Un médecin pour les plus mal pris

Benoît Deshaies, fondateur de la Polyclinique médicale populaire

2019/05/17

C’est l’impact de la mort prématurée de son père Alphonse, due à une silicose, qui amène Benoît Deshaies à s’intéresser à la défense des accidentés du travail. Cette maladie sournoise s’était développée par son travail dans une fonderie de Joliette. De plus, on refusa de reconnaître la silicose comme une lésion professionnelle, ce qu’il trouva fort injuste.

Benoît Deshaies décide donc de devenir médecin et, après l’obtention de son diplôme à l’université de Montréal, il se spécialise en chirurgie à l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie. Refusant l’offre de demeurer aux États-Unis, il revient à Montréal, comme médecin de famille et chirurgien, nous sommes à la fin des années 1950. En travaillant dans différents hôpitaux, il se rend compte que les plus ébréchés de la société sont souvent laissés seuls avec leur problème d’accident de travail et leur incapacité d’obtenir de l’aide pour améliorer leur sort. 

Il se rapproche donc du milieu syndical afin de mieux cerner les besoins des travailleurs et bien comprendre comment il pourra les aider. Le 1er mai 1967, jour de la Fête des travailleurs, il crée, avec Jean-Claude Ménard de la FTQ, la Polyclinique médicale populaire. Elle est située dans l’ancien faubourg à m’lasse, sous le pont Jacques-Cartier. Dans ce quartier populaire, la clientèle ne manque pas et les débardeurs du port de Montréal sont parmi les premiers à profiter des services de cette Polyclinique. Plus tard, Benoît Deshaies se dira tout fier de voir qu’un de ses petits-fils était devenu débardeur. La Polyclinique grossit et vient même à compter une quarantaine de médecins et autres employés au service des travailleurs accidentés.

Au début de sa pseudo retraite en 1998, il confie la direction de la Polyclinique à sa fille Lise-Anne et met sur pied la Fondation du Dr Benoît Deshaies pour payer les frais encourus pour la défense des accidentés devant les organismes comme la CSST, devenue depuis la CNESST (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail). Défendre les accidentés du travail ou de la route, ce n’est pas un service très apprécié par les médecins, d’où la difficulté d’en recruter. Les médecins n’aiment pas aller plaider devant les avocats de compagnies ou autres employeurs. Ils font face à une lourdeur administrative, et même parfois judiciaire, pour traiter ce type de dossiers. De plus, ces médecins sont moins bien payés, même si Québec offre une prime de 30 % à ceux qui traitent ce genre de dossiers. 

La Polyclinique n’a pas bonne presse auprès du gouvernement et des employeurs parce qu’elle coûte cher. Un jeune accidenté, qui réussit à faire reconnaître sa situation et à gagner son dossier devant un des organismes mentionnés, devient indemnisé pour plusieurs années. Ça coûte cher. Chercher des médecins a donc obligé Benoît Deshaies à passer de longues heures à tenter d’en recruter, souvent en vain. 

En 2001, à l’âge de 75 ans, il décide de prendre sa vraie retraite... Pour lui, la retraite était un mot pour les flâneurs ! Il continue donc d’offrir ses services comme analyste pour des cas d’accident de travail, tout en veillant à l’avenir de la clinique et sa Fondation. 

Benoît Deshaies est fidèle à ses convictions jusqu’à la fin. Pour ses funérailles, il choisit, non pas une grande compagnie américaine ou canadienne, mais la Coopérative funéraire du grand Montréal. Il est décédé, le 7 avril 2019.