COVID-19 : Pour une véritable commission d’enquête publique

2020/06/19

Montréal est au premier rang du « macabre palmarès des métropoles les plus mortifères, juste derrière New York », titrait dernièrement le journal Le Monde. Malgré cela, des voix – comme celle du directeur du Devoir, Brian Myles, dans son éditorial du 25 mai – proposent de faire l’économie d’une commission d’enquête publique sur la gestion de la crise.

5 298 morts au moment où ces lignes sont écrites. 80 % dans des CHSLD et autres maisons pour aînés. Souvent, c’était « mourir dans l’indignité », assoiffé, affamé, dans ses excréments. 54 263 personnes infectées, dont plusieurs ont besoin de soins de réadaptation et conserveront des séquelles du virus. Et on voudrait passer le tout à la trappe de l’histoire, sans autopsie. On ferme les livres ? On passe à un autre appel ? Minute papillon !

Nous avons le droit de savoir ne serait-ce que par respect pour la mémoire de ces victimes. Nous avons besoin de savoir pour nous préparer à affronter une prochaine vague, une prochaine pandémie. Il faut départager les responsabilités entre Ottawa et Québec. Ottawa qui a trop tardé à fermer les frontières. Ottawa qui n’a pas remplacé, par souci d’économies, les stocks de matériel de protection acquis après la crise du SRAS et du H1N1, une fois ceux-ci périmés, soit 26 000 palettes de masques (dont 55 millions de masques N95), visières, aiguilles, désinfectants et thermomètres d’une valeur de 45 millions de dollars. 

Ottawa qui, le 4 février, a expédié en Chine 16 tonnes d’équipement de protection personnelle contre le coronavirus, alors que l’Organisation mondiale de la Santé avait déclaré, le 30 janvier, que « la flambée épidémique remplit désormais les critères d’une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) ».

Avant « l’après », 
le « pendant »

Bien entendu, on peut comme Brian Myles, soutenir que nous connaissions déjà « les déplorables conditions de travail en CHSLD, le roulement de personnel, la gestion budgétaire cupide et les incohérences bureaucratiques ». On pourrait même allonger la liste du « déjà connu » : les transferts fédéraux en santé coupés de moitié depuis 1970 ; la fermeture de sept hôpitaux par Lucien Bouchard, remplacés par la construction de deux mégahôpitaux, dont un pour la minorité anglophone, même si elle ne représente que 8 % de la population. Des décisions à mettre en corrélation avec le fait que le Québec et le Canada ont le plus faible taux de lits d’hôpital par tranche de population des pays avancés, soit 2,5 pour 1 000 habitants. C’est moins que l’Australie (3,8), la France (6,0) et le Japon (13,1), et même que les États-Unis (2,8). 

On peut être d’accord avec Brian Myles pour la tenue d’« états généraux pour réinventer le Québec ». Mais, au-delà de « l’avant » et de « l’après », ce qui nous intéresse, c’est le « pendant » ! 

Des épidémiologistes rappellent que depuis la découverte du bacille de la tuberculose au tout début du XXe siècle par le Dr Robert Koch, on sait que la base de la maîtrise des épidémies de maladie transmissible est la séquence surveiller-tester-tracer-isoler, à laquelle s’est ajouté le port du masque. 

Des pays ont appliqué ces mesures pendant la pandémie actuelle. Voici leurs résultats : Singapour (5,6 millions d’habitants : 26 morts), Hong Kong (7,4 M : 4 morts), Taïwan (23 M : 7 morts), Corée du Sud (51,6 M : 277 morts). Le Dr Arruda invoquera sans doute une « culture » différente. Alors, regardons du côté des pays scandinaves. La Norvège (5,3 M : 242 morts) ; la Finlande (5,5 M : 326 morts) ; le Danemark (5,8 M : 597 morts). En fait, le score du Québec est pire que celui de la Suède (10,3 M : 4 874 morts), un pays qui N’A PAS APPLIQUÉ de mesures de confinement ! Et qui s’en mord aujourd’hui les pouces !

Plutôt que de se taper deux semaines de vacances au Maroc (26 février au 8 mars), il aurait été préférable que le Dr Arruda se rende dans un de ces pays pour constater de visu les moyens mis en branle pour combattre le virus. Après tout, on lui verse à même nos impôts 300 000 $ par année (100 000 $ de plus que la rémunération du Premier ministre !). Trop loin l’Asie, trop loin la Scandinavie ? Alors, pourquoi pas une visite à son homologue britanno-colombienne, la Dr Bonnie Henry.

Dès le début du mois de mars – alors que le Dr Arruda était toujours en vacances au Maroc – elle a concentré toute l’attention de la province sur les résidences pour aînés. Elle a nationalisé le fonctionnement de toutes les résidences privées. Elle a uniformisé les conditions de travail de tous les employés. Tous les temps partiels sont passés à temps plein. Et les conditions de travail ont été resserrées partout. 

Les employés du réseau ne pouvaient alors plus se promener d’un centre à l’autre (C’est toujours le cas au Québec). Ceux qui s’occupaient des patients infectés ne pouvaient interagir avec ceux qui ne l’étaient pas. L’équipement de protection nécessaire a été rendu disponible. Il était disponible parce que, dès la fin janvier, la province, tout comme l’Ontario et l’Alberta avaient commandé du matériel de protection. Résultat : Colombie-Britannique : 5 M ; 168 morts.

Pourtant, le 14 mars, le premier ministre Legault déclarait que « la pire chose qui pourrait arriver, c’est que le virus se propage dans les centres pour personnes âgées ». Mais tout le plan du Dr Arruda était basé sur le transfert des personnes âgées des hôpitaux vers les CHSLD. Il craignait qu’une pénurie de lits dans les hôpitaux oblige les médecins à faire le tri dans les malades – on soigne l’un, on laisse mourir l’autre. Mais en transférant un grand nombre de personnes âgées vers les CHSLD, on faisait un tri ! Des vieux étaient condamnés à la mort pour libérer des lits d’hôpitaux qui resteront inoccupés ! 

Le ministère de la Santé, dirigé par Danielle McCann, n’était pas en reste. Sur les onze comités mis en place pour faire face au virus, aucun n’était dédié aux CHSLD !

Tout le reste découle de ce haut niveau d’impréparation, d’insouciance et d’incompétence. Faute de matériel disponible (masques, blouses, etc.) – Arruda a même affirmé qu’il est « dangereux » d’en porter ! – le virus se propage à la vitesse de l’éclair. C’est l’hécatombe. Les soignants sont contaminés. Ils contaminent leur communauté. D’autres fuient ; les primes, décrétées trop tard, n’arrivant pas à les retenir. La situation est hors contrôle. On doit faire appel à l’armée. 

Le Québec sort extrêmement affaibli de cette gestion bancale. Une commission d’enquête statuera s’il y a matière à des poursuites criminelles.