Le collégial, un domaine névralgique

Réduire sérieusement la surcomplétude institutionnelle

2021/10/08

Concernant le collégial, un domaine qui est à mon avis névralgique pour l’avenir du français au Québec, le regroupement « Pour le cégep français », un collectif de professeurs de cégep qui n’a malheureusement pas été invité en commission parlementaire, a produit une excellente synthèse de la question. Je me permets d’insérer ici certaines de leurs propositions.

« On renforce un peu ces politiques, qui constituent à l’heure actuelle une forme de droit « mou » sans valeur contraignante. On précise des éléments qui doivent figurer dans ces politiques, on inclut les employés et les étudiants dans leur réforme et on prévoit des mécanismes de correction et de suivi, impliquant les ministres de l’Enseigne-ment supérieur et de la Langue française. Mais dans l’ensemble, les personnes lésées par un manquement à la politique linguistique de leur établissement sont renvoyées aux procédures internes de celui-ci, sans recours externe à l’Office de la langue française ou au nouveau Commissaire à la langue française. Le nouvel article 88.1 de la Charte de la langue française qui est proposé ne confie pas clairement aux cégeps la mission de promouvoir le français comme langue d’enseignement, de la recherche et de leur administration interne.

« Notons qu’on ne fait aucune obligation au ministère de l’Enseignement supérieur de travailler à la promotion du français comme langue normale et principale de l’enseignement collégial et de fournir des statistiques détaillées, complètes et publiques sur la 
situation démolinguistique dans l’ordre collégial. »

De plus, on observe une tendance très importante à l’anglicisation dans l’offre de cours, la production des thèses et des mémoires et les activités de recherche dans les universités françaises du Québec. En 2019, c’était un mémoire sur trois et une thèse sur deux qui étaient rédigés en anglais au Québec (tous domaines confondus). Et cette proportion est en croissance. Le PL96 ne prévoit rien pour essayer de contrer ce phénomène. Une disposition pourrait, par exemple, obliger les trois fonds de recherche du Québec à n’accepter et à ne financer que des projets dont le dossier a été rédigé en français. Cela serait un premier pas pour raffermir le français comme langue scientifique.

Une autre disposition pourrait prévoir le droit de tout chercheur ou enseignant du postsecondaire à faire ses recherches, à les publier et à les diffuser en français et à ne pas être pénalisé pour l’obtention d’un poste, d’un contrat, d’une subvention ou pour la progression de sa carrière en raison de l’exercice de ce droit. De même, les institutions françaises de l’enseignement supérieur, ainsi que les organismes centraux et parapublics de l’État qui offrent des stages de formation professionnelle ou requis pour valider un diplôme, doivent veiller à ce que ces stages se déroulent en français, excepté les stages prévus à l’étranger.  (…)

Le postsecondaire

En ce qui concerne le postsecondaire, une limitation fondamentale du PL96 est le fait qu’il ne cherche aucunement à réduire la surcomplétude institutionnelle absolument imposante des institutions anglophones du Québec. Cette surcomplétude institutionnelle entraine le surfinancement des institutions postsecondaires de langue anglaise par rapport au poids démographique de la communauté d’expression anglaise du Québec (de plus d’un facteur deux au collégial et d’un facteur trois à l’université). Ce surfinancement est assuré par l’État du Québec lui-même et également par le gouvernement fédéral. Or, c’est cette surcomplétude du réseau anglais, et l’incomplétude, donc le sous-financement chronique de tout le réseau institutionnel de langue française, qui constitue une des causes majeures du recul du français au Québec.

Le PL96 n’aura aucun effet à cet égard. Pire, le gouvernement du Québec a actuellement dans ses cartons plusieurs projets qui auront pour effet d’augmenter encore plus la surcomplétude institutionnelle du côté anglophone. Mentionnons l’agrandissement de 100 M $ de Dawson college, pourtant déjà le plus gros cégep au Québec, le don de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill University, déjà l’université la plus riche au Québec (et de très très loin ), la construction d’un nouvel hôpital anglophone pour remplacer le Montreal General Hospital , etc.

Dans ce contexte, les mesures du PL96 ciblant la langue de travail, bien que bonnes en soi, ne suffiront pas pour faire du français la « langue normale et habituelle du travail » tant que les investissements de l’État du Québec seront utilisés pour marginaliser le français comme langue de travail et des études postsecondaires à Montréal.

Si on souhaite réellement redonner de l’oxygène au français comme langue de travail, il faut, de un, réduire sérieusement la surcomplétude institutionnelle des institutions anglophones au Québec et, de deux, former le personnel en français. Les données historiques démontrent que c’est la disponibilité d’une main-d’œuvre formée en français qui a permis de consolider la place du français au travail. Les gens formés en français veulent habituellement travailler en français. Et l’inverse est aussi vrai ; les gens formés en anglais veulent travailler en anglais.

Si le gouvernement veut améliorer la place du français au travail, la seule façon réelle d’y arriver consiste à étendre les clauses scolaires de la loi 101 au niveau collégial. Et aussi, à travailler pour redonner la première place aux universités de langue française à Montréal.