Pierre Bourgault : une voix qui nous manque

Le portulan de l’histoire

2019/06/14

Tout le monde est intelligent à 20 ans et avec un peu de chance on le redevient à 60 pour écrire ses mémoires. La phase difficile est de ne pas cesser de l’être entretemps. Pierre Bourgault y est parvenu. Ce qui est très rare. 

En écrivant le Feuilleton de Montréal (Stanké/SRC), année par année, j’en ai croisé seulement deux à faire preuve d’une intelligence et d’une lucidité politique constante pendant plus de 40 ans au XXe siècle : André Laurendeau et Pierre Bourgault. En plus d’avoir été tous deux chefs d’une formation politique marginale, le Bloc populaire et le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), tous les deux ont rendu des jugements politiques à chaud que le recul du temps confirme.

Comme il se doit, l’entrée en politique du plus jeune a débuté par un pied de nez à son aîné. « Vous êtes une génération qui ne bâtit plus rien que sur des désillusions », lance Bourgault à l’éditorialiste du Devoir qui se souvient peut-être d’avoir lancé le Mouvement Jeune-Canada, une trentaine d’années auparavant, lors d’une assemblée au Gesù (1933) où il déclarait : « Nous protestons contre cet état de choses qui consacre la supériorité d’une race pour l’humiliation d’une autre. Souvenons-nous que nous ne serons maîtres chez nous que si nous devenons  dignes de l’être ». 

Dès la première assemblée du RIN, en 1961, au Gesù, devant 600 personnes, Bourgault annonce la couleur : « Finis les monuments aux morts ! Désormais, nous élevons des monuments aux vivants. Ils seront faits de notre indépendance et de notre liberté ! » Le lendemain, La Presse titre : « Bourgault le poète ! » L’orateur avait mis 40 heures pour écrire ses phrases à la Bossuet.

Il devient un tribun dont la première qualité est la clarté et sa force de conviction est de faire appel à l’intelligence. Avec lui, on a l’heure juste. (1963) « C’est par souci d’internationalisme que je suis devenu nationaliste parce qu’on ne peut espérer participer à une vie internationale sans d’abord exister chez soi. » L’indépendance ne se résume pas à une revendication politique ou culturelle.

(1963) « L’indépendance en soi, ça ne veut rien dire ! Il faut que l’indépendance s’accompagne de la Révolution sociale. »

Pourquoi l’extrémisme fait-il peur ? « Si l’indépendance était une solution extrémiste, tous les pays indépendants seraient extrémistes. Il n’y a que des colonisés qui peuvent traiter d’extrémistes ceux qui parlent d’indépendance. »

En 1967, le général de Gaulle reprend le slogan du RIN « Vive le Québec libre ! ». Contrairement à tous les hommes politiques, Bourgault ne s’en formalise pas outre mesure.  «  Ça fait 7 ans que je crie ce slogan au Québec ! Il suffit que de Gaulle vienne ici le dire une fois seulement pour que le monde entier l’entende. C’est que lui de Gaulle est un homme libre. Moi, je ne le suis pas ! » Et dès le deux août, il prend l’habitude de terminer ses discours par un VIVE LE QUÉBEC LIBRE !

Manifestation de la Saint-Jean (1968). Il refuse d’être sur l’estrade d’honneur avec PET, un homme qui refuse de reconnaitre la nation québécoise. Il préfère manifester avec le public et il ne manifestera aucun remords devant l’ampleur de l’émeute. Bien au contraire.  « Notre intervention a changé la fête à tout jamais. La Saint-Jean qui était une fête folklorique est devenue notre fête nationale ce jour-là ! »

Toujours en 1968, le RIN se fusionne de force avec le PQ. René Lévesque ne peut pas blairer Bourgault. C’est une haine viscérale chez Lévesque qui, aux dires de Robert Bourassa, ne digère pas que Pierre Bourgault soit « le père de l’indépendance ». « Bourgault est parfois amer, fait remarquer Andrée Ferretti. Mais ce qui étonne, c’est qu’il ne le soit pas davantage ».

Au moment du référendum de 1980, sa réaction à la question est explosive. « Voici donc la question ! Ce n’est pas comme on aurait pu le penser : Être ou ne pas Être ? Mais, Paître ou ne pas Paître ? 6 millions de moutons, voilà ce que les Québécois seront s’ils répondent oui à la question. Et s’ils disent non ? Eh bien, ils seront quand même des moutons. Quel choix ! » En 1981, au moment du Renérendum, il osera formuler, ce qui pour lui est la vraie question : « L’indépendance du Québec ou René Lévesque ?  Choisissez ! »

Dix ans plus tard, en 1991, au moment où l’euphorie règne suite au rapport Bélanger-Campeau, Bourgault perce à jour le double jeu de Bourassa. « Je trouve tragique qu’aujourd’hui, un seul homme nous empêche d’atteindre la souveraineté. Depuis le début, il a été le seul frein. Le freinage est si tragique que l’on pourra accuser M. Bourassa de trahison. »

L’indépendance, pour Bourgault, c’est la liberté pour tous et pour chacun.  « Je veux être libre.  Le droit d’être libre, ça comprend aussi bien le droit de se tromper que le droit de réussir. L’un ne va pas sans l’autre. 

« La liberté, c’est pour tous les êtres humains. Les forts comme les faibles, les heureux comme les tristes. Les généreux comme les égoïstes, les humbles comme les fiers, les durs comme les mous, les exaltés comme les dépressifs. 

« C’est le droit d’être le meilleur, mais aussi le droit d’être le pire. Le droit de chanter doit inclure le droit de se déclarer muet, et le droit de parler inclure le droit de se taire. » Un droit dont il n’a jamais abusé ! 

En 1993, la loi 178, qui permettait l’affichage bilingue à l’intérieur des commerces et tolérait l’unilinguisme français à l’extérieur, était devenue obsolète. Elle avait été adoptée en invoquant une clause dérogatoire, valable pour cinq ans. Le gouvernement de Robert Bourassa s’empresse alors de la remplacer par une loi tout aussi inacceptable, la 86, défendue par son ministre Claude Ryan, qui instaure le principe de l’affichage bilingue avec prédominance du français dans les lieux publics.

Je suis appelé à animer une manifestation pour dénoncer cette nouvelle attaque contre la Loi 101. Organisée par la Société Saint-Jean-Baptiste, elle se tient à l’auditorium du Plateau et attire plus de 1000 manifestants. Ce qui donne l’impetus au PQ d’emboiter le pas en réunissant plus de 3500 manifestants le 18 juin, à l’Aréna Maurice Richard. 

J’assume alors la coanimation de la rencontre avec Nicole Boudreau. En plus de plusieurs chefs syndicaux, le chef du Parti Québécois Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Pierre Bourgault prendront ensuite la parole. La prestation de monsieur Parizeau a été accueillie par une ovation qui a duré cinq minutes. Lucien Bouchard a livré son discours avec l’assurance d’un lauréat des joutes oratoires patriotiques dans le style de Chapleau et de Mercier. 

Après avoir présenté Pierre Bourgault à la foule, je me suis glissé dans la salle pour l’entendre. La seule place disponible se trouvait dans la première rangée entre monsieur Parizeau et monsieur Bouchard, probablement celle que Bourgault avait quittée pour monter en scène. Lorsque l’orateur a pris la parole avec sa verve coutumière, j’entendais d’une part à ma gauche les grognements d’acquiescement de Parizeau aux coups de boutoir du tribun, tandis qu’à ma droite, Lucien Bouchard frétillait sur son siège, se demandant si ce n’était pas pour lui une erreur d’être là. Quand Bourgault a invoqué la figure de René Lévesque pour rappeler, appuyé par un grognement à ma gauche, qu’il avait dit de Claude Ryan que c’était « le politicien le plus sale de la Chambre », c’en était trop. Si Lucien Bouchard s’était écouté, je suis certain qu’il serait sorti rapidement de la salle en petit bonhomme. 

Bourgault n’est pas devenu radical avec l’âge. Il était tel qu’en lui-même l’éternité ne l’avait pas encore changé en 1961. Ses propos en témoignent devant la Fraternité des policiers de Montréal comme auditoire.

« Comprenez-moi bien. C’est l’indépendance que nous voulons, rien de moins, et nous l’aurons. J’ai encore à dire à nos adversaires que la flatterie ne les mènera nulle part. Nous sommes conscients de nos qualités et de nos défauts, et nous avons surtout fini de nous comparer au Canada anglais. C’est au reste du monde que nous nous comparons aujourd’hui.  

« Si nous voulons l’indépendance, c’est qu’elle nous est indispensable et notre lutte continuera jusqu’à ce que nous l’ayons obtenue. Nous ne sommes pas là pour revendiquer quoi que ce soit, ou pour donner une dernière chance à la Confédération. Elle est foutue votre Confédération, et vous auriez grand tort de croire que vous puissiez la ressusciter par des sourires et des courbettes. (…)

« Nous sommes la nation parce que nous représentons son désir de liberté. Nous représentons toutes les aspirations de la nation canadienne-française. Notre désir d’indépendance et de fierté s’incarne dans tous nos problèmes, qu’ils soient d’ordre économique, politique ou culturel. Il n’y a pas de solutions partielles. 

« La langue française au Québec ne pourra s’améliorer que si elle est utile et nécessaire. Elle sera nécessaire si on s’en sert pour gagner sa vie et pour entretenir des relations sociales. Pour qu’une partie de l’économie revienne aux mains des Canadiens français, il faut que la nation puisse contrôler son commerce, ses relations extérieures, son crédit, ses banques. Pour ce faire, il faut que l’État du Québec soit souverain, et libre d’agir dans le sens de ses intérêts.

« Nous sommes la volonté de la Nation. Nous sommes la Nation. Nous sommes la Révolution. Ce mot me fait penser à ce qu’un ami qui disait l’autre jour : “Tu sais que la Révolution française n’a jamais en lieu.” – Comment ça ? lui dis-je. – “Eh oui, elle était tout à fait impensable économiquement.” Elle a pourtant eu lieu la Révolution française, et l’américaine et la russe aussi. Pourquoi serait-elle possible dans tous les pays du monde sauf au Québec ?

« Nous sommes la Nation, nous sommes la Révolution, nous sommes la Révolution nationale. Révolution pacifique, mais Révo-lution quand même. Révolution dans la raison et les sentiments, Révolution dans les habitudes, dans les structures, dans les cadres. Passage brusque et violent de la honte à la dignité. Passage brusque et violent de la médiocrité à la fierté. Passage brusque et violent de la servitude à la liberté. C’est ça la Révolution ! »

Eh oui ! Quoi qu’en pensent les pleureuses qui soupirent toujours : Tranquille… tranquille… tranquille…