Entre l’inaction d’Ottawa et la peur de la chicane de Québec

Bois d’œuvre : le coût de laisser une autre nation négocier en son nom

2017/06/19

Le nouveau conflit du bois d’œuvre avec les États-Unis met en danger notre industrie forestière et, par le fait même, la santé de nos régions.

Avant même l’élection de Donald Trump, nos voisins du Sud adoptaient la ligne dure et le gouvernement Trudeau avait déjà commencé à se dégonfler.

Depuis cette élection, on comprend facilement qu’on peut s’attendre au pire. Les États-Unis vont continuer à négocier ferme pour protéger leur industrie.

Avant que ne débutent les négociations, les intérêts industriels de Toronto demandent au gouvernement canadien de sacrifier d’emblée la forêt et la gestion de l’offre en agriculture afin de préserver leurs bas tarifs douaniers avec les États-Unis.

Bref, encore une fois, c’est un pan de l’économie du Québec qui risque de passer à la moulinette. Les concurrents états-uniens sont féroces et nous sommes défendus par un gouvernement qui tient peu compte de notre territoire, de nos emplois et de notre économie.

Au Québec, la forêt fait vivre près de 60 000 travailleurs et leur famille : 9 000 en forêt, 27 000 dans la fabrication de produits du bois et 23 000 dans les pâtes et papiers.

120 municipalités dépendent exclusivement de cette industrie. On compte 124 scieries et 2 000 autres entreprises dans la transformation, des usines de panneaux à l’ébénisterie.

Il y a aussi 35 usines de pâtes et papiers et Montréal est la deuxième ville au monde, derrière Helsinki en Finlande, pour le plus grand nombre de sièges sociaux de papetières, avec Résolu, Domtar et Kruger.

Lorsque le secteur du bois d’œuvre est affecté, c’est toute l’industrie qui écope, puisque ses différentes composantes sont complémentaires. Par exemple, ce sont les copeaux de sciage qui alimentent les papetières.

À titre illustratif, la mauvaise entente de 2006 sur le bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis a fait perdre 23 000 emplois au Québec !

La part du Québec au Canada pour l’exportation de bois aux États-Unis était traditionnellement de 24 %, soit à peu près le quart du total. Elle a chuté à 20,5 %, soit le cinquième du total, en 2006, et n’est plus que de 18,5 % aujourd’hui. C’est la Colombie-Britannique qui accapare ce qu’on perd.

En 2006, faute de soutien d’Ottawa, l’industrie québécoise s’est résignée à accepter une entente désavantageuse. Elle n’avait pas le choix ; elle était acculée à la faillite.

L’entente de 2006 servait bien les intérêts de l’industrie forestière de la Colombie-Britannique. Elle a pris fin en octobre 2015 et la trêve d’un an s’est terminée le 12 octobre dernier. D’où l’actuel conflit, qui risque de mener à un résultat semblable à celui de 2006.

L’industrie britanno-colombienne s’accommode bien d’un système de quotas et de tarifs. Avec le climat doux et humide de la région, les arbres poussent beaucoup plus vite qu’au Québec et les coûts de production sont faibles. De plus, les prix sont déterminés par le gouvernement, contrairement au Québec. Les grandes forestières privilégient le volume à la marge bénéficiaire.

Plusieurs de ces forestières possèdent des scieries aux États-Unis et y exportent le bois en billots, qui sont faiblement tarifés. Ce n’est pas le cas au Québec. L’accès à la forêt publique est assorti de l’obligation de transformer chez nous, de façon à augmenter le nombre d’emplois.

L’industrie forestière de la Colombie-Britannique réclame l’adoption, le plus rapidement possible, d’une nouvelle entente du même type que celle de 2006. C’est la position défendue par le Parti conservateur et le NPD. Tout porte à croire que c’est aussi la position du Parti libéral, qui demeure officiellement flou sur la question.

Adopter une nouvelle entente avec quotas et tarifs va directement à l’encontre des intérêts de l’industrie québécoise. Avec notre climat plus froid, les coûts de production sont plus élevés.

Le Québec a choisi d’adopter un nouveau régime forestier, qui permet d’éviter la répétition du conflit avec les États-Unis. Le quart du bois de la forêt publique est vendu lors d’enchères ouvertes. Le prix payé détermine ensuite le prix du marché. Il s’agit d’un processus sans interférence de l’État. La quantité récoltée est déterminée par le forestier en chef, un scientifique indépendant, qui évalue la capacité de la forêt à se régénérer.

Ce modèle s’inspire de la pratique en vigueur chez notre voisin du Sud. Depuis son adoption, le prix du bois québécois a cru de 10 %. Il n’y a donc plus de raison pour que notre bois d’œuvre soit soumis à des tarifs ou des quotas.

Toutefois, jusqu’à maintenant, l’adoption du nouveau régime québécois n’a servi à rien au plan commercial, à cause de l’inaction délibérée d’Ottawa.

Le gouvernement fédéral refuse de présenter notre régime forestier aux États-Unis. Il craint que cela porte ombrage au modèle britanno-colombien, où le prix du bois est déterminé par l’État.

Le Québec se trouve donc dans une situation intenable. Nos producteurs forestiers ont un coût de production plus élevé à cause du climat. Le prix du bois est aussi plus élevé, parce que déterminé par le marché, et donc moins concurrentiel sur le marché des États-Unis.

Le Québec a transformé son régime pour être certain de bien se conformer aux règles de l’ALÉNA et de ne plus subir de tarifs. Or, Ottawa refuse de faire reconnaître ce nouveau régime, et Québec exerce peu de pressions sur Ottawa, parce qu’il veut éviter la « chicane ».

L’industrie forestière demande, de concert avec les syndicats et les municipalités, de lui permettre de présenter et défendre son modèle aux Américains pour ne plus être soumis à des quotas ou tarifs. À Ottawa, seul le Bloc Québécois défend cette position.

D’ici à ce que les négociations aboutissent et qu’un règlement juridique intervienne, notre industrie demande des garanties de prêts pour compenser les tarifs qu’elle se fait imposer, et pour éviter la faillite durant les négociations.

C’est donc toute une bataille à mener pour notre secteur forestier.

Résumons la situation

Aux États-Unis, le secteur financier de Wall Street est le plus grand propriétaire de forêts. Plus l’entente négociée sera protectionniste, plus les actifs prendront de la valeur.

En Colombie-Britannique, l’industrie s’accommode d’une entente avec quotas et tarifs, et exerce des pressions pour son adoption, rapidement.

À Ottawa, le gouvernement et les partis fédéralistes défendent d’abord les intérêts de la Colombie-Britannique.

À Toronto, on demande de sacrifier le bois d’œuvre et la gestion de l’offre en échange de la reconduction des autres clauses de l’ALÉNA.

À Québec, le gouvernement Couillard défend mollement l’industrie forestière, afin d’éviter la « chicane » avec Ottawa.

Si le modèle québécois peut être présenté et défendu avec succès sur le terrain juridique, l’ALÉNA s’appliquerait et notre industrie en sortirait gagnante.

Pour y arriver, l’industrie doit exercer énormément de pression sur Ottawa avec l’appui des syndicats, des municipalités, des élus à Québec et, évidemment, du Bloc Québécois.

Laisser une autre nation négocier en notre nom a un coût. Cette fois-ci, c’est notre industrie forestière et l’économie de nos régions qui écopent.

* L’auteur est député du Bloc Québécois.