Le YES d’Écosse avec un peu de nous chez eux

Un film, à la manière du cinéma direct, de Félix Rose et d’Éric Piccoli

2017/06/19

Août 2014. Quelques semaines seulement avant le référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Simon Beaudry, artiste visuel et ardent défenseur de l’identité québécoise, s’envole vers le pays du kilt où il souhaite créer des performances artistiques aux accents identitaires et des œuvres éphémères mélangeant tradition et modernité.

Dans ses bagages, il transporte des symboles de chez nous. Drapeau unilys, ceinture fléchée, chemise à carreaux, masque de castor orné d’un panache de caribou, et d’une lunette inuit. Par le hublot, pendant le voyage, le mirage d’une chasse-galerie transatlantique. Le ton est donné.

Une fois sur place, Beaudry va d’abord à la rencontre de Samuel Bergeron, un jeune Québécois étudiant à l’université de Glasgow, qui lui servira de guide et de complice pendant le voyage. Tous deux souhaitent vivre les dernières semaines de la campagne référendaire aux côtés des militants du YES Scotland.

Leur parti pris en faveur de l’indépendance et la démarche artistique de Beaudry leur servira de boussole tout au long de la traversée du pays écossais. C’est à ce fascinant périple où se rencontrent art, identité et politique que nous convie le film YES. 

Les deux hommes parcourront l’Écosse en multipliant les performances artistiques improvisées de ville en ville, mais également au cœur de la campagne écossaise, dont une très belle mise en scène sur le site de la célèbre bataille de Culloden.

L’artiste québécois provoque, interroge, interpelle les spectateurs.  Mélangeant habilement les symboles identitaires du Québec et de l’Écosse, il tente d’établir un dialogue sur la quête du pays avec des Écossais de toute allégeance. 

À l’aide de larges rubans gommés blancs, il tapisse parfois les rues et les murs des villes avec les mots yes, freedom ou liberty, provoquant des réactions de toutes sortes. Certains acquiescent, d’autres se rebiffent. Des sympathisants du NO vont parfois même réutiliser le ruban de l’artiste pour tracer leurs propres slogans, reprenant ainsi à leur compte l’intervention publique. Le dialogue a bel et bien lieu. 

Le film, à la manière du cinéma direct — cinéma phare de notre propre quête identitaire avec des cinéastes comme Pierre Perrault, Michel Brault ou Bernard Gosselin — réussit très bien à saisir cette spontanéité du geste, à capter sur le vif les échanges animés entre les deux camps. La caméra parfois brouillon présente avec énormément de respect les réactions incrédules des passants devant les diverses interventions de l’artiste québécois. 

Les cinéastes sont également témoins de l’enthousiasme, qui guide l’artiste au début de son périple, puis ils observent les doutes qui s’installent parfois chez Beaudry. À titre d’exemple, cette rencontre avec un militant du YES, qui souligne qu’ils ont choisi d’écarter tout symbole identitaire dans cette campagne référendaire. Pas de drapeau, pas de kilt, pas de cornemuse. 

L’artiste québécois, qui souhaitait multiplier les interventions en mélangeant fièrement les symboles identitaires écossais et son personnage québécois mythique et fier  (le kilt et la ceinture fléchée, entre autres), en restera soufflé. 

De beaux témoignages de solidarité viennent ponctuer ça et là le film. Comme ce chauffeur de taxi de Glasgow qui, même s’il ne connaît rien du Québec, saluera le projet indépendantiste québécois en lançant amicalement à ses passagers, avant de les laisser descendre: « Alors, bonne chance à vous. Si vous voulez quelque chose, vous devez être quelque chose ». 

Les dix dernières minutes du film offrent un autre moment de solidarité particulièrement touchant. Accom-pagnés d’un groupe de militants du YES Scotland, Beaudry et Gosselin assistent aux résultats du référendum via la télévision. Après l’euphorie des premiers résultats favorisant le camp du YES, la remontée définitive du NO viendra clore abruptement une soirée qui s’annonçait pourtant exaltante. 

Pour les deux Québécois (et pour les indépendantistes d’ici qui, assurément, s’y identifieront), c’est le mauvais rêve qui se répète. La même déception, la même souffrance qu’un certain soir d’octobre 1995. Pour leurs camarades écossais, ce sont les mêmes émotions, les mêmes déchirements. La peur de l’instabilité économique et le peu de confiance en eux auront eu raison du rêve. Bien sûr, le camp du NO promettait du changement pour l’Écosse. Plus d’autonomie, plus de pouvoirs… Ici, on connaît bien. 

Le cinéaste Pierre Perrault disait à propos de son film La Bête lumineuse : « Quand je fais un film, je suis à la chasse. Il y a des pistes et je me laisse inspirer par ces pistes. Au bout, il y a une bête ou il n’y en a pas ». 

C’est un peu à cette même chasse, à cette même quête que nous convient les cinéastes Félix Rose et Éric Piccoli avec leur film YES. Par-delà la déception de la défaite référendaire, demeurent la richesse des rencontres amicales et des multiples pistes artistiques explorées. Ce voyage au cœur de l’Écosse illustre très bien la soif de liberté, d’indépendance et d’humanité qui anime Beaudry et Bergeron. 

Fruit d’une très belle rencontre entre l’art, l’identité, la politique et le cinéma, ce film mérite véritablement le détour. Au gré des rencontres et des échanges, nous en apprenons davantage sur l’Écosse et peut-être même un peu plus sur le Québec. Cette petite odyssée au pays des Highlands aura assurément nourri la quête de nos deux voyageurs. Leur marche vers le pays du Québec n’en sera que plus riche.

À nous maintenant d’y puiser à notre tour.