L’anglais domine le réseau de la santé au Québec

2020/11/06

Notre chroniqueur Frédéric Lacroix vient de publier aux Éditions du Boréal Pourquoi la loi 101 est un échec. Nous publions cet extrait qui constitue la conclusion du chapitre sur le réseau de la santé. 

Déjà en 1972, la commission Gendron reconnaissait l’existence au Québec de deux réseaux de la santé et de services sociaux séparés sur une base linguistique :

« Mais nous connaissons l’état de ségrégation dans laquelle ont vécu jusqu’ici les deux communautés linguistiques, ségrégation qui les a amenées à développer chacune un secteur complet de services personnels et sociaux […]. La clientèle francophone tend, à Montréal, à Québec et dans le comté de Pontiac, à utiliser les services hospitaliers et médicaux du secteur anglophone ; elle déborde ses propres services pour envahir ceux de l’autre communauté. Nous n’en avons pas cherché les raisons, mais c’est un fait. Dès lors, la question se pose : cette clientèle francophone reçoit-elle dans sa propre langue les services qu’elle vient requérir et qu’on accepte de lui donner ? La réponse n’est pas toujours satisfaisante. »

Tout est là : l’existence de deux réseaux de la santé séparés sur une base linguistique, le surdimensionnement du réseau anglophone qui fait que les francophones se tournent vers lui pour recevoir des services de santé, l’incapacité, souvent, d’y recevoir des services en français. Et cet aveu étonnant :

« Nous n’en avons pas cherché les raisons… » Les yeux grands fermés, déjà.

Le portrait brossé par la commission Gendron n’a pas beaucoup changé. La surcomplétude en santé pour les anglophones est toujours majeure à Montréal : ils contrôlent presque la moitié des établissements de l’île. Le gouvernement du Québec s’est même permis récemment d’augmenter le nombre d’établissements contrôlés par les anglophones en transférant l’Hôpital de Lachine, autrefois francophone, au McGill University Health Centre (MUHC).

Le financement des institutions anglophones n’a jamais été rajusté pour tenir compte de l’importante décroissance de la population anglophone qui a eu lieu dans les dernières décennies. Le dimensionnement de ces établissements dépasse de loin le nombre réel d’anglophones à Montréal ; les postes dans ces institutions sont donc occupés en grande partie par des allophones et des francophones, qui travaillent en anglais.

William Johnson, président de la défunte Alliance Québec, un groupe de pression anglophone, avait déclaré en 1999 qu’il existait deux langues officielles au Québec et que la loi sur les services de santé était en quelque sorte la « Charte de la langue anglaise » : il reconnaissait ainsi que l’objectif implicite des programmes d’accès aux services en anglais en santé était moins d’obtenir des services dans cette langue que de rétablir le bilinguisme institutionnel que la charte de 1977 avait aboli.

Le MUHC, à lui seul, représente 12 000 postes dans le réseau de la santé. Or, la langue de travail étant un déterminant majeur de celle parlée à la maison et étant éventuellement la langue transmise aux enfants, la communauté anglophone tient, avec le contrôle de ces institutions, l’atout qui lui permet de grossir ses effectifs du côté de la langue d’usage et de bénéficier de presque la moitié des substitutions linguistiques faites au Québec par les allophones.

De plus, environ la moitié des établissements au Québec offrent des services en anglais, parfois de façon très extensive. La politique linguistique du réseau de la santé s’inspire de la Loi sur les langues officielles fédérale et est en contradiction flagrante avec le fondement de la charte, qui est le « français langue commune ».

Les comités d’accès aux services en anglais veillent à augmenter graduellement le bilinguisme dans le réseau. La surcomplétude institutionnelle pour les anglophones à Montréal a des conséquences majeures sur la dynamique linguistique au Québec. Mais pas seulement : les investissements massifs qui ont été faits pour construire un mégahôpital anglophone à Montréal, pour agrandir le MGH et le Jewish, pour bâtir un hôpital pédiatrique anglophone alors qu’il était démontré que ce n’était pas nécessaire afin de couvrir les besoins cliniques, l’argent qui est utilisé pour maintenir des lits dans ces institutions, aucune de ces sommes n’est disponible pour, par exemple, les francophones des régions ou les services de première ligne. Le Québec sabote et sous-finance ainsi le reste de son réseau – francophone – de la santé. C’est une des causes, taboue et jamais évoquée, de la piètre performance du Québec durant la crise de la COVID-19.

Le Royal Victoria est fermé pour l’instant. Avant de quitter le pouvoir, le PLQ a promis de remettre la plus grande partie des bâtiments de l’ancien hôpital à McGill pour permettre à cette université de réaliser un agrandissement majeur. Le gouvernement a aussi alloué 35 millions de dollars à McGill pour financer le démarrage du projet, qui est actuellement inscrit au Plan québécois des infrastructures (PQI). Le coût du projet est inconnu, mais atteindra vraisemblablement plusieurs centaines de millions de dollars. Tout cela viendra grandement consolider le rôle de McGill comme l’université dominante au Québec et consacrera son emprise sur le centre-ville de Montréal.

On sait que les anglophones du Québec ont une espérance de vie plus longue que les francophones (de 0,3 an pour les femmes et de 1,1 an pour les hommes). À Montréal, celle des hommes francophones est de 2,6 ans moindre que celle des hommes anglophones, ce qui est très significatif. L’espérance de vie dans l’est de Montréal, francophone, est de neuf années de moins que dans l’ouest de l’île. La surpondération des investissements en santé en faveur des anglophones contribue-t-elle à ce déséquilibre persistant de l’espérance de vie en fonction de la langue maternelle ?

Le rattrapage en santé n’a été fait que partiellement au Québec depuis les années soixante ; l’égalité en matière de santé entre les francophones et les anglophones n’a toujours pas été atteinte.

De plus, la centralisation en santé a certainement donné un coup d’accélérateur majeur à l’anglicisation. Était-ce là un des buts poursuivis par la réforme Barrette ? Cela expliquerait en partie l’obsession du PLQ pour la centralisation en santé depuis sa prise du pouvoir en 2003.

Le saccage de la dynamique linguistique à Montréal, résultat direct de la surcomplétude institutionnelle consentie aux anglophones, ne fait que commencer.