Michel Chartrand 1968-1978

Le portulan de l’histoire

2020/12/04

On dit souvent qu’un personnage public est le reflet de son époque, ce qui est sans doute vrai. Toutefois, on devrait ajouter que certains personnages sont des éperons accélérant la marche de l’histoire, des catalyseurs des forces de changement, des visionnaires. Michel Chartrand, l’homme et le militant, a été cela, tout au long de sa vie, mais plus particulièrement dans la décennie de sa présidence du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal, lequel a joué un rôle considérable dans la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et non négligeable dans la société québécoise. (…)

Un syndicalisme de combat, résolument anticapitaliste

En décembre 1968, Michel Chartrand est élu président du Conseil central de Montréal, in absentia, car il participe à une rencontre de travailleurs de la construction. Il était depuis peu permanent au Syndicat de la construction de Montréal affilié à la CSN, il y était responsable de l’éducation et de l’action politique. Le CCSNM compte alors près de 60 000 membres regroupés dans 200 syndicats, soit le tiers des effectifs de la CSN. D’organisation sur papier sans réelle vie syndicale, le Conseil central devient la force syndicale la plus importante de la CSN. (…)

Le socialisme 
c’est la démocratie

Quel dirigeant-e syndical-e du Québec, du Canada, des États-Unis aurait pu affirmer cela et en faire le thème d’un congrès syndical en 1972 ? Aucun, sauf Michel Chartrand. Car dans la guerre froide de l’après-guerre, le mot socialisme est généralement associé au régime soviétique de l’URSS et, donc, à la dictature. C’est pourquoi le mouvement syndical nord-américain ne se réclame pas du socialisme. 

Or, pour Chartrand, le socialisme (à bâtir) serait « le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple », ce qui est aussi sa définition de la démocratie ; donc, pour lui, le socialisme, c’est la démocratie. Mais œuvrer à bâtir une société socialiste n’est pas nécessairement bien vu, même à la CSN, ce qui fera de Michel Chartrand et du CCSNM d’alors des membres gênants pour la direction de la CSN et certaines fédérations. La lettre du Président général Marcel Pepin aux militants de la CSN de 1970 en est un exemple. C’est une attaque directe contre les positions du Conseil central et de son président, dont on ne se gêne pas pour dire qu’il n’est pas démocrate. (…)

La solidarité internationale des travailleur-euses, 
des « damné.es de la terre » : 
une responsabilité 
du mouvement syndical

Ardent nationaliste, Michel Chartrand s’est toujours senti interpellé par ce qui se passait ailleurs dans le monde, en particulier par les mouvements de libération et de lutte contre les impérialismes dominants, qu’ils soient étatsuniens ou soviétiques. La solidarité internationale des travailleur-euses et des peuples faisait partie de son credo syndical. Aussi les assemblées générales laissaient-elles une bonne place à des points d’information et de formation pour des mobilisations sur des luttes ailleurs dans le monde.

Le premier a été la guerre impérialiste au Vietnam qui a suscité de nombreuses actions de solidarité à Montréal (manifestations, défense des déserteurs étatsuniens, conférences, etc.). Puis en 1972, des militants syndicaux, dont deux membres de l’exécutif, ont fait une tournée au Moyen-Orient (Jordanie, Liban, Égypte, Irak) pour s’informer et exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien et l’Organi-sation pour la libération de la Palestine (OLP). (…)

Depuis les années 1940, la lutte pour la santé et la sécurité des travailleurs-euses a été une des préoccupations constantes de Michel Chartrand. Il a conduit le Conseil central à la faire sienne. Dans le mouvement syndical, on en parlait très peu avant 1968. Il a même fallu attendre dix ans pour que la CSN mette sur pied un comité de santé-sécurité dont Michel Chartrand a été un membre fondateur.

Rappelons que, depuis 1968, cha-que assemblée et chaque congrès du Conseil central commencent par une minute de silence en souvenir des travailleur-euses mort-es au travail. En 1975, le Conseil central soutient l’UTTAM (Union des travailleurs et travailleuses accidentés ou malades), un groupe indépendant du mouvement syndical, en lui offrant des locaux gratuitement. Les travailleur-euses doivent être protégés et défendus dans leur intégralité. Quelle que soit leur allégeance, c’est la responsabilité de tout le mouvement syndical et progressiste.

C’est pour cela qu’en 1970, Michel Chartrand et Florent Audette (du Syndicat de la construction de Montréal) s’allient aux syndicats de la construction affiliés à la FTQ contre le projet de loi 17 sur la santé et sécurité du travail du gouvernement du Parti libéral, projet de loi qu’ils jugent conçu davantage pour les compagnies que pour les travailleur-euses. 

Ce geste leur vaut leur expulsion du Bureau confédéral de la CSN sous l’influence des 3D qui veulent la tête du président du Conseil central. Le président de la CSN, Marcel Pepin, accuse publiquement Michel Chartrand et Florent Audette d’être « la tête de pont des unions américaines » pour s’être alliés aux syndicats des métiers de la construction, affiliés à la FTQ.

Les délégués du Syndicat de la construction de Montréal (CSN) et du Conseil central dénoncent cette décision du Bureau confédéral et apportent leur plein soutien aux deux exclus, qu’ils voient comme des défenseurs des travailleur-euses; confirmation de leur appui, Michel Chartrand est réélu par 70 % des 467 délégué-es, le 4 juin 1970.

En 1979, poursuivant son engagement, Michel Chartrand a mené la lutte contre le projet de loi du gouvernement du PQ sur la santé-sécurité du travail et dénoncé publiquement les positions collaborationnistes du président de la FTQ, Louis Laberge, membre de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST). En 1983, à l’âge normal de la retraite, il a créé la Fondation pour l’aide aux travailleurs accidentés (FATA) et y a travaillé quotidiennement. 

Qui prendra le relais 
de Michel Chartrand ?

Le défi est de taille, car le mouvement syndical québécois affronte une conjoncture différente et, de façon gé-nérale, est plus sur la défensive qu’en lutte constante et acharnée contre le capitalisme pire que jamais, car il ne se limite pas à exploiter la force de travail, il s’immisce dans l’esprit, voire dans le cœur de chacun-e de nous, tout en détruisant la Terre mère. (…) 

On peut vivement espérer que le Conseil central continuera d’agir comme éperon dans la lutte anticapitaliste au sein de la CSN et du mouvement syndical québécois. De fait, il a été la première organisation affiliée à la CSN à prendre position en faveur du salaire minimum de 15 dollars l’heure. Maintenant, il faut gagner cette lutte et, pour cela, il est d’abord nécessaire de convaincre les syndiqué-es du bien-fondé de cette revendication à caractère social.

Cent ans de luttes, Conseil central du Montréal métropolitain, M éditeur, 2020