Plus l’anglais avance, plus le français recule

L’école québécoise asphyxiée par la Loi sur les langues officielles

2018/10/05

La place qu’occupe l’anglais au primaire et au secondaire dans les écoles françaises du Québec a augmenté de façon spectaculaire dans les 15 dernières années. En 2001, sous le règne du PQ, des cours d’anglais ont été instaurés dès la troisième année du primaire. En 2006, sous le règne du PLQ, l’anglais a été imposé dès la première année du primaire. En 2011, encore sous le PLQ, une « mesure » d’anglais intensif visant à imposer cinq mois d’anglais à temps plein de façon « exclusive » en sixième année du primaire a été annoncée par Jean Charest. Une moitié d’année en anglais venait couronner tout le cycle du primaire : Tout un symbole et un puissant message sur la place et le rôle que cette langue doit occuper dans la société québécoise, selon le PLQ. On connaît la suite. En campagne électorale, le PQ a promis de renverser la mesure et de mettre « moins d’anglais, plus d’histoire ». Une fois au pouvoir, le PQ n’a rien fait. Résultat ? L’anglais « exclusif » en sixième année est devenu une norme.

Au secondaire, les programmes d’anglais « enrichi » sous toutes les formes possibles sont légion. Certains élèves du secondaire passent maintenant le tiers de leur temps à faire de l’anglais. Encore mieux, on leur offre de l’anglais « langue maternelle ». Y a-t-il meilleur moyen de flatter l’ego du colonisé que de lui proposer la langue du colonisateur comme « langue maternelle » ? 

Au Québec, des cours d’anglais sont obligatoires chaque année, de la première année du primaire jusqu’à la fin du cégep. Et, souvent aussi, à l’université. Le Québec impose la même langue seconde de manière systématique chaque année de chaque cycle d’études à travers tout son système d’éducation. Mentionnons qu’il n’existe pas de symétrie dans les écoles anglaises, celles-ci pouvant moduler les cours de français de façon plus libre. 

Quand on examine attentivement la structure du système d’éducation au Québec, force est de constater qu’il s’agit d’un système d’éducation « semi-bilingue ». « Bilinguisme », ici, étant un mot piégé qui donne l’impression d’une liberté de choix de la langue seconde. Ce qui n’est pas le cas. Le mot approprié est « diglossie », définie comme la coexistence de deux normes linguistiques sur le même territoire. Le système d’éducation de langue française au Québec est un système qui incorpore implicitement, dans sa structure même, une diglossie asymétrique. Il place le français et l’anglais en concurrence et, de plus, il accorde à ce dernier un statut privilégié. L’anglais est de plus en plus ouvertement promu comme un apprentissage à faire primer sur le reste. Loin de nous « ouvrir sur le monde », ce dédoublement nous ramène en arrière. 

Pourquoi cette régression ? Une réponse m’est apparue à la lecture de l’excellent livre d’Éric Poirier, La Charte de la langue française : ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption. Alors que quasiment toute la Charte originale a été réécrite par la Cour suprême du Canada, celle-ci n’a pas encore osé faire tomber la restriction d’accès à l’école anglaise pour rétablir le « libre choix », principe qui serait plus en phase avec la Loi sur les langues officielles fédérale. Il existe un important conflit entre la Loi sur les langues officielles fédérale basée sur le principe de personnalité (le « libre choix ») et la Charte de la langue française, basée sur le concept des droits collectifs. M. Poirier écrit : « Certes, une succession d’interprétations restrictives pouvait laisser croire que le prochain chapitre du roman allait voir triompher le libre choix de la langue d’enseignement. Or, les tribunaux ne pouvaient ignorer l’histoire législative du Québec. La meilleure décision était, à tout prendre, d’interpréter restrictivement les droits du français tout en s’assurant de ne pas ramener ce libre choix ».
Notons que M. Poirier écrit également : « Le professeur Foucher confirmait qu’il est maintenant reconnu et accepté que la Cour suprême du Canada ne vit pas dans un vacuum et qu’elle est consciente des enjeux politiques des litiges qui lui sont soumis ». La Cour suprême tient compte du contexte politique dans ses décisions. On s’en doutait. Dans un autre excellent livre, soit La Bataille de Londres de Frédéric Bastien, l’auteur prouve que le juge en chef Bora Laskin a transmis, lors du rapatriement de la constitution en 1982, des informations confidentielles sur les délibérations de la Cour 
à des personnalités britanniques. L’indépendance du judiciaire et du politique n’est pas chose acquise au Canada. 

Pourquoi la Cour suprême n’a-t-elle pas (encore !) ramené le libre choix ? Les juges savaient que rétablir brutalement le libre choix aurait des répercussions probablement importantes au Québec. Dans l’esprit populaire, la restriction d’accès est le cœur même et la mesure phare de la loi 101. La cour a procédé de façon plus astucieuse en grignotant progressivement les clauses scolaires de la loi 101 pour élargir progressivement l’accès à l’école anglaise, tout en ayant l’air de préserver le cœur de la loi. 

L’autre volet de la réponse concerne la conversion progressive de l’école française au Québec à l’esprit de la Loi sur les langues officielles, voire sa soumission à l’idée implicite dans cette loi que l’anglais doit être la « langue commune » du Canada. En effet, en spécifiant que des services en français doivent être disponibles seulement là où le « nombre le justifie », la Loi sur les langues officielles a ouvert toute grande la porte à la domination du groupe le plus nombreux sur le groupe le moins nombreux, a mari usque ad mare partout au Canada.  Cette loi est un chef-d’œuvre d’hypocrisie. Cette conversion a aussi été facilitée par la domination d’un certain discours économique, qui a tenté de présenter comme « naturelle » et inévitable la domination de l’anglais comme langue de l’économie et des échanges mondialisés. 

Cette mise en place d’une diglossie asymétrique dans notre système d’éducation ne produit pas seulement la confusion quant à la place que le français doit occuper au Québec, elle a des incidences politiques directes et majeures. Un très intéressant papier publié dans The Economic Journal en 2013, Education, Language and Identity, a analysé l’impact de la scolarisation en catalan à partir de 1983 sur les intentions de vote en Catalogne. Il en ressort qu’il existe une relation claire entre la longueur des études en catalan, l’intensité du sentiment d’identité catalane et les intentions de vote en faveur d’un parti nationaliste en Catalogne.

A contrario, la place grandissante de l’anglais dans les écoles françaises au Québec aura des impacts qu’il ne faut pas sous-estimer : Érosion progressive du sentiment d’identité québécoise et substitution de la notion d’une identité française du Québec par une identité « bilingue », comme c’est le cas pour les francophones hors Québec, sont deux conséquences évidentes. Cela aura certainement des effets sur les intentions de vote des cohortes scolarisées dans ce système. Cela est-il déjà en train de se passer ? On peut se poser la question quand on constate que le parti politique le plus populaire chez les 18-24 ans est le Parti libéral du Québec. Les fédéralistes ont bien travaillé.