Et le Verbe s’est fait plomb !

Le portulan des historiettes

2020/01/31

On naît poète, peintre ou musicien, mais on devient journaliste. Pourquoi le devient-on ? Posée au jour d’aujourd’hui, la réponse à la question est un diplôme universitaire pour l’attester.  Le premier certificat en journalisme, décerné par l’Université Laval, date de 1968, mais pendant les années 1970 et après, la réponse des plumitifs a continué d’être un besoin irrépressible d’écrire qui poussait leur romantisme jusqu’à nourrir l’espoir qu’ils puissent gagner leurs vies avec un dactylo portatif, lequel d’ailleurs attendra encore plus d’une dizaine d’années avant de se muter en un ordinateur et encore plus tard en une tablette qui accorde encore l’intelligence à son utilisateur.  

Règle générale, pour l’écrivain en herbe, la première motivation n’était pas le journalisme. La fièvre d’écrire se manifestait souvent par un besoin exacerbé, celui d’être lu par une seule lectrice qui les résumait toutes. Dédiés par la suite à plus d’une, les poèmes d’amour de l’amour pouvaient s’accumuler jusqu’à composer une mince plaquette. Tout le monde n’a pas les moyens d’être Dante avec sa Béatrice. La fringale d’écrire se transformant en appétit, puis en une faim tenace, l’auteur en devenir en venait alors à s’attaquer au premier roman. Un travail essoufflant qui, comme on le sait, à quelques exceptions près, n’a jamais nourri ses titulaires. 

Ce qui s’offre alors à l’auteur, ce sont les journaux, les revues, les magazines, la radio (scripteur aux émissions d’humour ou scénariste) et la télévision (scripteur aux émissions pour enfants ou scénariste). Pourquoi le journalisme écrit conserve-t-il tout son panache face au journalisme de radio ou de télévision ? 

Pour la même raison que l’École nationale de théâtre se définit toujours par le théâtre, alors que les comédiens sont engagés principalement pour  leurs prestations  à la télévision ou au cinéma. La pratique de la scène demeure la voie royale pour apprendre aux acteurs à incarner leurs personnages en présence réelle devant un public. Et on a tendance à l’oublier : L’idiot visuel ne s’exprime pas uniquement par images, il parle par écrit ! 

Si le journaliste avait un crédo, c’est celui d’une saine incrédulité envers les puissants et les puissances de ce bas monde. Par nature, il est politiquement incorrect. C’est un correcteur d’injustices comme d’autres le sont d’épreuves. 

Au début du XXe siècle, on disait du journalisme qu’il formait la jeunesse en lui payant ses brouillons et ses voyages. En fait, sa carte d’identification lui permet toujours de rencontrer des gens auxquels il n’aurait pas eu accès autrement. Ce qui ouvre les portes ce n’est pas sa prestance ou son talent, c’est le tirage de son journal. 

De quelle formation a-t-on besoin pour devenir journaliste ? Si on veut écrire, c’est nécessairement parce qu’on a lu. Le moteur de la formation journalistique étant une insatiable curiosité pour tout, l’apprenti doit maintenant ajouter aux bouquins, les journaux, les revues et les magazines, québécois, français, américains et britanniques. 

Lorsque vous  ne connaissez pas un sujet, un vieux truc du métier est de demander à l’interviewé de vous l’expliquer dans ses mots pour le lecteur. Mais comment relancer la conversation si on ne peut pas établir des liens avec d’autres sujets ? On explique les événements, les comportements et les rêves par affinité avec d’autres de la même famille. Les choses s’expliquent rarement par elles-mêmes. Tout en étant de l’instant, du moment, de la dernière mode et de la nouvelle tendance, le journalisme est un métier de mémoire. Sans mémoire, le premier témoin manque de perspective. 

Comment suis-je entré dans la profession dans les années soixante ? Suite au décès de mon père, après une longue période instructive derrière le comptoir du commerce familial, je ne savais plus où me tourner. Un ami d’un ami me dit qu’il connaît bien le chef de rédaction du Petit journal (Serge Dussault). Je le rencontre, on parle de littérature et il me présente à son directeur Jean-Charles Harvey, auteur des Demi-civilisés (un ouvrage à scandale dont la mise à l’index lui a fait perdre son emploi en 1934)  et ancien directeur fondateur du journal de combat Le Jour (1937-1946).

C’est aussi un grand chasseur et un homme de la nature. On cause du  Lac Pembina où j’ai passé mes vacances et des vieux mots canadiens.  Pimbina, m’apprend-il, est le nom algonquin d’une des baies qui font les délices des perdrix. Le lendemain, j’entre à l’essai comme journaliste. 

Je viens de la bohème des peintres, j’ai fréquenté les écrits des dadaïstes, les surréalistes, les automatistes, Alfred Jarry et la pataphysique, Antonin Artaud et le Théâtre de la cruauté, j’aimais le jazz et je débarque dans la salle de rédaction d’un hebdomadaire populaire qui tire à 300 000 exemplaires. Quelques mois plus tôt, derrière mon comptoir, toutes les fins de semaine je complétais pour la clientèle l’achat du Petit Journal par celui de La Patrie et du Photo Journal qui partage la salle de rédaction où j’ai maintenant un bureau.

Pour m’initier aux petits métiers, mon guide et voisin de bureau est Pierre Gélinas, ancien secrétaire du parti communiste, ancien du Jour et romancier, auteur de deux romans, Les Vivants,  les morts et les autres (1959) et L’Or des Indes (1962). Il m’apprend à rédiger des bas de vignette fantaisistes pour accompagner les photos de poupounes publiées en pages 3. Il faut se laisser inspirer par la mise en situation. Je suis très fier de ma fille en bikini sur la plage : Elle fait la grève. 

Ensuite, la traduction des bandes dessinées américaines. Une d’entre elles est un pur produit de propagande pour la guerre au Vietnam. Le défi de taille est de renverser la vapeur et d’en faire une bande dessinée pacifiste. Ça demande beaucoup d’agilité intellectuelle. Plus facile est la traduction d’un courrier du cœur américain : il faut changer les noms et les prénoms  et donner une allure québécoise aux problèmes. On peut s’inspirer du courrier de Jeannette Bertrand, également publié dans les pages du Petit Journal. 

J’apprends l’art du préambule. Dans un journal populaire, toute la pensée, la philosophie tient dans ses préambules. On débute habituellement par une phrase choc prononcée par le principal interviewé.  « On s’est fait voler notre chemise sur notre dos », déclarait le président des cols blancs au sortir d’une rencontre musclée avec l’administration municipale. « Piquer le fric des travailleurs, c’est voler ! », a martelé Roméo Dulude devant les caméras. 

Il faut que le prochain  paragraphe garde l’intérêt  du lecteur et ainsi de suite. Pas de gras comme dans les films : Action !-Action !-Action ! Et il ne faut pas attendre à la fin de l’article pour livrer le punch ! Pour le typographe, les mots sont des lignes de plomb et quand c’est trop long, il coupe du plomb. 

J’apprends que l’interview est une forme littéraire de plein titre. Il faut non seulement savoir d’abord la mener viva voce mais ensuite la traduire par l’écrit. On ne peut d’ailleurs pas la transcrire tout bêtement. Tout d’abord, j’ai pratiqué l’entrevue à l’ancienne avec  un carnet et un stylo. C’est de loin l’approche que je préfère. On effectue sur-le-champ une présélection, une sorte de prémontage qui facilite le travail au moment de l’écriture. En relisant les notes, tout le contexte revient en mémoire.

Lorsque la conversation flanche pendant une entrevue, le réflexe naturel est de combler le vide. Une fois que l’interviewé a terminé sa réponse, j’avais constaté qu’il faut continuer la prise de notes sans s’inquiéter du silence. C’est habituellement l’interlocuteur qui se charge de le briser en complétant sa pensée et en dépassant souvent la réponse préfabriquée qu’il ou elle vient de nous donner. 

Depuis qu’on s’est mis à utiliser des enregistreuses de plus en plus performantes et de moins en moins volumineuses, l’intervieweur peut facilement se perdre dans la conversation et il doit réécouter l’enregistrement en prenant des  notes pour se souvenir de  ce qui a été dit. 

Écrire une entrevue n’a rien à voir avec une simple transcription. Il faut reconstruire les phrases ou synthétiser une pensée qui s’est présentée sous forme de segments. Le tout sans trahir la pensée de son auteur. Beaucoup d’interviewés sont persuadés d’avoir prononcé les phrases historiques  qui leur ont été remises en bouche par des journalistes. L’interview écrit est celui qui permet le plus d’intimité avec le sujet, c’est une sorte de corps à corps, où Nathalie Petrowski excelle.  

« Vous êtes des journalistes ! Vous n’êtes pas des éditorialistes ! », nous rappelait-on sans cesse. Une phrase qui a toujours cours dans les salles de rédaction. «  Les lecteurs ne sont pas intéressés à ce que vous avez à dire, mais  à ce que vous faites dire à vos interviewés ! D’ailleurs qui êtes-vous pour le dire ? Des nobody ! »  Ce qui me plaît à croire que la voix omniprésente des médias sociaux d’aujourd’hui est une sorte de revanche des nobody frustrés pendant des  générations.

Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, on développait alors un talent pour conter une histoire en la faisant commenter et raconter par d’autres. C’est l’écriture radiophonique actuelle, la formule des biographies  télévisuelles et de tous les reportages documentaires. L’intervieweur est absent de l’écran et le récit semble assumé exclusivement par les protagonistes. Le montage des images n’est pas différent de celui des mots.

Par définition, un hebdomadaire était constamment en retard sur les nouvelles. Il devait  donc traiter des sujets qui avaient déjà été couverts abondamment par les médias quotidiens. Pour les aborder à son tour, il devait trouver un autre angle, c’était habituellement celui du human interest qui me semble assurer encore aujourd’hui la survie des médias traditionnels alors que les médias sociaux se chargent dorénavant des éditoriaux.