Québec finance l’anglicisation à grande échelle

Les anglophones minoritaires dans les cégeps… anglophones

2019/05/17

Dans son rapport, l’Office québécois de la langue française (OQLF) nous livre une analyse de l’évolution de la langue d’enseignement au collégial. On y apprend qu’« en 2015 les collèges anglophones comptaient une plus grande proportion de nouvelles personnes inscrites de langue maternelle française (28,2 %) ou autre (33,2 %) que de personnes de langue maternelle anglaise (38,5 %) ». Autrement dit, les anglophones sont maintenant minoritaires dans les cégeps… anglophones !

À Montréal, où les cégeps anglophones sont concentrés, cela s’accompagne d’une baisse de clientèle de 5,4 % dans les cégeps de langue française de 2013 à 2017. 

Les demandes d’admission au premier tour dans les cégeps anglophones croissent beaucoup plus vite que le nombre de places offertes dans ces institutions. A contrario, les demandes d’admission dans les cégeps de langue française sont en forte baisse (-10 % de 2013 à 2017). Comprenons ceci : le mécanisme de financement des cégeps limite le nombre de places dans les cégeps de langue anglaise. Si ce n’était pas le cas, la baisse de fréquentation des cégeps francophones serait encore plus brutale qu’elle ne l’est actuellement.

De nouvelles données

J’ai obtenu du ministère de l’Éducation les dernières données sur les nouveaux inscrits au cégep. Ces chiffres incluent la période 2018-2019 (l’OQLF a arrêté sa compilation en 2015). 

Pour le DEC général (préuniversitaire + technique), on constate que le pourcentage d’inscrits au cégep français passe de 81,7 % en 2013 à 80,3 % en 2018, soit une baisse de 1,4 point en 5 ans. La baisse est d’environ 0,4 point par année. Toujours vers le bas.

Pour le DEC préuniversitaire, le pourcentage d’inscrits au cégep français passe de 75,7 % en 2013 à 73,7 % en 2018, soit une baisse de 2,0 points en 5 ans. La baisse, encore plus rapide que celle pour le DEC général, est d’environ 0,5 point par année. Toujours vers le bas. 

Si on regarde maintenant le DEC préuniversitaire à Montréal seulement, le pourcentage d’inscrits au cégep français est de 53,2 % en 2018-2019. Si la tendance se poursuit, à Montréal, une majorité d’étudiants seront bientôt inscrits au DEC préuniversitaire dans les cégeps anglais. Toujours vers le haut donc…pour l’anglais !

Division dans le monde du travail

Ce qui maquille quelque peu l’érosion de la fréquentation dans les cégeps français, c’est la stabilité des inscriptions dans les DEC techniques, un secteur bien plus important du côté francophone que du côté anglophone. L’ancienne division linguistique du monde du travail, avec les anglophones accédant proportionnellement plus aux études supérieures que les francophones, est encore opérante au Québec en 2019.

Puisque la fréquentation du cégep anglais conduit souvent à fréquenter l’université en anglais et vers un emploi où la langue de travail est l’anglais, le gouvernement du Québec finance l’anglicisation à grande échelle de Montréal. Rien de moins.

Cependant, sans surprise, l’OQLF tente de se faire rassurante en parlant de simples « fluctuations », accompagnées des sempiternels appels à la  
« vigilance ». Dormez braves gens, l’on s’occupe de tout.

En 2011, Pierre Curzi avait réussi à faire adopter dans le programme du Parti Québécois l’extension des clauses scolaires de la Loi 101 au cégep. C’était là un acte de courage, de lucidité, et j’oserais dire : de grandeur. On connaît la suite : l’élite péquiste a enterré la chose à la première occasion venue. Mais un problème ignoré ne disparaît pas pour autant. Malgré l’indifférence, la question du cégep français devient chaque année plus brûlante.

Notre élite politique actuelle a peur du prix à payer pour mettre en place une « Loi 101 au cégep ». Mais ce faisant, elle a perdu de vu le prix payé, et payé en espèces sonnantes et trébuchantes, chaque année, en laissant pourrir la situation comme elle le fait. Ce prix – exorbitant – est l’effondrement graduel du système d’éducation postsecondaire de langue française et l’érosion du français comme « langue commune » à Montréal. Il faut agir.