L’immigration de masse : un enjeu radioactif

Un essai percutant de Jacques Houle, Disparaître ?

2019/09/06

La quatrième de couverture de Disparaître ? s’ouvre sur ces propos saisissants : « Au Québec, jusqu’à la fin des années 1990, s’est maintenue une majorité d’ascendance canadienne-française au-delà des 80 %. Au rythme de décroissance actuel, elle pourrait disparaître sous la barre des 50 % au cours du siècle. Sur l’île de Montréal, c’est déjà fait. Parmi les premières causes de ce suicide collectif : un taux d’immigration parmi les plus élevés au monde – 50 000 nouveaux arrivants en moyenne par année – et une politique migratoire qui entretient des mythes sur les retombées positives de l’immigration de masse. N’est-il pas grand temps pour cette fragile communauté de destin d’assujettir son hospitalité à sa capacité réelle d’intégration ? » Ce livre de Jacques Houle aborde un enjeu radioactif : celui de l’immigration de masse. L’auteur a l’immense mérite de traiter le sujet de façon décomplexée, en évitant les périphrases alambiquées et en appelant un chat un chat. 

Le livre débute avec un récapitulatif des visées britanniques suite à la conquête de 1760. L’objectif fondamental est de transformer la Nouvelle-France en colonie anglaise. Pour cela, l’immigration de masse était l’arme de choix. Elle fut employée abondamment afin d’arriver au résultat que l’on connaît, soit la neutralisation du Manitoba comme deuxième province française dans l’Ouest et l’écrasement des minorités de langue française partout à l’extérieur du Québec: « À l’extérieur du Québec, les flux migratoires ont profité exclusivement à la communauté canadienne-anglaise qui dispose désormais d’une supériorité numérique écrasante ».

En 2036, Statistique Canada prévoit que les francophones hors Québec représenteront seulement 2,7 % de la population, alors qu’ils étaient encore 10 % en 1951. Conclusion : « Il est donc trop tard pour changer le cours du destin : la communauté francophone du reste du Canada va disparaître. Très bientôt. À jamais ».  

L’auteur centre ensuite son propos sur le Québec actuel. Progression logique, car le sort des francophones hors Québec préfigure le nôtre. Il rappelle qu’à partir de 2003, le PLQ a massivement augmenté les volumes d’immigration, passant d’une moyenne de 30 000 immigrants par année dans les décennies précédentes à 50 000 par année actuellement. Le Québec reçoit maintenant 0,6 % de sa population annuellement en volume d’immigration, ce qui le « place parmi les régions qui reçoivent le plus d’immigrants au monde, devant tous les États américains et la plupart des pays d’Europe ». Rien que ça… Ce qui n’empêche pas le patronat, le PLQ et Ottawa de réclamer encore plus et toujours plus d’immigrants. Comprenons une chose : les intérêts du patronat, du PLQ et d’Ottawa, c’est souvent la même chose.

La minorisation des francophones à Montréal est maintenant chose faite. La minorisation est en cours de façon accélérée à Laval et dans toute la couronne montréalaise. Le Canada ne changera pas une recette gagnante : ayant écrasé les francophones hors Québec à l’aide de l’arme migratoire, Ottawa s’attarde maintenant à finir le travail au Québec même. 

La partie la plus intéressante du livre est à mon avis la discussion des effets d’une immigration excessive sur la cohésion sociale des sociétés qui la subissent : « Les classes dominantes et supérieures habitent les enclaves cossues comme Westmount ou Outremont. Quant aux catégories sociales à faible revenu, Québécois de souche ou issus de l’immigration, elles sont malheureusement placées en situation de concurrence intense à la fois sur le marché des emplois précaires et pour l’accès aux logements sociaux ou aux logements privés plus ou moins dégradés. Bref, ce sont les plus pauvres, les plus vulnérables, qui font les frais d’une immigration trop élevée ». Résumons : pour une certaine classe sociale prompte à faire la morale aux autres, l’expérience de l’immigration de masse se limite souvent aux bons petits restos ethniques et aux femmes de ménage sud-américaines.

Alors que l’auteur est précis en décrivant les problèmes posés par l’immigration de masse, il l’est moins quand vient le temps de proposer des solutions. La première et la plus importante de celles-ci étant bien sûr la réduction significative des volumes. Une réduction qui n’est pas si « radicale » que ça, puisqu’il serait simplement question de le ramener aux niveaux historiques, soit environ 30 000 immigrants par année, ce qui correspond à un taux annuel de 0,36 %. Une proposition qui fait toutefois abstraction de la réalité, étant donné que c’est Ottawa et non Québec qui fixe réellement les volumes d’immigration. Comme le dit Jacques Houle, le Québec ne contrôle qu’environ le tiers de l’immigration qu’il accueille, soit l’immigration « économique ». Mais comment pourrait-il couper le volume de 40 % alors qu’il n’en contrôle que 33 % ? 

La réduction significative des volumes dépend donc de la « bonne volonté » d’Ottawa mais, comme l’auteur l’a démontré, la volonté d’Ottawa est de nous voir disparaître. Point.

75 % des transferts linguistiques vers l’anglais

Lors de la promulgation de la loi 101 en 1977, la moyenne annuelle d’immigrants reçus au Québec était de 18 166, soit un taux annuel de 0,28 %. Mais même ce faible volume d’immigration n’empêchait pas alors les immigrants de s’intégrer en majorité aux anglophones et n’empêchait pas « la noyade » dénoncée déjà par René Lévesque à l’époque. Un plus faible volume d’immigration signifie donc une noyade moins rapide, mais noyade tout de même. Pour garder la tête hors de l’eau, il nous faut parvenir à intégrer la grande majorité des non-francophones qui s’installent chez nous. Mais, en 2019, environ 65 % des transferts linguistiques effectués au Québec se font vers l’anglais. Pour le Québec français, l’eau est en train de monter. La noyade est en cours.

La Charte de la langue française était pourtant censée assurer la pérennité de la majorité de langue française au Québec. Mais cet avenir est plus sombre que jamais. Pourquoi ? La Charte était conçue en vue de la création d’un État indépendant, qui ne verrait pas ses lois et chartes fondamentales être invalidées par les tribunaux d’un autre État hostile à sa survie. 

Peut-on éviter la noyade en restant au Canada ? L’expérience prouve que non. Il plane donc au-dessus de cette question le fantôme pesant de l’indépendance du Québec. Seule l’indépendance pourrait nous permettre de déverrouiller « l’accord Canada-Québec » sur l’immigration (en le faisant sauter !), et nous permettrait de réellement fixer non seulement nos volumes d’immigration, mais l’ensemble de notre politique linguistique et de notre politique de population selon nos intérêts collectifs. Se saisir de cette question fondamentale de façon décomplexée, la ramener à l’avant-plan, libérer la parole du carcan stérilisant des catégories mentales approuvées par Ottawa, voilà sans doute les éléments d’une renaissance du mouvement indépendantiste.

Disparaître ? Afflux migratoire et avenir du Québec, Jacques Houle, Liber, 2019