Les cégeps anglais dominent le palmarès

Un système d’éducation inégalitaire du primaire à l’université

2021/02/26

Le 12 février, le Journal de Montréal publiait une deuxième itération de son « Palmarès des cégeps ». La première édition avait mis en évidence la domination absolue des cégeps anglophones, qui ont des taux de diplomation bien supérieurs à ceux des cégeps francophones. Cette « excellence » est bien sûr due à la sélection des meilleurs étudiants seulement par les cégeps anglophones. Au collégial, le Québec a aussi, comme au primaire et au secondaire, un système scolaire inégalitaire, un système à « deux vitesses » ; la ségrégation selon la langue d’enseignement y est même entièrement financée par les fonds publics.

Le palmarès intègre une nouvelle méthodologie en normalisant le taux de diplomation à la sortie selon la moyenne au secondaire des étudiants à l’entrée. On cherche ainsi à éliminer l’effet de la sélection des meilleurs du côté anglophone et à mettre en évidence un « effet cégep », soit une « diplomation » supérieure à celle qui serait attendue en considérant seulement les notes au secondaire, surdiplomation qui serait due à la qualité de l’enseignement. En sciences de la nature, selon « l’effet cégep », les trois premières places sont prises par les cégeps de Jonquière, Gérald-Godin et Chicoutimi ; Dawson est relégué à la 33e position. Il est particulièrement intéressant de noter que de petits cégeps, souvent en région, occupent le haut du palmarès.

Des données consternantes

La journée même de la publication du Palmarès des cégeps, la FEC-CSQ, syndicat regroupant de nombreux professeurs de cégep, publiait de son côté une étude intitulée « Reprendre le chemin de l’égalité des chances ». Dans celle-ci, on apprend que : 1) Il y a 25 127 filles (57,2 % des effectifs) de plus que de garçons (42,8 %) inscrites au collégial ; 2) Depuis 20 ans, seulement 56 % des garçons accèdent au collégial comparativement à 75 % des filles ; 
3) Que pour le secondaire régulier public, le taux d’accès au cégep est de 37 % seulement alors qu’il est de 94 % pour les élèves issus des programmes d’éducation internationale (PEI) et des écoles privées ; 4) Le taux d’obtention du DEC stagne à 65 % depuis 20 ans, malgré de nombreux « plans de réussite » au collégial ; 5) Que l’écart de diplomation universitaire entre une fille dont les deux parents sont universitaires comparativement à un homme dont les parents ne sont pas issus du milieu universitaire est de 94 % versus 4 % !

Les écarts d’accès au collégial entre garçons et filles s’accroissent depuis 40 ans. Alors que l’écart était presque insignifiant en 1975, cet écart était monté à 18,6 points en 2015. Oui, il est vrai que l’accès au collégial est passé de 39,7 % à 56,7 % chez les garçons entre 1975 et 2015, une amélioration de 17 points. Mais, pendant ce temps, les filles gagnaient 36 points, soit le double. Pourquoi cet hallucinant décalage entre les sexes ? 

Ségrégation socio-économique

Cette étude de la CSQ révèle aussi crûment que la ségrégation socio-économique au secondaire est profonde. Le décalage des taux d’accès au cégep en fonction du type d’école (privée ou non) et de l’inscription dans des programmes particuliers payants ou non est immense. L’école à trois vitesses au secondaire mène au collégial à deux vitesses (car ce sont les étudiants du privé et des programmes particuliers du public qui s’inscrivent en surnombre dans les cégeps anglais). Le collégial anglais mène ensuite à l’université en anglais, un autre réseau réservé à l’élite socio-économique.

Au Québec, tout le réseau scolaire, du primaire à l’université, est structuré de façon inégalitaire. Le revenu des parents conditionne l’accès aux bonnes écoles. A contrario, les enfants issus de milieux pauvres sont cantonnés au public régulier, qui est devenu une véritable voie de garage. Au public régulier, à cause des coupures massives en éducation dans les vingt dernières années, les enfants à besoins particuliers ne peuvent, malgré le dévouement du personnel débordé, obtenir des services et d’aide de façon conséquente. Si votre enfant a des besoins particuliers et que vous n’avez pas les moyens de payer 100 $/heure pour les services d’une orthophoniste, tant pis pour votre enfant ! 

Pas étonnant que la probabilité qu’un enfant accède à un meilleur niveau de vie que celui de ses parents ait diminué (Le Devoir, 12 février 2021). On ne devrait pas s’étonner de cela. Tout notre système scolaire, le système le plus « inéquitable au Canada » selon le Conseil supérieur de l’éducation, est en réalité de plus en plus un système de reproduction des inégalités socio-économiques. Les élites qui en profitent ne voient aucun intérêt à changer ce système qui les avantage. Voilà la véritable raison pour quoi le débat sur le financement de l’école privée et le débat sur la loi 101 au collégial a toujours tourné court.

Niveler par le bas ?

Peu après la sortie du Palmarès des cégeps, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, annonçait vouloir faire augmenter la diplomation au collégial affirmant que « tout était sur la table », incluant « des changements à la formation générale ». Ceci est généralement un code pour dire que l’on va baisser les exigences en formation générale pour faire monter le taux de diplomation. Une mauvaise idée. 

Car les maux du collégial proviennent de deux sources : 1) la sélection des meilleurs par les cégeps anglais et 2) la profonde inégalité des chances au primaire et au secondaire. Une stratégie de « gestion des méfaits » qui ignore la structuration socio-économique à l’origine du problème va donner exactement les mêmes résultats qu’elle donne depuis vingt ans, c’est-à-dire rien. À moins, bien sûr, de niveler par le bas et de simplement accorder le diplôme collégial à plus de monde ! À noter qu’un nivellement par le bas va probablement amplifier la fuite vers le privé des étudiants provenant de milieux privilégiés.

Pour régler les maux du système d’éducation, il faudra s’attaquer à la ségrégation socio-économique de tout le système scolaire et offrir à chaque enfant une véritable égalité des chances. Cela ne peut se faire sans mieux financer l’éducation au primaire et au secondaire et sans, aussi, remettre en question le financement public de l’école privée et le financement public du collégial anglophone pour les non-anglophones. Sans réforme en profondeur, les inégalités vont continuer à s’accroitre ; les récents événements aux États-Unis nous ont clairement montré ce qui nous attend si nous laissons les choses aller. Est-ce là que nous voulons aller collectivement ?