Les monuments de la liberté

2019/11/01

Le 15 octobre dernier ont été inaugurées les places Michel-Brault et Pierre-Falardeau dans Rosemont–La-Petite-Patrie à Montréal, entre les rues Masson et Saint-Joseph, sur la rue Molson. Pour l’occasion, deux oeuvres d’art public créées à la mémoire des cinéastes ont été dévoilées par leur créateur, Armand Vaillancourt. L’increvable artiste n’a pas ménagé sa liberté en constatant les citations qui font la marque des deux hommes sur la base des monuments dressés comme des poings levés.
Cependant, l’existence de ces places publiques pose une triple ironie. D’abord, ces lieux sont cernés de rues éponymes en forme de fer à cheval. Bref, elles ne mènent nulle part, rappelant la célèbre phrase de Pierre Falardeau : « On va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part ». Ensuite, qui aurait pu s’imaginer qu’on verrait un jour une rue Pierre-Falardeau croiser la rue Molson ? Enfin, que penser de ces rues créées dans le cadre de la construction d’un parc de copropriétés participant activement à l’embourgeoisement de ce quartier de la ville, repoussant toujours plus loin les ouvriers mangeurs de sandwich au baloney ?
Il va sans dire que ce n’est pas la première fois ni la dernière qu’on peine à honorer ceux qui ont marqué l’histoire nationale. Amusez-vous à chercher les rues Gerry-Boulet, Pauline-Julien et Robert-Gravel dans le Plateau-Mont-Royal. Ce ne sont que des bouts de rues et des culs-de-sac.

C’est comme si la ville avait atteint depuis longtemps un point de saturation dans sa toponymie, comme s’il n’y avait qu’Amherst qui posait problème, comme s’il n’y avait pas d’autres figures controversées de maîtres et de bourreaux à déboulonner. En cela, nous portons encore les affres d’une histoire qui se normalise, comme lorsqu’un concierge repeint un logement en blanc en passant par-dessus les vis et les moulures.