Une impitoyable dépossession appelée sous-développement

2019/03/22

Le sous-développement n’a pas toujours existé. C’est une création de notre époque. Il est né – et le nom et la chose – des décombres de la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit dévastateur a créé les conditions favorables à l’avènement d’un nouvel ordre économique et géopolitique mondial, dominé par les États-Unis d’Amérique.

Dans son discours inaugural du 20 janvier 1949, le président Harry Truman, annonce qu’il existe dans le monde des « régions sous-développées » où règnent la maladie, la misère et la famine. Ces régions – l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes – affichent un retard lamentable par rapport aux pays développés. Les États-Unis, explique-t-il, peuvent et doivent les aider à rattraper ce retard. Comment ? En leur fournissant des vivres, des capitaux et des techniciens. Il enjoint les autres pays avancés à suivre cet exemple. C’est le lancement de ce qu’on appellera l’aide publique au développement (APD), la plus grande croisade de tous les temps.

Or, contrairement à ce qu’a édicté le président Truman, à la suite des économistes conventionnels de l’époque, le sous-développement n’est ni un retard ni une différence d’étape dans la croissance économique. C’est plutôt une différence de position et de fonction à l’intérieur de la structure économique mondiale. La fonction des pays du Tiers-Monde dans ce système consiste à fournir des matières premières et une main-d’œuvre bon marché, ainsi qu’un vaste débouché pour les biens et services des pays industrialisés. 

À noter que les pays aujourd’hui industrialisés ont pu passer par des périodes de stagnation et de non-développement, « mais ils n’ont jamais connu le sous-développement au sens actuel du terme ». (Merci André Gunder Frank, Le développement du sous-développement, Paris, Maspero, 1972, p. 238)  

Le véritable nom 
du sous-développement, 
c’est la dépossession et la dépendance organisées. Le développement, 
c’est le faire soi-même

Ce sont les outils qui lancent toute avancée dans la production de biens et de services. Des outils que la communauté peut et doit contrôler. Pour connaître les ressorts de ces outils, elle doit les inventer et les fabriquer elle-même. Ou encore, si elle les emprunte d’une autre société, il faut qu’en les acquérant elle apprenne à les contrôler. 

Or, une communauté ne peut inventer et fabriquer ses propres outils que si des membres de celle-ci peuvent être libérés pour se consacrer à des tâches de recherche et développement. Cela n’est possible que si ladite communauté dégage des surplus, en produisant plus qu’elle ne consomme. Toutes les sociétés peuvent produire plus qu’elles ne consomment, serait-ce au prix d’un mode de vie plus frugal. Cela s’appelle l’épargne. Cette épargne peut alors être investie dans la fabrication d’outils et d’équipements de production.

Ce processus d’accumulation de surplus commence par l’agriculture vivrière. Lorsque la production agroalimentaire débouche sur un marché local, producteurs et acheteurs se donnent la main pour créer une économie circulaire destinée à satisfaire les besoins de la population. Le même circuit pourra s’étendre au niveau régional. 

En somme, le véritable nom du développement, c’est la capitalisation à partir de son propre savoir et de ses propres instruments de production. 

Comme l’énonce le dicton latino-américain : No hay desarrollo sino a partir de su propio rollo : il n’y a de développement qu’à partir de sa propre enveloppe. 

Le peuple haïtien peut-il s’arracher 
des griffes d’une oligarchie nationale et internationale ?

Un pays sous-développé peut-il échapper à la dépossession et en arriver à se posséder lui-même ? Les auteurs haïtiens et québécois du livre recensé, le mois dernier, dans les pages de l’aut’journal tentent d’apporter une réponse à cette lancinante question. (1) 

• D’abord commencer par le commencement : se nourrir soi-même ; c’est la première des souverainetés. 

• Développer une agriculture vivrière qui débouche sur un marché local et enclenche ainsi une économie circulaire. 

• Mettre en commun la petite épargne locale et régionale, par la création de caisses d’épargne et de crédit au service des paysans, des regroupements de femmes et des petites et moyennes entreprises artisanales. 

• Tisser des liens entre la multitude d’organisations de la société civile, surtout les organisations paysannes, les regroupements de femmes et les associations d’intellectuels progressistes.

• Créer une vaste coalition susceptible de s’imposer comme un « véritable acteur social » : « Un acteur collectif capable de mener des actions visant la transformation profonde de la société, de la culture et de l’économie ».

(1) Yves Vaillancourt, Christian Jetté et alii, Une coopération Québec-Haïti en agroalimentaire, L’économie sociale et solidaire en mouvement, Presses de l’Université du Québec, 2018. Voir aussi l’excellent article de Louis Favreau et Lucie Fréchette, « Comment “aider” Haïti aujourd’hui », Le Devoir, 19 février 2019.