Des questions sur ses actifs de 10 millions $

L’étrange volte-face de François Legault lors du scandale des Fier (2012)

2018/10/05

Au cours de la campagne électorale, François Legault a publié ses états financiers avec un actif de près de 10 millions $. Dans Le mirage François Legault (VLB Éditeur, 2012), le journaliste Gilles Toupin nous met sur la piste de cet enrichissement en rappelant l’étrange comportement de Legault lors du scandale des FIER au printemps 2009. Ces Fonds d’intervention économique régionale (FIER) avaient été mis sur pied par le ministre des Finances Yves Séguin pour aider les entreprises à obtenir du capital de risque. 

Porte-parole du PQ en matière de finances publiques, Legault avait découvert que certains dirigeants de FIER avaient investi de l’argent dans leurs propres entreprises et il étalait sur la place publique des pratiques fort douteuses. 

Si bien que le ministre Bachand s’était vu contraint de demander au vérificateur général de faire enquête sur tous les projets qui avaient profité des FIER. Son rapport, publié le 2 décembre 2009, confirmait les allégations de laxisme dans la gestion des FIER. 

Par sa maîtrise du dossier, Legault triomphait. Mais, nous apprend Toupin, « presque du jour au lendemain, François Legault ne voulut plus poursuivre ses charges à fond de train contre le gouvernement dans cette affaire ». Que s’était-il donc produit ? 

Selon Toupin, l’événement déclencheur est le fait que « le 30 avril 2009, alors qu’il se trouvait dans le Salon rouge de l’Assemblée nationale, François Legault reçut la visite impromptue d’un huissier qui lui tendit une mise en demeure de la firme d’avocats McCarthy Tétrault qui, au nom de ses clients Pietro Perrino et Valier Boivin – explicitement mis en cause dans le scandale des FIER –, lui faisait une demande formelle de rétractation ». 

Toupin rapporte les propos d’un proche collaborateur de Legault : « Il était complètement paniqué et il avait peur pour son portefeuille ; pour sa fortune personnelle. Il était très difficile de le raisonner. Nous avions beau lui rappeler que ses propos avaient été tenus en chambre et qu’il jouissait de l’immunité parlementaire, il ne voulait rien entendre. Nous lui disions que d’autres députés collectionnent sans conséquence les mises en demeure du genre, que le stratagème de Perrino et Boivin n’avait pour seul but que de le faire taire, qu’il ne devait pas s’inquiéter… il n’y avait rien à faire pour le rassurer. » 

À partir de ce moment-là, Legault recule. Il ne veut plus toucher au dossier des FIER. A-t-il eu d’autres menaces, plus discrètes, touchant son portefeuille d’actions ? 

L’entrée en scène 
de Charles Sirois 

Au moment où Legault amorce son virage, l’aile parlementaire du PQ découvre, nous apprend Toupin, que la personne qui a, au Québec, le plus d’intérêts dans les FIER est Charles Sirois, un proche de Charest, mais qui sera plus tard, le cofondateur de la CAQ ! 
Les recherchistes du PQ découvrent que Sirois, à la tête du holding Telesystem, est un acteur central des FIER et que les sommes en cause sont beaucoup plus importantes que dans le cas de Perrino et Boivin. 

Citons à nouveau Toupin : « Les péquistes décident donc de foncer et de mettre en cause Charles Sirois dans le dossier des FIER à l’Assemblée nationale. Les questions sont rédigées. Il est pour ainsi dire minuit moins cinq, et tout est prêt pour lancer la frappe. Mais François Legault dit non ; il refuse de faire le travail. Il s’abstient complètement. Pour s’en justifier, il se lève au caucus et annonce aux autres députés qu’il ne veut plus “salir des réputations” – lui qui jugeait encore quelques jours plus tôt qu’il était pleinement justifié de dénoncer les abus commis par ceux qui avaient utilisé les FIER à mauvais escient. » 

Devant le silence de Legault, c’est le député François Bonnardel de l’ADQ qui s’empara de l’affaire, de façon maladroite parce qu’il ne maîtrisait pas aussi bien le dossier que François Legault. 

Fausse sortie 

En juin 2009, Legault annonce qu’il quitte la vie politique. Selon Toupin, « il confie également à des collaborateurs qu’il a perdu de l’argent dans la crise économique de 2008 et qu’il aimerait bien se refaire dans le privé ». 

Mais il semble bien que l’adieu à la vie politique était plutôt feint que sincère. Dans son long reportage consacré à la CAQ dans le magazine L’Actualité, (Dans le ventre de la CAQ, mai 2012), le journaliste Alec Castonguay écrit que, pendant que Legault roulait vers Montréal avec son adjoint, Martin Koskinen, la sonnerie du cellulaire s’est fait entendre. « La voix grave de Lucien Bouchard retentit dans le téléphone. L’ancien Premier ministre péquiste, qui a recruté Legault en 1998, le félicite pour son départ. “C’est le moment de prendre du temps pour toi” dit-il, avant d’ajouter d’un ton sérieux : “Il est aussi temps de penser à ton avenir politique.” » 

On connaît la suite. Sirois et Legault vont s’associer et fonder la CAQ, avec l’appui de Pierre Karl Péladeau de l’empire Québecor, et la bénédiction du gouvernement Harper et de Bay Street. Rappelons que Charles Sirois était alors le président du conseil de la Banque Canadienne Impériale du Commerce (CIBC), la deuxième banque en importance au Canada, traditionnellement liée au Parti conservateur. 

On connaît la suite des événements, mais on ne sait rien des tractations qui se sont déroulées entre Charles Sirois et François Legault, sous le parrainage de Lucien Bouchard. L’a-t-on aidé à se « refaire » financièrement ? Touche-t-il un salaire secret comme dans le cas de Jean Charest ? Ou a-t-il plutôt reçu pour sa conversion au fédéralisme des actions d’entreprises ?