Nos contemporains les Patriotes

Le portulan de l’histoire

2020/10/09

L’histoire québécoise nous a légué une image des Patriotes qui se rapproche de celle des daguerréotypes du XIXe siècle qui ont fait leur apparition dans les mêmes années. Les Patriotes prennent la pose historique et ne semblent vivre que par leurs idées et leurs discours. Ils sont toujours sur leur trente-six. 

Chaque fois que j’emprunte l’autoroute des Cantons-de-l’Est, particulièrement à l’automne lorsque le temps est gris, pluvieux, venteux et encore plus inhospitalier lorsque les champs sont déjà enneigés, j’ai une pensée pour les Patriotes de 1837 et 1838. Ils n’avaient pas encore inventé le mot « slotche ». Mais, dans le ressenti, il devait faire frette en pas pour rire. La peinture rend mal les vêtements détrempés.

Suite à un travail de collectes remarquable de dépositions, de correspondances et de lettres aux journaux, Georges Aubin fait revivre les patriotes dans leurs mots quotidiens en les rapprochant singulièrement de notre époque. À plusieurs égards, leur souvenir ne s’est pas perdu dans notre façon d’être. Ils sont toujours nos contemporains par leur présent. 

LES EXÉCUTIONS 
DU VENDREDI 15 FÉVRIER

L’aurore des Canadas, 
février 1839

Comme nous l’avions annoncé dans notre dernière publication, MM. Charles Hindenlang, le Chevalier de Lorimier, Pierre-Rémi Narbonne, François Nicolas et Amable Daunais ont été exécutés en face de la prison neuve.

Ils s’avancèrent d’un pas ferme sur la plate-forme, d’où leurs âmes devaient s’envoler pour un monde meilleur. Hindenlang, beau jeune homme de 29 ans, parut premier, avec la même grâce, la même assurance qu’il aurait pu montrer dans un salon. Il s’avança au-devant de l’échafaud et adressa au peuple un discours que les journaux de cette ville n’ont pas voulu ou n’ont pu reproduire, sans doute à cause de l’effet qu’il pourrait produire sur le public.

Nous nous abstiendrons aussi de le publier. Nous répéterons seulement ce que dit le Transcript « qu’en mourant il était encore persuadé que la cause dans laquelle il s’était engagé était une bonne cause ; qu’il niait au gouvernement anglais le droit de le mettre à mort, et qu’il termina s’écriant d’une voix forte : VIVE LA LIBERTÉ ». 

Il avait, ainsi que les autres, les mains liées derrière le dos, de manière qu’il ne pouvait guère gesticuler qu’avec la tête ; ce qu’il faisait pourtant avec beaucoup de grâce. En achevant, il se tourna vers les détenus politiques de la prison, qu’il avait priés de se tenir aux fenêtres, et leur fit un dernier signe d’adieu.

De Lorimier, qui a constamment parlé et écrit, dit-on, dans le sens des paroles d’Hindenlang, montra la même intrépidité que ses compagnons, mais ne parla pas non plus que Daunais et Narbonne. 

HENRIETTE CADIEUX 
au BARON FRATELIN

Montréal, 16 février l839

Monsieur et ami, 

Comme mon époux malheureux et infortuné m’a dit, avant son exécution, que vous aviez fait son portrait, et que je désirerais beaucoup l’avoir, je pense bien que vous ne me refuserez pas cette grande faveur. Je désire conserver ce portrait jusqu’à la fin de ma vie, étant un précieux souvenir pour moi, je vous en serai éternellement reconnaissante.

Il n’est plus, hélas ! on me l’a ravi impitoyablement et injustement du sein de sa famille pour le traîner à l’infâme prison et de là au gibet, où une foule immense de tyrans qui ont une soif insatiable de sang était rassemblée pour voir ce triste spectacle. Il est vrai qu’ils lui ont ôté la vie, mais ils n’ont pu lui ôter son courage et sa fermeté. Il s’est montré jusqu’à la fin capable de soutenir la cause sacrée qu’il avait embrassée et défendue avec la plus grande ardeur ; son crime est d’avoir demandé ses droits qu’on s’efforçait de lui ravir. Il voulait mettre son pays indépendant et exempt de la tyrannie anglaise. 

Il n’a pu réussir, ses efforts n’ont pas été secondés par un grand nombre de ses compatriotes, qui lui avaient promis leur aide. Il ne me reste plus à présent qu’à déplorer la perte irréparable d’un époux chéri et adoré qui faisait mon bonheur. Il me reste aussi à pourvoir aux besoins de trois pauvres orphelins à qui on a arraché le plus tendre des pères et de qui je suis la mère désolée : serait-il possible qu’après avoir eu un tel père il serait oublié ? Non, je ne le crois pas, j’en ai même la certitude. Ses amis, je l’espère, me tendront une main secourable et protectrice. Le souvenir de ses malheurs et des grands sacrifices qu’il a faits pour son pays et qui réduisent aujourd’hui sa famille à être obligée d’implorer l’assistance ne seront pas oubliés. Quelques personnes m’en ont déjà fait sentir les effets. J’ose espérer que d’autres suivront leurs exemples.

ÉTIENNE CHARTIER 
à WOLFRED NELSON
Paris 21 mai 1840

Mon cher Monsieur,

J’ai toujours été sous l’impression (et malheureusement bien d’autres avec moi) que M. Papineau s’était enfui de Saint-Denis lâchement et presque furtivement ; j’ai appris de M. Papineau lui-même que ce n’a été qu’à votre sollicitation pressante qu’il est parti de Saint-Denis. Dans ce cas-là, son départ de Saint-Denis prend une couleur tout autre que celle que ses détracteurs lui donnent. Le pays est intéressé à connaître la vérité au sujet de ses chefs, surtout dans un temps où il paraîtrait que sa perte n’est pas encore commencée et que le présent nous apporte encore des consolations, de l’espérance pour l’avenir. J’ose donc vous prier, Monsieur, de vouloir bien m’écrire comment s’est fait le départ de M. Papineau de Saint-Denis, avec tous ses détails et ses circonstances, et les différentes représentations que vous lui avez faites alors pour motiver son départ, me proposant de me servir de votre témoignage pour en détromper d’autres qui, comme moi, ont été les dupes de rapports mensongers. On m’a dit par exemple que MM. Papineau et O’Callaghan se tenaient cachés dans votre grenier, tant ils avaient peur, qu’ils ont trouvé le moyen de commander deux chevaux de selle, qu’ils ont descendu furtivement du grenier quand les chevaux ont été amenés près de la maison, ont sauté dessus et se sont sauvés aussi vite qu’ils ont pu. 

M. Papineau est vu et apprécié comme on doit s’y attendre par les politiques et savants libéraux ; il est très bien accueilli par l’ambassadeur américain qu’il voit de temps en temps. Les rapports qui ont circulé sur la frontière, que M. Papineau était universellement méprisé à cause de sa lâcheté, disait-on à Saint-Denis, sont absolument faux. Lord Aylmer même, qui est à Paris, ne peut s’empêcher d’en dire à présent du bien, et lord Gosford a dit aux États-Unis et durant la traversée que, s’il avait écouté les avis de M. Papineau, ils seraient encore tous deux, lui à la tête de son gouvernement et M. Papineau, dans sa patrie.

Les liaisons politiques qui existent entre le gouvernement de Louis-Philippe et l’Angleterre font que M. Papineau s’est abstenu de faire des liaisons dans le parti du gouvernement. S’il avait plus de revenus, il dit qu’il pourrait étendre le cercle de ses liaisons politiques ; mais il est réduit à vivre si à l’étroit qu’il n’est pas capable de donner à dîner à personne ; il se plaint même de ses parents de Montréal qui n’osent pas lui écrire, même pour ses affaires personnelles (excepté Monsieur Dessaulles). 
JOSEPH DUMOUCHELLE 
à sa soeur
Nouvelle-Galles du Sud, 
district de Parramatta
Longbottom (Nouvelle-Hollande), 20 mai 1840

Ma chère sœur,

Éloigné de toi, il n’y aurait pas de plus grand plaisir pour moi que de t’écrire au long les particularités de mon voyage en exil, et je n’ignore pas combien, toi aussi, partagerais ce plaisir ; mais pour un certain motif, je me bornerai seulement à donner de mes nouvelles. Pour plus d’informations, tu demanderas à mon épouse qu’elle te donne communication de la lettre que je lui écris.

J’ai été quatre ou cinq jours malade du mal de mer durant la traversée, mais depuis ma santé s’est rétablie graduellement, et je jouis maintenant d’une santé robuste. Notre voyage a été un des plus heureux qui se soient encore faits vers ces lointains rivages. Nous avons souffert beaucoup de la chaleur en passant sous les tropiques. Nous avons passé sous l’équateur le 12 novembre. Au sortir du golfe, le capitaine du vaisseau dirigea sa course droit au cap de Bonne-Espérance, mais lorsque nous longeâmes la côte d’Afrique, le vent soufflait avec violence, et, se trouvant contraire à notre route, il fut décidé de regagner la côte de l’Amérique du Sud, pour y prendre les vents d’Ouest qui conduiraient droit au cap et de là au lieu de notre destination.

Nous abordâmes donc la côte de l’Amérique du Sud, que nous longeâmes jusqu’à Rio de Janeiro, capitale du Brésil, où nous mouillâmes le 30 novembre, devant la ville. Nous eûmes la permission d’acheter des fruits, qui sont en abondance et à bon marché en ce lieu, tels qu’oranges, raisins, etc. Nous repartîmes de là le 5 décembre, en direction vers le cap de Bonne-Espérance, où nous devions toucher ; mais en arrivant dans ces parages, le vent était si violent qu’il fallut passer tout droit ; car le vaisseau ne pouvait y aborder sans danger. Nous dépassâmes ce cap fameux le 25 décembre, et tombâmes dans la mer des Indes, où le vent nous favorisa jusqu’à Sydney.

Au temps des patriotes, Tome I 1830-1837, Tome II 1838, Tome III 1839-1840, Georges Aubin, Aubin & Blanchet, 2020