La nation canadienne

Un État multinational caractérisé par l’inégalité des nations

2021/10/08

Le Canada est un État multinational caractérisé par l’inégalité des nations qui le composent. La réalité sociologique d’un État multinational est perçue comme menaçante ou déstabilisante par la nation canadienne, qui préfère la nier et n’en saisit souvent pas les implications.  La Constitution du Canada est la constitution de la nation canadienne, qu’elle a imposée aux nations québécoise et autochtones. 

Chacune de ces nations peut adopter sa propre constitution en exerçant son droit à l’autodétermination interne. Le droit à l’autodétermination interne de la nation québécoise et des nations autochtones comprend aussi le droit de ne pas être soumis à une constitution d’une autre nation sans son consentement. Ce droit fondamental collectif n’a pas été respecté par la nation canadienne en 1867 et en 1982. 

Les droits collectifs sont aussi des droits humains fondamentaux. Les droits ancestraux sont des droits collectifs des nations autochtones qui ont été partiellement reconnus par la Constitution du Canada. Les nations autochtones détiennent à la fois des droits ancestraux de nature collective garantis par le droit canadien, et le droit à l’autodétermination interne, tout aussi collectif, établi par le droit international.

La nation canadienne, dans sa constitution, a ignoré les droits collectifs autochtones en 1867 et les a reconnus en 1982 en excluant le plus important d’entre eux, le droit à l’autonomie gouvernementale, qui est l’équivalent en droit canadien du droit à l’autodétermination interne en droit international. Les provinces, à l’exception notable de la Colombie-Britannique, refusent généralement de reconnaître le droit à l’autonomie gouvernementale de peur d’affaiblir leurs compétences exclusives sur leur territoire et leurs ressources naturelles.  Le gouvernement fédéral l’a fait dans une loi en juin 2021, sans qu’on puisse encore en mesurer les effets.
La nation canadienne a refusé de reconnaître la nation québécoise dans sa constitution en 1867 et en 1982. L’idée de nation est nettement plus substantielle que celle de société distincte. La différence entre elles est que seules les nations détiennent le droit inhérent à l’autodétermination. Le concept de société distincte, inconnu sur le plan juridique, était une idée artificielle destinée à évacuer l’idée d’autodétermination. 

 La nation canadienne est devenue dominante au Canada par la force des armes, par la conquête de la nation québécoise et l’occupation effective des territoires autochtones par l’armée britannique et canadienne et la GRC. La nation canadienne s’est ensuite accrue par une immigration massive et permanente. Le Canada est une fédération qui est aussi un empire intérieur fondé sur un rapport de domination entre nations. 

On disait autrefois que le Canada était formé de deux peuples fondateurs, les Canadiens français et les Canadiens anglais. La thèse des deux nations supposait l’existence d’un droit de veto du Québec à l’encontre de tout changement constitutionnel inacceptable. Ce droit de veto n’a jamais été inscrit dans la Constitution, mais le gouvernement du Québec soutenait qu’il s’agissait d’une règle non écrite.  En 1982, la Cour suprême a répudié la thèse des deux nations fondatrices et affirmé que le droit de veto du Québec n’avait jamais existé, mais qu’il existait une règle non écrite que le rapatriement de la Constitution ne pouvait avoir lieu qu’avec l’appui d’une majorité substantielle de provinces sans inclure nécessairement le Québec. Les provinces anglophones ont obtenu la clause dérogatoire en échange de leur appui sans le Québec. C’est ainsi que la nation canadienne, et les juges qu’elle s’est donnés, ont violé le droit à l’autodétermination interne de la nation québécoise.  

Quelques années plus tard, longtemps après le rapatriement, le gouvernement Chrétien a fait adopter une loi qui redonne un droit de veto au Québec en exigeant son consentement à tout changement constitutionnel. Cette loi ne fait pas partie de la Constitution. Elle peut être supprimée ou modifiée par le Parlement fédéral sans le consentement de l’Assemblée nationale. La nécessité du consentement de la nation québécoise n’existe donc qu’à la discrétion de la nation canadienne. Ceci est contraire au droit à l’autodétermination reconnu par le droit international, qui existe en tout temps et est inaliénable, ce qui signifie qu’il ne peut être aboli par une autre nation et qu’on ne peut y renoncer davantage qu’un individu ne peut renoncer à son droit à la vie ou à sa liberté dans un contrat. 

Il en est de même des droits ancestraux autochtones ; les clauses de cession des droits ancestraux qui ont toujours été exigées par le gouvernement du Canada dans les traités sont invalides en droit international, comme l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones l’a souvent répété. En matière autochtone, le Canada ne se conforme pas au droit international. Par ailleurs, aucune loi n’exige le consentement des nations autochtones aux changements constitutionnels qui les concernent.  

La définition moderne des nations est territoriale. Les membres d’une nation sont les personnes qui vivent sur un certain territoire, quelle que soit leur origine. Dans cette perspective, tous les habitants du Québec font partie de la nation québécoise.  Cette nouvelle définition de la nation a été acceptée par la Cour d’appel du Québec lorsqu’elle a validé au printemps 2021 la loi 99, la loi sur les droits fondamentaux et du peuple et de l’État québécois, adoptée en 2000 par l’Assemblée nationale. Cette loi affirme le droit à l’autodétermination du peuple québécois.

La nouvelle définition territoriale de la nation doit toutefois être nuancée. Les nations autochtones peuvent continuer de se définir sur une base raciale. Une nation ne peut pas imposer à une autre nation sa définition de celle-ci ; c’est pourtant ce que fait la Loi sur les Indiens, qui est colonialiste. L’autodéter-mination comprend l’autodéfinition. 

La nouvelle définition de la nation doit également être nuancée par le fait que des nations peuvent coexister sur un même territoire. Ainsi, des membres de la nation canadienne vivent au Québec et des personnes qui s’identifient à la nation québécoise vivent ailleurs au Canada. En plus de l’aspect territorial, le rattachement d’une personne à une nation comprend un critère psychologique. Un étudiant québécois à Paris s’identifie généralement à la nation québécoise ou canadienne, mais non à la nation française, sauf si l’un de ses parents est français, qu’il détient un passeport français ou vit chez ses cousins français. De plus, on peut cumuler l’appartenance à différentes nations puisqu’il s’agit d’auto-identification.

L’auteur est constitutionnaliste