L’histoire du long combat coréen pour la liberté

Les sanctions économiques sont des armes de destruction massive

2018/05/18

Le livre Patriotes, Traîtres et Empires retrace l’histoire de la lutte de la Corée pour la liberté, depuis son occupation par le Japon en 1945 jusqu’à aujourd’hui. On ne peut comprendre l’histoire moderne de la Corée sans d’abord comprendre la politique étrangère des États-Unis depuis au moins 1940. 

La Corée est archi-importante pour les États-Unis. Elle partage une frontière commune avec la Chine et la Russie, deux pays que Washington considère comme ennemis. Depuis 1940, les États-Unis veulent y jouer un rôle dominant, surtout pour contrer en Asie orientale des mouvements communistes et de libération nationale.

Les Coréens du Nord et du Sud s’inspiraient de l’exemple de l’Union soviétique, dont le prestige était grand, particulièrement parmi les peuples qui avaient souffert sous les puissances de l’Axe. 

Or, les États-Unis favorisaient plutôt l’intégration forcée de la Corée dans l’empire japonais. Une entente de reconnaissance mutuelle de leurs colonies réunissait Washington et Tokyo : Les Philippines aux États-Unis, la Corée au Japon. 

Les troupes américaines débarquent donc en Corée un mois après la capitulation du Japon. Entretemps, les Coréens du Nord et du Sud avaient comblé le vide avec la mise sur pied de leur propre gouvernement national. Le 6 septembre 1945, deux jours avant l’arrivée des Américains, ils proclamaient la République populaire de Corée. 

Les États-Unis refusent de reconnaître le nouveau gouvernement, qui heurte de front leurs plans d’expansion en Asie. La partition de la Corée commence lorsque Washington trace la ligne de partage au 38e parallèle, séparant les zones d’occupation soviétique et américaine. L’entente prévoit l’occupation du pays pendant un maximum de 5 ans. L’URSS se retire à la fin de 1948 ; les Américains refusent de se retirer. Leurs troupes de combat quittent le pays à l’été 1949, mais des conseillers militaires restent en poste. Un an plus tard, Washington y déploie à nouveau ses troupes de combat. Elles y sont toujours ! 

Pour écraser la nouvelle république, les États-Unis recrutent les collaborateurs de l’occupation japonaise, y compris d’anciens membres de l’armée japonaise. Ces collabos dirigeront l’État que Washington met en place sous son commandement, soit la République de Corée ou la Corée du Sud. Elle devient rapidement une dictature militaire où l’état-major, formé d’anciens de l’armée japonaise, se rapporte à un général américain. Quel contraste avec la Corée du Nord, fondée par des guérillas de la résistance anti japonaise (1932-1945) ! 

Kim Il-sung, grand-père de Kim Jong-un, est le dirigeant le plus important de la résistance, si bien que les Japonais créent une unité spéciale « anti-Kim Il-sung ». D’ailleurs, l’historien Bruce Cumings fixe à 1932 le début de la guerre de Corée, soit lors de la création de la guérilla par Kim Il-sung. Cette guerre qui oppose patriotes et traîtres est menée aujourd’hui par leurs descendants. 

Porte-avions stationnaire 

De 27 000 à 32 000 militaires états-uniens occupent la Corée du Sud et le Pentagone détient toujours le contrôle opérationnel des forces armées sud-coréennes. Les troupes sud-coréennes ont combattu au Viêt Nam, en Afghanistan et en Irak sous commandement américain. Alors qu’on qualifie d’agressives les forces nord-coréennes, elles n’ont jamais combattu hors des frontières coréennes. 

Les États-Unis ont récemment construit le « Camp Humphreys » sur le site d’une ancienne installation militaire japonaise, symbole d’une occupation qui succède à l’autre. Cette base est la plus grande « plateforme de projection de leur puissance » dans le Pacifique et serait même la plus importante base militaire au monde. 
Pour les Coréens du Nord, la Corée ne peut être indépendante sans que soit mis fin à l’occupation militaire de la Corée. Washington et Pyongyang ont donc des objectifs mutuellement exclusifs. Mais de quel droit démocratique ou géographique sur la Corée Washington peut-il se prévaloir ? 

Le nucléaire

L’idée voulant que l’antagonisme de Washington résulte du développement de l’arme nucléaire par Pyongyang inverse la séquence de cause et effet. La Corée du Nord possède l’arme nucléaire en réponse à l’hostilité des États-Unis. Cette hostilité ne date pas de l’explosion d’une première bombe atomique nord-coréenne en 2006, mais bien de 1945, lorsque les États-Unis décident d’écraser le premier État coréen créé par les Coréens. 

Lorsque le New York Times a demandé à John Bolton, l’actuel directeur du Conseil de la sécurité nationale à Washington, de décrire la politique américaine à l’égard de la Corée du Nord, lorsqu’il était chargé des questions de désarmement au Département d’État sous George W. Bush, il a sorti un livre en disant : « Ça, c’est notre politique ». Le livre s’intitulait The End of North Korea. (1) (La fin de la Corée du Nord).

Sanctions de destruction massive

La politique américaine consiste à détruire l’économie de la Corée du Nord, notamment en :

- Interdisant l’exportation de biens vers la Corée du Sud depuis 1948 ;
- Isolant Pyongyang du système bancaire mondial ;
- L’excommuniant du système du commerce international.

Une guerre économique provoque une souffrance humaine énorme. Le blocus naval de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale a entraîné environ 750 000 décès parmi les civils. Les sanctions imposées à l’Irak pendant les années 1990 ont causé la mort de plus de 500 000 enfants de moins de 5 ans, selon l’ONU.

Alors que le rappel des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, où 200 000 personnes mortes, nous font frissonner, les sanctions économiques ne nous font pas frissonner. Mais leur imposition a coûté la vie à un plus grand nombre de personnes que les bombes atomiques…

Dans la revue Foreign Affairs, John et Karl Mueller ont démontré que, au cours du 20e siècle, les sanctions avaient entraîné plus de décès que toutes les armes de destruction massive de l’histoire. La Corée du Nord a été objet de sanctions plus lourdes et d’une durée plus longue que tout autre pays.

Washington exerce une pression militaire constante pour forcer Pyongyang à affamer la population afin de financer la défense nationale. Le Pentagone organise des exercices militaires annuels, y déployant jusqu’à 300 000 soldats. Il exhibe des systèmes d’armes capables de porter des bombes atomiques. Ces exercices sont identiques à la mobilisation qui précède une invasion. Chaque fois, la Corée du Nord doit mobiliser des ressources inouïes. 

Les dépenses militaires nord-coréennes sont pourtant minimes à l’échelle mondiale (de 3 à 10 milliards $ par an), beaucoup moins que la Corée du Sud (40 milliards $), infiniment moins que les États-Unis (700 milliards $).

En 2002, Washington a déclaré la guerre à la Corée du Nord en l’incluant dans « l’Axe du Mal », sur une liste de 7 pays considérés comme des cibles possibles d’une frappe nucléaire. Quand Bagdad est tombée en 2003, John Bolton a dit que les Coréens du Nord pouvaient en « tirer leurs propres leçons ». Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord a tiré la leçon que Bolton avait évoquée. Elle a fait exploser une bombe nucléaire. Un principe de la non-prolifération : Ne lancez pas de menaces existentielles à des États non nucléaires. Ces États pourraient mettre au point des armes nucléaires pour se défendre. Les États-Unis violent ce principe constamment, en menaçant de réduire la Corée du Nord en braises. Bref, la Corée du Nord possède l’arme nucléaire pour sa légitime défense. Qui peut le nier ? 

La liberté semblait être à portée de main pour les Coréens en 1945, après 40 ans de combat contre la tyrannie japonaise. L’espoir de liberté des patriotes coréens a été tué par les États-Unis.

Plusieurs années seront peut-être nécessaires pour que les Coréens atteignent ce que la Charte de l’ONU promet à tous les États : l’égalité et l’indépendance. Mais les rêves des Coréens – d’une Corée unie et indépendante – se réaliseront, grâce à leur propre combat, mais aussi avec le soutien et la solidarité des gens, qui tiennent à un ordre international d’États égaux et souverains.

Ce texte est un résumé de la conférence prononcée par Stephen Gowans le 7 mai 2018 à Montréal lors du lancement de son nouveau livre, Patriots, Traitors and Empires, The Story of Korea’s Struggle for Freedom (Baraka, 2018). Traduction de Robin Philpot. (Les droits français pour ce livre sont disponibles). Stephen Gowans est aussi l’auteur de Washington’s Long War on Syria (Baraka 2017).

1. The End of North Korea, Nicholas Eberstadt, Aei Press (1999).