pour nous, c’est clair : la ville détourne l’attention de la population vers les fonctionnaires pour camoufler les incohérences de son administration. C’est un faux débat qui vise à discréditer les employés municipaux. »

Pour démontrer que le manque de vision à long terme ne date pas d’hier, Mme Côté refait l’historique du régime de retraite de l’ancienne Ville de Montréal. Un bel exemple qui permet, selon elle, de constater que c’est le laxisme de certaines administrations, plutôt que les syndiqués eux-mêmes, qui doit être mis en cause pour le lourd héritage légué aux générations suivantes.

En 1965, le gouvernement du Québec sanctionne la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes (RSR), qui oblige les régimes de retraite à être pleinement capitalisés. Or, en raison d’une sous-cotisation depuis 1912, le régime de retraite de l’ancienne Ville de Montréal affichait en 1966, sous l’administration du maire Drapeau, un déficit actuariel initial évalué à 94,5 millions $. Une somme colossale.

Ce déficit initial devait être amorti avant le 31 décembre 1990, soit 25 ans plus tard, mais des mesures particulières accordées à la Ville n’ont fait que repousser l’échéance et gonfler la facture.

Non seulement le gouvernement a-t-il permis à la Ville de se soustraire à l’obligation de financer le déficit, mais elle a aussi été exemptée de verser les cotisations nécessaires pour éviter l’accroissement du déficit pour la période 1968-1969 et exemptée de toute cotisation aux caisses de retraite constituantes du régime de 1968 à 1970.

Autrement dit, en 1984, toujours sous l’administration de Jean Drapeau, le déficit du régime de retraite s’élevait à 869 millions $. Par acte notarié, la Ville a opté pour un amortissement sur une période de 62 ans. La cotisation spéciale, en sus des versements réguliers, se détaille de la façon suivante :

1984 : 12,8 millions $

1985 à 2015 : 27,1 millions $ pour 1985, montant ensuite indexé à un taux annuel de 10% jusqu’en 2000, puis de 6 % jusqu’en 2015.

2015 à 2045 : 269 millions $ par année

« Si ça, ce n’est pas du pelletage en avant et de l’iniquité intergénérationnelle, je me demande bien ce que c’est, ironise la présidente des cols blancs. Tout le monde savait que ça nous amenait dans un mur, cette situation-là. Ce n’était qu’une question de temps. Jamais la ville ne pourrait faire face à de tels versements, c’était impensable ! »

La Ville et les syndicats ont plutôt convenu d’une entente qui modifiait l’acte notarié de 1984 et qui autorisait la Ville à utiliser une partie des surplus des caisses de retraite pour réduire les cotisations devant être consacrées à l’élimination du déficit actuariel.

« En 1998, il fallait trouver une solution. Les syndicats ont fait leur part à ce moment, comme à bien d’autres. Même Jean-Robert Sansfaçon, dans un éditorial du Devoir à l’époque, soulignait que tout le monde était gagnant avec cette entente, y compris les contribuables montréalais », se souvient Mme Côté.

Tant Mme Côté que Michel Parent, président du Syndicat des cols bleus de Montréal, conviennent que les régimes de retraite ont connu des moments difficiles au cours des dernières années en raison de la crise économique. Ils affirment cependant que la situation est maîtrisée et en voie de se résorber.

D’ailleurs, une note de service du Bureau des régimes de retraite de Montréal, dont l’aut’journal a obtenu copie, stipule que la Caisse commune

« a enregistré un rendement global de 22,6 % pour l’année 2009, le meilleur de son histoire ».

Mme Côté déplore l’attitude de l’administration Tremblay qui « s’acharnait hier sur les salaires et aujourd’hui sur les fonds de pension des employés municipaux pour ne pas avoir à justifier l’explosion de la masse salariale des cadres et les ratés qui coûtent une fortune aux Montréalais. »

Des chiffres avancés par La Presse, dans une série d’articles publiés en janvier dernier, révélaient « qu’à quelques centaines de dollars près, policiers, pompiers, cols bleus, cols blancs et élus montréalais gagnent 69 000 $ par année. (…) En tenant compte des avantages sociaux, leur rémunération annuelle bondit à environ 94 000 $. »

Les deux syndicats rejettent catégoriquement ces informations, alléguant que les moyennes ont été calculées en incluant les postes cadres. « Noyer tous les travailleurs avec les cadres et les élus, c’est trompeur et ça ne représente pas du tout la réalité », affirme Michel Parent. À leur avis, la masse salariale des cadres étant plus élevée, les résultats des compilations de La Presse s’en trouvent biaisés.

Michel Parent affirme que le salaire annuel moyen d’un col bleu est plutôt de 45 000 $, plus 30 % en avantages sociaux. La moyenne des échelons pour les cols blancs se situe à 40 000 $ annuellement, plus 20 % en avantages sociaux. Monique Côté insiste sur le fait que cela ne concerne toutefois que les postes permanents, alors que près de la moitié des cols blancs de la Ville de Montréal sont à statut précaire.

Entre 2001 et 2006, suite aux fusions municipales, le nombre de cadres et leur masse salariale ont augmenté respectivement de 52,3 % et de 86,4 % d’après une étude produite par le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal. « L’idée des fusions, c’était de faire des économies d’échelle. À Montréal, c’est tout le contraire qui s’est produit », explique Monique Côté.

La présidente des cols blancs cite en exemples les bibliothèques où des postes de bibliothécaires ont été coupés pour ajouter des chefs de section. Le centre Claude-Robillard et les piscines de Rosemont ont aussi réduit les heures de travail des sauveteurs pour payer deux cadres supplémentaires.

« Ils coupent dans les services directs aux citoyens pour ajouter des postes de cadres qui coûtent plus cher et qui ne donnent pas de services. C’est n’importe quoi. » À son avis, les Montréalais ont raison de s’interroger sur ce qui se passe et ils doivent savoir que leur ville est mal gérée.

La réorganisation de l’administration municipale, soit principalement le nombre de cadres et d’élus, serait au cœur du problème. Un sujet délicat pour la Ville, qui fait tout pour ne pas en parler « parce que politiquement, c’est sa mort. »

Même son de cloche du côté des cols bleus. Michel Parent soutient que l’augmentation des taxes est due à l’administration très lourde de Montréal. « Toute la question autour des conditions de travail, des salaires et des fonds de pension des employés de la ville, c’est un discours accrocheur, populiste et erroné qui avantage bien l’administration Tremblay pour esquiver les vrais problèmes de Montréal. »