Un film qui a déjà trouvé son public populaire

La Bolduc, un socle de notre patrimoine culturel

2018/04/20

Enfin, un film sur l’héroïne acadienne Mary Rose Anna Travers (1894-1941), qui faisait l’objet d’une partie importante d’un de mes cours musique, idées et société à l’UQAM. Si les scènes chantées du film illustrent le legs musical principalement irlandais d’un folklore utilisant harmonica, piano, violon, podorythmie, guimbarde et turlute, on y montre aussi les premiers efforts de composition, tributaires d’une rythmique sur le bout des doigts de versification pénible d’un matériel tiré de la vie ordinaire de tous les jours : on est en plein réalisme, critiqué à l’époque par Radio-Canada, qui parlait de « ritournelles primitives », bien loin des effets de poésie qui marqueront plus tard les essais maladroits du soldat Lebrun et les œuvres réussies de Félix Leclerc et de Raymond Lévesque. 

La reconstitution historique met à l’honneur la fille de Lawrence Travers et Adeline Cyr, un des socles de notre patrimoine culturel, car elle chante les titres suivants qui sont pour la plupart ses compositions : La cuisinière, La grocerie du coin, Les Colons canadiens, Y’a longtemps que j’couche par terre et l’entraînant Ça va venir, décourageons-nous pas pour remonter le moral des chômeurs après la crise de 1929 et que j’utilisais pour remonter celui des étudiants lors du Printemps érable. Les Artistes pour la Paix ont d’ailleurs célébré, le 23 avril, dans l’Atrium de l’édifice Gaston-Miron, à la suggestion de Judi Richards, André Gagnon, compositeur, arrangeur, pianiste et chef d’orchestre pour l’ensemble de sa carrière, entre autres son album intitulé Les turluteries datant de 1972, un bel hommage à la Bolduc. 

Soulignons maintenant le jeu de trois des acteurs principaux du film : Debbie Lynch-White en tête, qui ne cabotine jamais et se débrouille pas mal du tout sur scène, Émile Proulx-Cloutier, toujours vrai dans le rôle ingrat du père de famille, dont l’orgueil mâle meurtri par le chômage trouve consolation à la taverne du coin, et la jeune Rose-Marie Perreault, étonnante dans l’émotion qu’elle suscite en illustrant l’enjeu préféministe exploité intelligemment par le film. Par contre, les beaux personnages esquissés par Mylène Mackay (Thérèse Casgrain) et Bianca Gervais (personnage fictif ?) manquent de chair et semblent un peu plaqués sur l’intrigue, qui aurait profité de la présence d’une Simonne Monet-Chartrand, hélas encore une adolescente, fille de juge, dans ces années d’avant-guerre ! 

Quant à la mise en scène de François Bouvier, qui nous a donné l’émouvant Paul à Québec, mais à qui certains critiques comme Georges Privet (Radio-Canada) et Sophie Durocher (Journal de Montréal) ont reproché d’être trop sobre et trop classique. Pourquoi ne pas plutôt l’en féliciter chaleureusement, puisque son pari de cinéma social, campé en des décors réalistes de logements ouvriers, rappelle la qualité et la conviction des films d’après-guerre italiens de Vittorio De Sica ? À la lumière des chiffres de fréquentation impressionnants de sa première semaine en 94 salles de cinéma, surtout peuplées d’aînées, le film saura trouver son public populaire, pour qui l’art doit refléter la vie.

Rappelons que Pierre Jasmin fut directeur de 1984 à 1986 du département de musique à l’UQAM et qu’il avait alors procédé à l’embauche de Gaston Rochon, infatigable associé de Gilles Vigneault, pour la mise sur pied d’un programme de musique populaire, idée fort critiquée à l’époque par les autres universités et le Conservatoire.