Pourquoi Trump risque de remporter son élection

La suppression du vote est la continuation de la lutte des classes par d’autres moyens

2020/10/09

Dans son livre How Trump Stole 2020 (Seven Stories Press), le journaliste d’enquête Greg Palast annonce par anticipation la victoire de Donald Trump au scrutin du 3 novembre 2020. Journaliste à la BBC-TV, au Guardian et à Rolling Stone, Palast s’intéresse depuis des années aux tactiques employées par les Républicains pour restreindre le droit de vote des Noirs, des Hispaniques et des Américains d’origine asiatique. 

À ce chapitre, les États-Unis ont une longue histoire d’exclusion des Afro-Américains des scrutins. Au-delà de l’intimidation proprement dite (Klu Klux Klan), on exigeait d’eux, à une certaine époque, de répondre à des questions pointues sur la Constitution américaine pour avoir le droit de voter. Depuis le Voting Rights Act de 1965, qui leur accordait le droit de vote, les tactiques se sont raffinées. Palast les passe en revue. Il y a des classiques : réduire au minimum le nombre des bureaux de vote dans les comtés avec une majorité de résidents afro-américains ou les équiper de machines à voter défectueuses. Mais il y a des méthodes plus sophistiquées.

Les déménagements

Palast s’est intéressé de près à la Géorgie où le secrétaire d’État républicain, Brian Kempf, a radié 665 677 électeurs des listes électorales, soit un Géorgien sur 8. Le prétexte invoqué : les électeurs auraient déménagé. Kempf n’est pas parvenu à cette conclusion par une analyse des changements d’adresse dans les registres. Non. Sa méthode est de radier des listes tous les électeurs qui n’ont pas voté au cours des deux dernières élections fédérales. Pour confirmer son intervention, il fait parvenir à l’adresse des expurgés une carte postale quasiment illisible qui ressemble à une circulaire publicitaire qu’on met machinalement à la poubelle. Si l’électeur ne la retourne pas après l’avoir remplie, il est présumé avoir déménagé. 

La Géorgie n’est pas le seul État à avoir ainsi purgé ses listes électorales. L’Ohio a radié 1 035 000 électeurs soit 13 % de sa population en âge de voter, la Caroline du Nord 576 534 électeurs, l’Arizona 258 000 électeurs. En 2016, lorsque son gouverneur était l’actuel vice-président Mike Pence, l’Indiana a radié 22,4 % de électeurs inscrits sur les listes électorales.

Pour l’élection de 2016, le Wisconsin a radié 232 597 électeurs, soit dix fois la majorité de Trump (22 748 voix). Palast et son équipe ont décortiqué la liste des exclus : 156 étaient décédés ; 62 433 avaient effectivement déménagé hors de leur État ou de leur comté, mais 97 135 avaient déménagé dans le même comté et n’auraient pas dû, d’après la loi, être radiés ; 48 728 n’avaient pas changé d’adresse.

Sans surprise, une étude révèle que les Blancs sont trois fois plus susceptibles de retourner la carte postale que les Noirs, les jeunes deux fois moins que les aînés, les propriétaires 28 % fois plus que les locataires.

Entre 2014 et 2016, 16 696 470 électeurs – un électeur sur 12 – a vu son nom disparaître des listes électorales, soit deux fois plus que le nombre de personnes ayant déménagé selon le Bureau du Recensement. Et, ajoute Palast, plusieurs États et comtés omettent de rapporter les opérations de radiation. Cela n’a pas empêché la Cour suprême des États-Unis de statuer que le non-retour de la carte postale était une raison suffisante de croire que la personne avait déménagé.

Le vote provisoire

La loi fédérale oblige la Géorgie et d’autres États à remettre un bulletin de vote provisoire à quiconque conteste l’absence de son nom sur la liste électorale. Mais la loi de la Géorgie n’oblige pas l’État à compter ces bulletins de vote ! 

En 2016, selon l’Elections Assistance Commission des États-Unis, 2,5 millions d’Américains ont reçu un bulletin de vote provisoire, mais 925 973 d’entre eux n’ont pas été comptabilisés. De nombreux États ont tout simplement refusé de rapporter le nombre de bulletins de vote provisoire accordés et non dénombrés. Trump a remporté le Michigan par 10 704 voix, alors que 75 355 bulletins de vote n’ont jamais été comptés !

Les doubles électeurs 
potentiels

En 2013 a été instauré le programme national Interstate Cross-chek censé identifier les électeurs qui pourraient frauduleusement voter dans deux États. La méthode était simple : supprimer les noms présents sur les listes électorales de deux États limitrophes. Pour faire simple, on s’est contenté de comparer nom et prénom sans tenir compte de la date de naissance ou d’autres informations pertinentes à l’identification des personnes. Il y a deux Andrew Jackson dans deux États limitrophes ? C’est sans doute la même personne. Un fraudeur en puissance. On raye son nom des listes électorales. Trente États, la plupart contrôlés par des Républicains, ont adhéré au programme. La Virginie, par exemple, a identifié 339 120 « fraudeurs » potentiels ; 41 637 ont été radiés.

Aux États-Unis, un électeur sur 7 est Afro-Américain, 1 sur 8 est Hispanique et 1 sur 8 est d’origine asiatique. Selon le Bureau du Recensement des États-Unis, 85 % des noms les plus fréquents sont des noms de membres des minorités : Rodriguez, Jones, Chong, Patel, Jackson, etc. Un quart des Afro-Américains partagent seulement 43 noms, un quart des Américains d’origine asiatique 41 noms, un quart des Hispaniques 26 noms. Au total, 1,1 million d’électeurs ont été radiés sous le prétexte d’avoir voulu voter dans deux États.

Le vote des étrangers

Des lois adoptées en Arizona, en Alabama et au Kansas requièrent que les électeurs prouvent qu’ils sont citoyens américains. Les seules preuves admissibles sont un passeport et un certificat de naissance, dont le coût (50 $) est souvent prohibitif pour plusieurs électeurs à faible revenu. En vertu de cette loi, le Kansas a privé 35 314 « étrangers » de leur droit de vote en 2016. Une étude a démontré que 44,6 % d’entre eux avaient de 18 à 29 ans et qu’ils préféraient les Démocrates aux Républicains dans une proportion de 55 % à 36 %. 

L’auteur du projet de loi a dû admettre devant les tribunaux que les personnes radiées détenaient toutes la citoyenneté américaine, mais il a plaidé que sa loi pourrait empêcher à l’avenir un étranger de voter « parce que des millions d’entre eux votent aux États-Unis ». Trump maintient toujours que plus d’un million d’étrangers ont voté illégalement. Palast se demande combien d’illégaux voteraient, tout en sachant qu’ils risquent 5 ans de prison ou la déportation.

Rappelons que Trump a été élu président parce qu’il a arraché la victoire dans trois swings states : le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie. Dans ces trois États combinés, il a battu Hillary Clinton par à peine 77 400 votes, soit moins d’un pour cent des votes de ces trois États. Dans l’ensemble des États-Unis, pas moins de 5 872 857 bulletins de vote n’ont pas été comptés lors de l’élection de 2016. S’ajoute à cela un minimum de 1 982 071 électeurs qui ont été empêchés de voter pour un total de 7 854 928 (voir tableau).

Les responsables

Le grand responsable de toutes ces manœuvres est Kris Kobach, le secrétaire d’État du Kansas. Son mentor est Hans von Spakowsky, qui faisait partie de l’équipe de George W. Bush en 2000 qui a disqualifié 179 855 bulletins de vote en Floride, la plupart dans des comtés avec une population à majorité noire, assurant la victoire de Bush sur Al Gore.

Le président Bush l’a récompensé en le nommant à la tête de la Justice Department Civil Rights Division où il avait pour mandat de protéger le droit de vote des Afro-Américains (sic) ! La moitié du personnel a démissionné en signe de protestation lors de sa nomination. En 2017, Trump l’a nommé à la Presidential Commission on Election Integrity (re-sic) !

Palast nous dit que le sujet de son livre n’est pas le droit de vote, mais le pouvoir et qu’aux États-Unis, le pouvoir vient avec le carnet de chèques. Une des deux sources de cet argent est l’entreprise Georgia-Pacific, des frères Koch dont le siège social est à Wichita au Kansas, l’État où sévit le principal artisan de toutes les manœuvres de radiation, le secrétaire d’État Kris Kobach.