Le mythe pernicieux des Casques bleus

Victoire électorale de la Défense et du complexe militaro-industriel

2019/11/01

Les grands gagnants de l’élection fédérale ont été le complexe militaro-industriel et le ministère de la Défense. En effet, les programmes des six principaux partis garantissaient qu’un flux intarissable de fonds publics continuerait d’en gonfler les profits. Car tous les partis adhèrent à une orthodoxie militariste similaire, qui repose sur des croyances aussi profondément ancrées que rarement contestées.

Par exemple, cette orthodoxie tient pour acquis que la Défense, de par sa simple présence rassurante et bienveillante, joue un rôle socialement utile et constructif à l’échelle mondiale, même s’il n’a jamais été démontré que les sommes dépensées dans l’armement, les manœuvres, drones, bombes et invasions armées aient engendré la paix et la justice sociale où que ce soit.

Ces mythes increvables auxquels adhèrent la majorité des Canadiens sont le fruit d’une immense désinformation et d’une image qui date des années Pearson – le père des Casques bleus, prix Nobel et champion international de la paix. L’armée canadienne a pourtant  été mêlée à de sombres histoires de torture en Somalie et en Afghanistan, ainsi que dans ses propres rangs. Le ministère de la Défense a ciblé comme menace à la sûreté nationale des autochtones qui ne faisaient que défendre leur territoire. L’armée muselle régulièrement les protestataires, comme à Kanesatake et Muskrat Falls. Elle est en état de crise perpétuelle, accusée de violences faites aux femmes membres des forces armées et du misérable traitement réservé aux anciens combattants souffrant de stress post-traumatique.

L’armée est aussi le plus gros émetteur de GES (gaz à effet de serre) du gouvernement fédéral. Si tous les partis se sont livrés à une surenchère de déclarations sur l’environnement, aucun n’a de plan qui tienne vraiment la route, selon Stand.earth. Car aucun chef de parti politique n’aborde la question sous l’angle des recherches effectuées par le gouvernement fédéral, qui ont révélé que les forces armées sont, de loin, le plus gros émetteur gouvernemental de GES. Pour l’année d’imposition 2017, on parle de 544 kilotonnes, soit 40 % de plus que le suivant sur la liste, Services Canada, et 80 % plus qu’Agriculture Canada.

C’est là un phénomène mondial. Aux États-Unis, le Pentagone est le plus gros émetteur de GES, soit 1,2 milliard de tonnes de 2001 à 2017. Quatre cents millions de tonnes de GES sont attribuables à la consommation de carburant, principalement par l’aviation. N’oublions pas qu’il y a plusieurs centaines de bases américaines dans le monde, autant de foyers d’émissions.

Les militaires ont toujours voulu être exclus du calcul des émissions de GES. En 1997, à Kyoto, le Pentagone s’assura que les forces armées ne seraient pas incluses dans la liste des institutions devant se plier aux réductions d’émissions. Comme le faisait remarquer le Transnational Institute à la veille du sommet de Paris en 2015, « même de nos jours, les rapports que doit fournir chaque pays à l’ONU ne tiennent pas compte des achats et de l’usage de carburant par les armées ». Cette exemption fut levée par l’Accord de Paris, sans que l’Accord ne puisse obliger les forces armées à réduire leurs émissions de GES.

Au cours des prochaines années, des fonds publics financeront pour 70 à 105 milliards de $ des navires de guerre Irving/Lockheed Martin et pour au moins 25 milliards $ de chasseurs-bombardiers – probablement plus, vu la propension de l’industrie militaire à sous-évaluer lors de la commande, puis surfacturer les contrats lors de la livraison.

Est-ce que nous avons besoin de tous ces jouets ? La réponse est non, mais l’orthodoxie militariste canadienne dit que nos glorieuses forces armées doivent recevoir tout ce dont elles estiment avoir besoin (avec l’OTAN qui leur dicte ces « besoins »). Elles sont déjà équipées pour tuer des tas de gens, mais vouloir posséder la dernière génération de ces jouets de guerre est gravé dans l’ADN des chefs d’état-major comme une tare génétique.

Pendant la campagne électorale, beaucoup de questions ont été posées par les journalistes, sur comment financer des programmes sociaux utiles, pour améliorer la vie de 165 000 enfants autochtones ou bâtir des logements abordables. Étrangement, aucune question n’a été posée sur les 130 milliards $ consacrés aux machines de guerre. Personne n’a non plus remis en question la pratique d’accorder à la Défense un budget de 25 milliards $ par année, dont la majeure partie n’est pas soumise à l’approbation parlementaire.

Si on se fie aux programmes et aux déclarations des chefs de partis, les Elizabeth May et Jagmeet Singh de ce monde font chorus avec les Justin Trudeau et Andrew Scheer pour glorifier nos héroïques forces armées. Il est rassurant de pouvoir les appeler en cas de catastrophe climatique, inondations ou incendies, mais plutôt incongru de voir de lourds blindés non équipés comme le seraient des équipes de civils entraînés et équipés pour ce travail.  

Une grande opération de réduction est nécessaire à l’équilibre budgétaire du Canada et réclamée par l’ONU pour le bien de la planète. Réduire nos budgets militaires canadiens de 30 % dès l’an prochain mènerait à une réduction de GES de l’ordre de 160 kilotonnes, sans compter l’immense bénéfice d’empêcher d’autres désastres humains causés par nos opérations au service de l’OTAN, comme en Syrie, en Afghanistan et en Libye, qui ont augmenté le flot de réfugiés kurdes et autres à 70 millions, comme le calcule le Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

Aucun des six principaux partis n’a remis en question le gaspillage de 100 à 130 milliards de dollars pour une « Défense » qui émettra au moins 500 kilotonnes de GES chaque année ! Même pas le NPD qui a pourtant la bonne idée d’investir 15 milliards $ dans son Green New Deal en vue de réduire les GES…

Vivons-nous en démocratie ? C’est une question fondamentale à poser, particulièrement aux États-Unis où les trois débats démocrates ont vu les médias poser des questions-pièges et la majorité des candidats blâmer Bernie Sanders et la sénatrice Élizabeth Warren de ne pas tenir compte des « coûts irréalistes » d’amener le pays à un medicare à la canadienne, alors que ces deux malheureux démocrates ne peuvent se défendre en évoquant le gaspillage militaire et nucléaire, vu la désinformation générale. Il est impensable que dans une supposée démocratie, le débat sur les dépenses de la Défense soit escamoté.

NDLR : Ce texte est librement adapté d’un article traduit de Matthew Behrens du groupe TASC.