Lettre à M. Dean Fuleihan, maire adjoint de New York

Les impacts potentiels de l’achat de l’électricité d’Hydro-Québec par New York

2021/05/21

Nous vous écrivons du Nord du Québec, au Canada, au nom de la Première Nation Innu de Pessamit, de la Première Nation Atikamekw de Wemotaci et des trois Premières Nations Anishnabek de Pikogan, Lac Simon et Kitcisakik, en référence à votre lettre du 19 avril 2021 adressée à Mme Doreen Harris, présidente-directrice générale de la New York State Energy Research and Development Authority. 

Nous vous sommes reconnaissants de l’accent mis sur les droits de la personne dans cette lettre rédigée par la ville de New York. Nous sommes particulièrement impressionnés par la persistance des autorités politiques de la ville de New York à considérer le point de vue de la Première Nation Innu de Pessamit concernant les impacts potentiels de l’achat de l’électricité d’Hydro-Québec par la ville de New York, suite à la visite de vos représentants à Pessamit, en juillet 2019. 

Les informations contenues dans la présente lettre se rapportent à l’obligation fixée par la ville de New York que les projets hydroélectriques canadiens retenus doivent respecter les droits de nos Premières Nations, nos territoires ancestraux et obtenir notre consentement préalable libre et éclairé. 

Projet Champlain Hudson Power Express (CHPE) 

Pessamit, Wemotaci, Kitcisakik, Lac Simon et Pikogan dénoncent et condamnent fermement les effets néfastes du projet d’interconnexion Hertel-New York et de son équivalent américain, la ligne de transport Champlain Hudson Power Express, sur nos vies et nos territoires traditionnels. En effet, une grande partie de l’électricité qu’Hydro-Québec utiliserait dans le cadre de son projet d’exportation vers les États-Unis proviendrait d’installations déjà en place sur nos territoires ancestraux. Ces installations ont été mises en place sans consultation et donc de manière anticonstitutionnelle. 

Il existe une relation directe entre la demande accrue d’électricité initiée par ce projet d’exportation, les méthodes d’exploitation des installations de production et leur impact sur nos activités traditionnelles et nos droits. Ledit projet causerait en outre des dommages graves, voire irréversibles, à l’environnement naturel dont dépendent nos communautés et sur lequel est fondée notre culture. Les informations suivantes sont vérifiables et connues d’Hydro-Québec. 

Déclin du marché intérieur 
et stratégie d’exportation 

Malgré le déclin constant du marché domestique depuis 2004, Hydro-Québec a rééquipé plusieurs de ses centrales, tout en augmentant leur puissance globale de 1 000 MW. Ces travaux ont été réalisés sur les territoires ancestraux de nos Premières Nations. Nous n’avons jamais été consultés pour aucun des cas susmentionnés, qui sont en totale contradiction avec les obligations constitutionnelles de la Couronne provinciale. De plus, la puissance supplémentaire acquise entre 2004 et 2021 sur nos territoires traditionnels n’a jamais été nécessaire pour répondre aux besoins du Québec puisque, tout au long de cette période, Hydro-Québec a connu des surplus croissants après avoir satisfait la demande interne. Toute cette électricité était et est toujours destinée aux marchés d’exportation tant que l’offre de la société d’État demeure supérieure à la demande intérieure, une situation qui, selon ses propres projections, ne s’inversera pas avant 2026. 
[…]
Alors qu’à partir de 2004 la demande interne d’électricité s’est effondrée, pendant cette même période, la puissance et l’énergie disponibles ont été augmentées dans neuf centrales situées dans nos territoires traditionnels. À partir de 2021, Hydro-Québec entend augmenter la production dans cinq autres centrales également situées dans nos territoires traditionnels. La puissance supplémentaire de ces quatorze centrales est uniquement nécessaire pour l’exportation. 

Jusqu’à présent, nos titres et droits ancestraux, qui devraient être prépondérants, n’ont pas fait le poids face aux perspectives de gains récurrents anticipés et réalisés par Hydro-Québec et le gouvernement provincial. 
[…]

Changements climatiques 

Nous souhaitons également aborder la question de l’anachronisme des modèles de gestion de l’eau d’Hydro-Québec face aux changements climatiques. Leur incapacité à s’adapter aux nouveaux événements climatiques potentiels a entraîné une augmentation de la sévérité et de la fréquence des situations extrêmes, posant des risques inacceptables pour les écosystèmes ainsi que pour nos activités traditionnelles. En effet, il est clair que certains paramètres, notamment ceux liés à l’environnement, sont soit complètement absents des modèles de gestion de l’eau d’Hydro-Québec ou, à tout le moins, pourraient bénéficier d’améliorations importantes. Les atteintes, de plus en plus fréquentes à notre milieu de vie, en sont la preuve. […] Les méthodes de gestion des réservoirs doivent donc être revues de fond en comble afin d’intégrer les objectifs de production aux impératifs de protection des habitats, de nos biens et de nos droits constitutionnels. 
[…]
Ces nouveaux projets sont d’autant plus dangereux qu’Hydro-Québec se préoccupe avant tout de la protection de ses équipements de production. Il n’est nulle part question d’appliquer le principe de diligence raisonnable à l’égard de nos droits lorsqu’il s’agit d’opérations de production. Par surcroît, Hydro-Québec, bien qu’elle n’en ait jamais eu l’intention, n’est plus techniquement en mesure d’appliquer les principes de précaution à l’égard de nos droits. La preuve en est que les barrages d’Hydro-Québec débordent maintenant régulièrement partout au Québec. 

Un contexte précaire 
pour la faune aquatique 

Dans un contexte d’instabilité climatique croissante, plusieurs espèces aquatiques importantes pour notre culture et qui contribuent encore de façon significative à notre alimentation, connaissent des conditions de survie de plus en plus difficiles, dans les réseaux hydrographiques soumis aux impératifs de production hydroélectrique. Dans ces milieux artificiels formés par les réservoirs d’Hydro-Québec, la productivité primaire des espèces aquatiques est systématiquement plus faible, la complexité de la chaîne alimentaire est réduite, tout comme la biomasse disponible par unité de volume d’habitat. 
[…]

Nos droits traditionnels 
et constitutionnels 

La politique d’Hydro-Québec a toujours été d’ignorer les droits des Premières Nations non couverts par une convention moderne. Cela correspond à l’attitude historique de la société d’État, qui n’a jamais daigné consulter nos Premières Nations, tout en augmentant la puissance globale de ses installations de production, même après 1996, lorsque la Cour suprême a reconnu nos droits au Québec. 

Pas une seule étude d’impact n’a été réalisée pour la construction de trente-trois (33) centrales sur nos territoires traditionnels, qui génèrent 36 % de la puissance totale installée d’Hydro-Québec. Le suréquipement de quatorze (14) de ces centrales a été ou sera réalisé sans aucune autorisation environnementale. Les procédures d’exploitation de ces centrales sont ou seront modifiées sans être divulguées.
[…]
D’un point de vue biologique, la diversité spécifique et génétique est déjà réduite dans les réseaux hydrographiques exploités par Hydro-Québec. Il en va de même pour la productivité biologique. […] Plusieurs espèces dont nous dépendons risquent maintenant d’atteindre leur seuil ultime de tolérance, et donc de disparaître des réseaux hydrographiques artificialisés par Hydro-Québec. De plus, une autre question qui demeure non résolue est celle des coûts de remplacement des ressources fauniques dont nous dépendons et de la capacité financière des membres de nos Premières Nations à supporter ces pertes. Il y a là un conflit fondamental entre le point de vue mercantile d’Hydro-Québec et de la Couronne provinciale et nos droits constitutionnels. 
[…]
L’impact sur nos territoires de l’exportation massive de 8,3 TWh d’électricité par an vers New York, qui correspond approximativement aux besoins d’un demi-million de foyers, est une autre variable de la gestion des installations de production pour laquelle nous n’avons pas de réponse. Il en va de même pour l’impact de l’exportation de 9,45 TWh par an vers le Massachusetts.
[…] 
Alors que sur les territoires couverts par des conventions modernes, toute modification des équipements de production et des modes d’exploitation des centrales est soumise à l’approbation des Premières Nations concernées, et que des mesures d’intégration sont systématiquement mises en place pour protéger leurs droits, absolument aucune tentative n’est faite pour comprendre les impacts des interventions d’Hydro-Québec sur nos territoires traditionnels ; absolument aucune tentative n’est faite pour nous consulter; absolument aucune tentative n’est faite pour atténuer les impacts des projets d’Hydro-Québec. Ainsi, Hydro-Québec et la province imposent à nos territoires une dynamique irréversible d’appauvrissement biologique. Cette insouciance constitutionnelle, qui remonte à plusieurs décennies, a laissé des traces profondes dans notre milieu de vie et notre culture. 

[…] Nous soulignons que le gouvernement du Québec a, depuis le 31 décembre 2020, exempté le suréquipement des centrales du processus d’approbation prévu par sa propre Loi sur la qualité de l’environnement, quelle que soit la puissance ajoutée. Un tel comportement est particulièrement scandaleux dans un contexte où toutes les centrales hydroélectriques visées sur nos territoires n’ont même jamais fait l’objet d’une quelconque étude d’impact environnemental lors de leur construction. 

Les exportations sont réalisées par Hydro-Québec depuis des décennies. Nous avons, malgré nous, contribué à ces exportations sans aucune contrepartie ni compensation. Cela a permis à Hydro-Québec de bénéficier d’un enrichissement ininterrompu et inégalé. Et, encore une fois, Hydro-Québec s’apprête à nous utiliser dans le cadre de ses projets d’exportation vers les États-Unis. 

La violation durable de nos droits par Hydro-Québec et le gouvernement du Québec est telle que nos Premières Nations sont lentement détruites, comme l’indiquent les statistiques socioéconomiques du gouvernement canadien. Nos indicateurs socioéconomiques sont comparables à ceux des pays du tiers-monde. 

En résumé, Hydro-Québec est loin de répondre aux critères énoncés au point 3 de votre lettre du 19 avril 2021 à la New York State Energy Research and Development Authority.

Gérald Hervieux, Conseiller élu, Première Nation des Innus de Pessamit ; James Cananasso, Vice-Chef, Première Nation des Anishnabeg de Pikogan ; Guy Laloche, Conseiller élu, Première Nation des Atikamekw de Wemotaci ; Lucien Wabanonik, Conseiller élu, Première Nation des Anishnabeg de Lac Simon.