Témoignage d’un « acteur » culturel

Une chose est sûre, en région, plus un CHSLD est gros, plus il est loin pour les familles

2017/11/03

Je suis chanteur et musicien. Depuis plus de vingt ans, pour gagner mon pain, entre autres activités, je chante dans les CHSLD. Au cours des dernières années, avec l’austérité, des transformations profondes ont affecté le réseau de la santé. Les conditions de plus en plus difficiles dans le réseau public favorisent une explosion de la construction de résidences privées pour les ainés ayant des retraites confortables. 

Le plus souvent, ce sont des tours toutes neuves, avec des stationnements souterrains remplis d’automobiles de modèles récents. Mon travail m’amène à me déplacer inexorablement vers ce réseau privé au détriment du réseau public.

Au fil des années, j’ai développé un rapport personnalisé avec les récréologues qui m’engageaient. À mes débuts, c’étaient souvent des baby-boomers, avec peu de formation, mais des protections salariales, qui leur assuraient une longévité de carrière certaine, et une grande autonomie dans leur département. Il m’a toujours semblé que c’était très bien ainsi puisque, généralement, les gens qui faisaient ce travail semblaient presque toujours dévoués, appréciés par les résidents, et heureux dans leur travail. 

Graduellement, les postes permanents ont été abolis. Les jeunes, mieux formés, pleins de bonne volonté, peinent à se trouver un travail à temps plein. Le roulement de personnel est rapide. La relation personnalisée avec ces jeunes récréologues s’établit plus difficilement, mais je finis par les suivre dans leurs déplacements inter-institutions.  

Autre contrainte : Le vieillissement de la population, combiné au transfert des clientèles vers le privé, amène plus de cas « lourds » dans les CHSLD. Les compressions incessantes démobilisent les infirmières et les préposés aux bénéficiaires, qui n’ont pas le temps ou encore refusent de fournir un effort additionnel pour préparer les résidents à l’activité musicale. 

Dans ce contexte, l’apport des bénévoles devient de plus en plus critique. Mais, bien que la cohorte des baby-boomers avec de bonnes retraites soit la plus engagée dans le bénévolat, on voit déjà les signes du vieillissement de cette cohorte et leur conséquence : Les générations suivantes n’auront ni les moyens, ni le temps de s’engager.

Autre difficulté : le stationnement. Souvent, un musicien doit traîner, avec lui, un équipement sonore adéquat, ce qui veut dire qu’il doit se déplacer en automobile et trouver un stationnement. Les administrations, surtout en milieu urbain, pour des raisons de contraintes budgétaires, et sous prétexte d’une pression populaire favorable au transport collectif, exigent le paiement du stationnement par leurs employés et les familles visiteuses. 

Ils font même, parfois, payer les bénévoles. Pour le musicien, faire valoir qu’il est un fournisseur, au même titre que le boulanger ou le plombier, est peine perdue. Un récréologue, en fin de carrière, peut parfois peser de tout son poids pour obtenir un stationnement gratuit, ou même tricher en allouant un permis de bénévole, mais pour un jeune sans aucune protection, il n’en est souvent même pas question. Ça ne représente que 2 $ à 10 $, mais pour moi, dans ce réseau où les rémunérations sont modestes, ça représente une baisse de salaire nette plus que symbolique. 

Autre difficulté : La prise de décision de fermer ou non une unité de soins pour des raisons d’éclosion de grippe. Cette tendance est allée en augmentant suite aux pressions exercées par certains médias. Pression parfois justifiée, parfois montée en épingle, mais dont on a vécu un paroxysme dans l’hystérie collective lors de l’épisode du vaccin douteux contre le H1N1. Un musicien, qui bloque une date pour un dîner de Noël, n’obtient généralement aucune compensation financière pour la perte de 100 % de revenus à la suite d’un tel événement. 

Sous le nouveau régime libéral, la réforme Barrette a force de loi. Mon métier est directement affecté par une très grande centralisation des services. Le SIUS regroupe les CHSLD et des directives sont émises venant du plus haut échelon pour plafonner les salaires. Dans mon cas, ce plafonnement représente le minimum que j’acceptais, il y a vingt ans, quand j’ai commencé. Dans les faits, ces seuls salaires, comme revenus, représenteraient l’indigence la plus complète.

Concernant la centralisation à outrance, et cela bien avant la réforme Barrette, j’ai déjà constaté une situation ridicule en Montérégie. Des CHSLD avaient l’habitude d’effectuer des collectes de fonds modestes pour financer des activités de loisirs. Des directives venues d’en haut ont imposé le transfert de tous ces maigres profits vers la structure administrative centrale. À partir de ce moment, bien entendu, je n’ai jamais été invité à retourner dans ces CHSLD. 

Un mouvement de centralisation des ressources s’est amorcé pour fermer les petits CHSLD désuets au profit de méga-complexes hospitaliers. Je ne puis pas juger, avec ma seule expérience sur le terrain, de la pertinence de ce genre de décisions. Je suppose qu’au cas par cas, certaines fermetures sont justifiées, d’autres le sont beaucoup moins. Une chose est sûre, en région, plus un centre est gros, plus c’est loin pour les familles, plus le sentiment d’appartenance à un tissu social se défait, et moins il y a de bénévoles. 

Dans mon cas, la cerise sur le gâteau est ce constat. Depuis 2016, mes revenus ayant augmenté au-delà du seuil critique de 30 000 $ par année, je me dois de percevoir la TPS/TVQ pour mes services. Bien que le coût de la vie ait augmenté considérablement depuis l’entrée en vigueur de cette taxe en 1990, le seuil où elle doit être perçue, lui, n’a pas bougé. Comme les salaires baissent et que les frais augmentent (transport, stationnement, équipement), la seule solution est de travailler plus pour plus de revenus. Cependant, lorsque j’arrive avec ma facture, les CHSLD refusent, la plupart du temps, de payer cette TPS/TVQ. Autrement dit, je dois absorber une perte sèche de 15 % sur mon revenu. 

Cette année, le montant que je verserai au gouvernement pour avoir collecté sa TPS représente donc 15 % de mes revenus, dont une partie que j’ai dû absorber moi-même. Si je suis la logique de Mélanie Joly avec Netflix, je revendique la chose suivante : Je refuse de payer la TPS et j’investis vingt-cinq mille dollars sur cinq ans dans mon entreprise. Je me pars un band, j’engage des musiciens, je ne vous garantis pas quel type de répertoire je vais développer. Sera-ce du top 40 américain, du folklore québécois ou encore de la création originale en français ? Bref, j’investirai dans l’économie culturelle du Canada et du Québec.