La Fédération des journalistes a-t-elle peur de PKP ?

Une entrevue complaisante d’Alain Saulnier dans le Trente

L’édition Printemps 2015 du Trente, le journal de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), est presque entièrement consacrée à Pierre Karl Péladeau. Avec une photo de PKP en page couverture arborant une mimique à l’Oncle Georges de Daniel Lemire, on se serait attendu à une charge à fond de train contre le magnat de la presse qui, à coups de lock-out, a détruit la carrière et brisé la vie de nombreux journalistes membres de la FPJQ. Or, il n’en est rien.

Dans son billet introductif au dossier, Alain Saulnier, directeur de contenu du Trente, pose la question : Qui a peur de PKP ? Excellente question !

Dans une entrevue complaisante à la Guy A. Lepage, Alain Saulnier saute d’une question à l’autre, sans vraiment relancer PKP, le contredire, ou tout simplement éclater du rire homérique qu’aurait mérité l’invraisemblance de certaines de ses réponses.

Ainsi, interrogé sur le malaise qu’éprouvent les journalistes à son entrée en politique, PKP répond « que chez Québecor, le patron ne dicte pas ses instructions à des journalistes. Les lourdes conventions collectives le mettent à l’abri de ce type d’ingérence ».

Les « lourdes » conventions collectives !? Sans blague ! Il les a contournées allègrement lors des 473 jours de lock-out au Journal de Québec et les 764 jours au Journal de Montréal, en ayant recours aux pigistes de l’agence QMI et à d’autres briseurs de grève.

À remarquer que le Trente laisse prudemment à un non-journaliste, le professeur Marc-François Bernier, le soin de remettre les pendules à l’heure.

Dans son article, Bernier rappelle que « ce qui est menacé, surtout, c’est l’indépendance journalistique au sein des médias de Québecor, laquelle n’est déjà pas des plus élevées au Québec, comme l’ont révélé des recherches et de nombreux témoignages publics ».

Interrogé sur la concentration de la presse, PKP « répond que toutes les industries se concentrent », rapporte Saulnier qui pousse tout de même l’audace jusqu’à lui demander si « la concentration de la presse est donc la réponse aux défis financiers des médias ? » Et PKP de répondre : « Oui, effectivement ». Et on passe à un autre appel !

Sur les médias et la politique, la question s’imposait d’elle-même : « Est-il possible qu’un propriétaire de média utilise son pouvoir à des fins politiques ? »

PKP répond que cela pourrait être possible en citant l’exemple de feu Robert Hersant, qui était propriétaire du Figaro et député à l’Assemblée nationale française.

Mais, au Québec, il a beau chercher, il ne voit rien de comparable, à part, bien entendu, la famille Desmarais, propriétaire de Gesca, dont « il s’interroge sur les intentions réelles » et sur lesquelles « il laisse planer un doute », nous informe Saulnier.

Mais, lui, soyez sans crainte, ses « intentions réelles » sont et ont toujours été nobles, transparentes et au-dessus de tout soupçon.

Saulnier pose la question de la pertinence de mécanismes de contrôle pour une candidature comme la sienne ? Une fiducie sans droit de regard, par exemple.

La main sur le cœur, PKP remet le disque : « Moi je ne suis jamais intervenu dans les salles de rédaction, c’est pas moi qui écrit les papiers, c’est pas moi qui donne les orientations et je pense que ça serait inacceptable, et ça se saurait très rapidement ».

En fait, ça se sait ! C’est pour cela que la question lui est posée.

Encore une fois, le Trente refile au prof Bernier le soin de répondre. Il propose 10 pistes pour améliorer l’autonomie des médias. Ça va de la signature d’un contrat contraignant dans lequel PKP s’engagerait à n’avoir aucune influence sur Québecor, à la nomination d’ombudsmans indépendants et autonomes, d’une adhésion au Conseil de presse, à la tenue d’enquêtes régulières et indépendantes, etc., etc.

Bernier conclut que « face à cet immense écueil médiatique se posent des questions sans réponses pour l’instant », qui peuvent se résumer dans la première d’entre elles : « PKP est-il prêt à reconnaître le sérieux de cet écueil ? »

Pas besoin de chercher la réponse bien loin. PKP l’a donnée dans l’entrevue à Alain Saulnier. C’est NON ! Ce sera une fiducie avec droit de regard sur la vente de l’entreprise et l’indépendance des salles de rédaction est protégée par les « lourdes » conventions collectives.

Alain Saulnier, ex-directeur de l’information générale à Radio-Canada, a démontré dans son livre Ici était Radio-Canada comment PKP faisait tandem avec le Parti Conservateur dans un derby de démolition de Radio-Canada.

Mais il laisse passer sans les commenter ces propos de PKP : « Au cours de l’entrevue, il explique que les médias n’ont pas tous les moyens de faire de l’information internationale et c’est une des raisons pour lesquelles il soutient Radio-Canada. »

En fait, PKP soutient Radio-Canada comme la corde soutient le pendu. Il a applaudi les coupes à la tronçonneuse dans les budgets de Radio-Canada, jusqu’à ce que la Société d’État soit dans une situation suffisamment précaire pour qu’elle ait l’obligation de s’associer à TVA pour la diffusion d’événements mondiaux comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du Monde de Soccer.

Il est tout aussi incompréhensible et aberrant de ne pas avoir réagi à la reconnaissance par PKP qu’il prive délibérément l’auditoire de TVA d’une information internationale de qualité, sous prétexte qu’il n’en a « pas les moyens » !

Lorsque Saulnier aborde le bilan de PKP en matière de relations de travail, ce dernier « insiste pour dire qu’en bon journaliste, il faut entrer dans les détails » et d’expliquer qu’« à Vidéotron, il fallait un lock-out pour empêcher le sabotage, protéger les actifs et le service ».

Saulnier aurait pu, « en bon journaliste », lui aussi « entrer dans les détails » et lui demander, par exemple, s’il était nécessaire qu’il plonge dans l’insécurité la plus totale les 664 techniciens de Vidéotron et leur famille, en refusant de négocier et en les vendant à la compagnie Alentron, une filiale d’Entourage.

La journaliste Alexandra Szacka a produit un excellent papier, fort à propos, sur Silvio Berlusconi. Mais la direction du Trente l’a quasiment récusé, pour tenir compte du fait, comme le rapporte Saulnier que, lorsqu’il a abordé le parallèle avec Berlusconi, « PKP est apparu fâché par la question, il n’aime pas ce parallèle ».

Dans son article, Alexandra Szacka souligne que, lorsqu’il accède au pouvoir, en 1994, Berlusconi contrôle 50 % de l’audiovisuel italien, le plus grand groupe publicitaire, et le plus grand éditeur de livres et de magazines, en plus d’avoir derrière lui un quotidien, propriété de son frère.

« Si on ramène à l’échelle du Québec, PKP n’a peut-être pas tant que ça à envier à Silvio Berlusconi », écrit-elle pour justifier la pertinence de son article.

La journaliste de Radio-Canada a interviewé des spécialistes de la politique italienne. Selon l’un d’entre eux, Marc Lazar, « il n’y a pas de doute, la position de Silvio Berlusconi comme grand patron des médias a perverti la démocratie italienne ».

Une opinion partagée par ses autres interlocuteurs. Le journaliste et philosophe Paolo Flores d’Arcasi en tire même l’analyse suivante : « Si avant, la division des pouvoirs était entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, aujourd’hui, alors que le législatif et l’exécutif découlent en général de la même majorité, la véritable division moderne des pouvoirs est entre le pouvoir politique, l’autonomie judiciaire et l’autonomie de la presse. »

Attention aux parallèles avec Berlusconi, nous avait prévenu Saulnier. Non seulement PKP est « fâché » du parallèle, mais il peut devenir menaçant, nous informe-t-il en rapportant ses propos.

« C’est un peu fort de café, pour ne pas dire frôlant la diffamation. En temps et lieu, le cas échéant, si ça devait se renouveler, je prendrai les décisions qui s’imposent. »

Et de conclure Saulnier : « Ses adversaires sont avertis ! »

De toute évidence, Saulnier et le Trente ont reçu le message cinq sur cinq. Bien qu’Alexandra Szacka ait débuté son article en disant « Bien entendu, un océan sépare l’Italien Silvio Berlusconi du Québécois Pierre Karl Péladeau, et pas seulement l’océan Atlantique », la direction du Trente a jugé nécessaire de faire suivre l’article d’une « Note de la direction ».

On y affirme que « le Québec n’est pas l’Italie », qu’il est impossible ici pour PKP de « financer ses campagnes à coups de millions », qu’il n’a pas « la possibilité de devenir propriétaire de la télévision publique fédérale » (juste de contribuer à sa démolition) et qu’on ne peut « comparer le comportement de Berlusconi et celui de PKP » (lire : pas de bunga-bunga dans le cas de PKP).

Plutôt que de plier les genoux, on aurait pu, tout simplement, écarter la menace du revers de la main en rappelant que PKP avait lui-même fait un rapprochement entre Bell et Berlusconi lorsqu’il était monté aux barricades pour dénoncer l’offre d’achat d’Astral par Bell en 2013.

Le titre du reportage d’Alain Saulnier, directeur de contenu au Trente, est : Le malaise PKP. Un sous-titre approprié aurait été : Ici était la FPJQ.