Nous sommes plus soumis que la Barbade

Le rapatriement de la Constitution en 1982 n’a eu aucun effet sur la monarchie

2020/12/04

Après 55 ans d’indépendance, l’archipel de la Barbade, situé dans les Antilles, a décidé d’abolir la monarchie britannique sur son territoire. L’annonce a été faite par sa gouverneure générale. Le Canada est indépendant depuis 1931 et n’a aucune intention d’en faire autant. Tout comme la Barbade, le Canada est une ancienne colonie britannique. Le rapatriement de la Constitution en 1982 n’a eu aucun effet sur la monarchie. Après l’avènement de la république à la Barbade, il restera quinze États du Commonwealth, l’organisation internationale qui a succédé à l’Empire britannique, qui ont en commun Sa Majesté la reine Elizabeth II à titre de chef d’État. La monarchie britannique est la seule monarchie multinationale au monde. 

Le Commonwealth compte 53 États membres. Il y a longtemps que plus de deux tiers de ses membres sont des républiques. En plus d’être la chef d’État d’une minorité d’entre eux, Sa Majesté porte depuis son couronnement en 1953 le titre de chef du Commonwealth. Cette fonction d’origine récente n’est pas héréditaire, contrairement à celle de chef d’État.  

Les États qui ont la reine Elizabeth II comme chef d’État sont, sur le plan constitutionnel, des royaumes distincts et égaux depuis la date de leur indépendance.  Nous vivons dans une démocratie qui est aussi le Royaume du Canada.

Les principaux États qui ont la reine pour chef d’État sont, en plus du Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Bermudes et la Jamaïque. L’Australie a tenu un référendum en 1999 pour abolir la monarchie; 45 % des électeurs ont appuyé cette proposition. Le mouvement républicain australien demeure actif et important.  De nombreux observateurs sont d’avis que ce pays tiendra un autre référendum sur le sujet à la fin du présent règne. La Nouvelle-Zélande a annoncé qu’elle suivrait probablement. La Jamaïque a indiqué qu’elle y songeait également. 

La succession royale a lieu automatiquement lors du décès ou de l’abdication d’un souverain. Aucune loi fédérale ou provinciale n’est requise. La pratique canadienne est d’émettre un simple décret du Cabinet fédéral qui annonce l’avènement d’un nouveau chef d’État. On ne nous demandera pas notre avis. 

Les règles de la succession royale sont incompatibles avec le droit à l’égalité garanti par les chartes des droits du Canada et du Québec. Selon les vieilles lois britanniques sur la monarchie qui continuent de s’appliquer au Canada, le chef de l’État canadien doit être membre d’une famille étrangère et de religion anglicane (qui est pratiquée par 10 % des Britanniques), ce qui est contraire au principe de laïcité.  L’État britannique n’est pas laïque, puisque la reine est aussi automatiquement le chef de l’Église anglicane. Elle porte le titre de Défenseur de la Foi, qui avait ironiquement été attribué à Henri VIII par le pape au début du 16e siècle pour défendre la religion catholique avant qu’il devienne lui-même protestant.  

Lors de la cérémonie du couronnement du nouveau souverain, la partie la plus délicate, la seule qui n’a pas été montrée à la télévision lors du couronnement d’Elizabeth II en 1953 en raison de son caractère sacré, est l’onction d’une huile sur le front qui symbolise le choix de Dieu. Cette cérémonie, qui existait aussi pour les sacres du Roi de France, a été empruntée aux sources hébraïques de l’Ancien Testament, et témoigne des racines de la civilisation judéo-chrétienne.
En notre droit constitutionnel d’origine britannique, la souveraineté du peuple est inconnue parce que c’est une notion républicaine.  Seule compte la souveraineté de Dieu. Le roi ou la reine détient une souveraineté qui lui est déléguée par la puissance divine, telle qu’imaginée en Israël pendant l’Antiquité. C’est ainsi que notre prochain chef d’État sera consacré. 

Le Royaume-Uni s’est longtemps opposé à la notion de citoyenneté, qui rappelait trop à ses yeux la Révolution française et qu’il jugeait incompatible avec l’idée de sujet du roi qui faisait la fierté de John A. Macdonald, le principal fondateur du Canada. C’est pour cette raison que la citoyenneté canadienne n’est apparue qu’en 1947 et fut perçue comme une manifestation de l’indépendance du Canada. Avant cette innovation juridique, nos grands-parents étaient juridiquement des sujets de la Couronne britannique. 

Le Canada est le seul État du 
G-7 à laisser un autre État, lui aussi membre du G-7, lui dicter les règles de désignation de son chef d’État. L’abolition de la monarchie au Québec a autant d’appuis que la loi 21. Au Canada anglais, les communautés multiculturelles issues de l’immigration ne donnent pas de nombreux monarchistes ; environ 40 % de la population canadienne hors Québec favoriserait la république canadienne et cette proportion serait croissante. À terme, la monarchie est condamnée. Il reste à en prendre acte.

Le Québec détient, depuis une décision de la Cour suprême en 1998, le pouvoir de rouvrir la Constitution par une simple résolution adoptée à la majorité des membres de l’Assemblée nationale, ce qui déclencherait l’obligation de négocier du gouvernement fédéral et des autres provinces sur tout sujet de son choix; cet avis est partagé par de nombreux constitutionnalistes. Si notre Assemblée nationale ne le fait pas alors que nous avons d’excellentes raisons légitimes de vouloir retirer le plus grand symbole de la Conquête, c’est parce que nous sommes plus profondément colonisés que la Barbade. 

Si le Canada veut conserver la monarchie, le Québec devrait demander qu’il cesse de la lui imposer. Le Québec pourrait former une république associée au Canada même s’il choisit de ne pas accéder à l’indépendance.

Et le gouvernement du Québec devrait demander que le représentant constitutionnel du Québec, qui remplacera le lieutenant-gouverneur, soit un gouverneur désigné par l’Assemblée nationale ou élu au suffrage universel. 

Si on veut aller plus loin et remettre au gouverneur du Québec le pouvoir exécutif du premier ministre, comme aux États-Unis, il faudrait pour un changement aussi fondamental à nos institutions politiques demander au peuple québécois de décider dans un référendum. À cette occasion, une Constitution du Québec devrait aussi remplacer définitivement la souveraineté de Dieu par la souveraineté du peuple québécois, afin que les textes juridiques reflètent enfin la réalité démocratique. 

Tous ces changements peuvent se produire, que le Québec soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada. Le manque d’envergure de nos gouvernants fédéraux et provinciaux actuels nous empêche de les envisager sérieusement. 

Au train où vont les choses, le Canada sera le dernier pays du Commonwealth à conserver la monarchie aux côtés du Royaume-Uni. Nous sommes de fidèles serviteurs de la Couronne britannique. Heureusement, l’histoire ne coule jamais en ligne droite et nous ne sommes pas obligés de demeurer un peuple soumis.

L’auteur est constitutionnaliste. Il a publié La fin de la monarchie au Québec, Éditions du Renouveau québécois, 2018.