Les caricaturistes ont mauvaise mine

On les compare aux canaris qui servent d’alerte

2020/10/09

« Les caricaturistes ont l’œil de la vérité, il faut savoir regarder ». Mais la vérité choque et elle choque à un point tel que, de nos jours, nous en sommes pratiquement rendus à l’étape de faire disparaître ceux et celles qui exercent le métier de caricaturiste. 

On compare les artistes qui exercent cette profession aux canaris servant d’alerte dans les mines, car on mesure la qualité des démocraties au degré de latitude qu’on leur laisse pour s’exprimer. Mais, par les temps qui courent, plusieurs de ces oiseaux rares sont morts étouffés par leurs éditeurs tandis que d’autres ont été froidement assassinés par des fous de Dieu. Le message est clair au sein de la communauté artistique… vous êtes à la merci d’intégristes de toutes sortes.

Bienvenue dans l’époque où les allégeances de M. et Mme Tartempion ont plus de poids que l’opinion du peuple exprimée sous l’habile plume des artistes.

Intolérance

L’intolérance est au goût du jour. La servitude des éditeurs face à leurs commanditaires l’est également. La ligne qui séparait ce qui était jadis permis de publier s’est rétrécie pour devenir aussi ténue qu’un fil de soie.

J’œuvre dans le milieu de la caricature depuis 30 ans et je sais qu’il y a une limite à ne pas franchir. Dessiner son éditeur avec une tête de cochon et penser qu’il la mettra à la une du journal, c’est espérer franchir les Pyrénées en chameau… possible… mais improbable.

L’époque où le caricaturiste Pierre Dupras, auteur de La Drapolice, dessinait Trudeau père en forme d’urinoir dans le Québec-Presse des années 70 est révolue. On a peine à croire que Gotlib dessinait les dieux participant à une orgie durant ces mêmes années.

La caricature est en soi
un stéréotype, une exagération

Il faut comprendre que la caricature, c’est un dessin stéréotypé. Dessiner un noir avec des lèvres minces et la peau pâle, ça ne lui ressemble pas. Dessiner une femme musclée et la représenter en pin-up, ça ne lui ressemblera pas non plus. La caricature, c’est l’exagération. Lorsque je vois Serena Williams s’offusquer d’une caricature lorsqu’elle a fracassé sa raquette en mauvaise perdante, je me dis que certaines personnes ont de la difficulté avec le sens de l’humour. Évidemment qu’elle est trapue et bien charpentée, Serena Williams. Elle est comme ça, toute en biceps, triceps et quadriceps. On ne va tout de même pas la dessiner comme une anémique faisant du tir au poignet avec un papillon. Enfin, bref, le dessinateur Mark Knight a reçu son lot d’injures et il a dû fermer son compte Twitter face aux menaces qu’il a reçues suite à cette publication. Cet exemple parmi tant d’autres fait maintenant partie de la réalité quotidienne des dessinateurs et dessinatrices de presse. 

Censure et autoritarisme

Les réactions des personnes offusquées font beaucoup de tort au métier et, plus les personnes contrariées sont importantes, plus les conséquences sont graves. Le premier ministre israélien n’a pas digéré sa caricature publiée dans l’édition internationale du New York Times. Il était représenté en chien guidant Trump qui, pour sa part, était dessiné en aveugle. Cette excellente illustration du portugais António Moreira Antunes, fondateur du World Press Cartoon, a entraîné la fin des publications de dessins d’humour par le journal. On l’a taxé de raciste et d’antisémite, ce dont Antunes se défend vivement. Chappatte, qui collaborait régulièrement au New York Times, a du même coup été écarté après y avoir œuvré durant plusieurs années. Et il n’est pas le seul.
Steve Benson, Nick Anderson et Rob Rogers, des vétérans, parmi les meilleurs coups de patte aux États-Unis, ont récemment perdu leur poste régulier parce qu’ils critiquaient Trump et/ou des élus. Un des seuls syndicats américains représentant les caricaturistes, Cagle Cartoons, parle ouvertement de fermer ses portes suite aux baisses de revenus. Au Canada, même scénario, Michael de Adder, le Wayne Gretsky de la caricature, a été viré des journaux du Nouveau-Brunswick le lendemain que sa caricature de Trump soit devenue virale. Cette caricature présentait le président jouant au golf aux côtés d’un immigrant clandestin et de son fils, morts noyés lors de leur tentative d’entrer au pays. 

Quelques années auparavant, Dan Murphy a été remercié de ses services au Vancouver Province suite aux pressions d’Enbridge qui n’a pas apprécié que l’artiste fasse un film d’animation sur les dangers de contamination des cours d’eau par le pétrole.

Au niveau international, là où des régimes autocratiques sont en place, c’est bien pire. Erdogan qui fait emprisonner le caricaturiste Musa Kart, le régime syrien qui a battu et brisé les os des mains du caricaturiste Ali Ferzat. Au Brésil, la dessinatrice Laerte et les dessinateurs Montanaro, Alberto Benett et Claudio Mor ont fait l’objet d’une interpellation pour des dessins relatifs aux violences policières et cette liste pourrait s’allonger. Quelques organismes, dont Cartooning for Peace et Cartoonists Rights Network International, tentent de défendre les dessinateurs et dessinatrices de presse internationaux persécutés par les autorités.

On ne peut évidemment passer sous silence les assassinats des dessinateurs travaillant pour Charlie Hebdo ni le sort de ceux qui vivent sous protection policière, dont le danois Kurt Westergaard.

Nous sommes rendus dans une ère de censure, qu’elle soit volontaire de la part des artistes qui craignent pour leur sécurité ou qu’elle soit imposée par les commanditaires ou les élus au pouvoir. Perdre son emploi pour ses opinions, c’est devenu monnaie courante et devant la montée de l’autoritarisme, neuf associations ont uni leurs forces pour dénoncer les violences et les menaces de plus en plus fréquentes contre les dessinateurs et dessinatrices de presse autour du globe. 

Au Canada

L’âge d’or de la caricature est bel et bien terminé. De Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, il ne reste qu’une quinzaine de caricaturistes syndiqués travaillant à temps plein. Elle est loin l’époque où chaque grand journal avait son caricaturiste attitré.

Au Québec

La situation au Québec n’est pas plus rose. Il y a très peu de débouchés pour les caricaturistes qui doivent la plupart du temps publier sans rémunération sur les réseaux sociaux pour avoir un peu de visibilité. Pour pallier ce manque de visibilité, le Festival 1001 Visages de la caricature a été créé en 2006. Sa plus récente édition remonte à 2019 alors que cette année, en 2020, il y a relâche. Cet événement a permis de découvrir d’incroyables artistes, mais c’est un peu pas mal toujours la même chose. Le Québec est une pépinière de talent, mais les débouchés sont rares pour ne pas dire quasi inexistants. Mentionnons que cet événement qui se déroule dans la municipalité de Val-David ne reçoit aucune subvention au fonctionnement du CAC ni du Conseil des arts et des lettres du Québec qui ne considèrent pas les caricaturistes comme étant des artistes professionnels au sens de leurs règlements internes. Ce sont des journalistes qui, à leurs yeux, réalisent des oeuvres de commande. Quelle aberration ! C’est comme si Daumier, De Vinci, LaPalme et tutti quanti n’étaient pas des artistes pour le CALQ et le CAC. On se demande sur quelle planète vivent certains fonctionnaires. 

La caricature a toujours été le parent pauvre de l’art. C’est l’art du peuple, celui que l’on ne reconnaît pas dans les grands cercles de la Culture. Saviez-vous que Robert LaPalme qui était l’ambassadeur par excellence du dessin d’humour international durant 25 ans, n’a pas d’œuvre permanente dans nos musées, et ce malgré sa prolifique carrière ? Qui connaît Henri Julien, un québécois dont les traits de crayons précis auront marqué notre imaginaire collectif ?

Où sont passés les caricaturistes méchants, mordants ? Ils se font rares par les temps qui courent. À la lecture de cet article, vous aurez peut-être un peu compris pourquoi.