Un projet de loi à reprendre

L’anglicisation du Québec est en marche

2021/10/08

(NDLR) Trois de nos collaborateurs ont été invités à présenter des mémoires devant la Commission parlementaire sur la langue et la culture chargée d’étudier le projet de loi 96 modifiant la Charte de la langue française. Nous publions des extraits de leurs mémoires.

La chute spectaculaire du poids de la population de langue française au Québec depuis le début des années 2000 s’accompagne d’une stabilisation inédite, voire d’une progression tranquille du poids de celle de langue anglaise. Le rapport de force entre le français et l’anglais ne cesse par conséquent de se détériorer. Autrement dit, l’anglicisation du Québec est en marche. 

Tout comme la loi 101, le projet de loi 96 vise à faire du français la langue commune. Cependant, au contraire de la loi 101 dans sa version d’origine, le projet de loi 96 n’est pas susceptible d’atteindre cet objectif.

La loi 101 comptait de nombreuses mesures contraignantes qui, prises ensemble, promettaient de faire vraiment du français la langue commune. Elle imposait l’école française pour les enfants des futurs immigrants, l’école française pour les enfants des francophones de souche, l’affichage commercial en français seulement, et j’en passe.

Par comparaison, le projet de loi 96 tombe à plat. Le rôle exemplaire qu’il assigne à l’Administration ne s’appuie sur aucune combinaison de mesures contraignantes qui imposerait l’usage du français comme langue commune dans la vie de tous les jours. Les simples soldats de l’État se retrouveront fins seuls en première ligne à gérer la langue de communication avec leurs clients. Libre à peser de tout son poids, l’inertie de l’anglais en tant que langue commune du Canada, sinon du monde entier, fera le reste. 

Que le projet de loi 96 n’ait pas les moyens de ses ambitions ressort également de la supériorité coriace de l’anglais comme langue d’assimilation. 

En déposant le projet de loi actuel, son auteur a fixé 90 % comme cible pour la part du français dans l’assimilation des allophones. C’est bien visé. Toutefois, il est impératif, aussi, de mettre fin à l’assimilation à l’anglais des francophones eux-mêmes, actuellement en plein essor sur l’île de Montréal. Le projet de loi 96 ne permettra d’atteindre ni l’une ni l’autre de ces deux cibles. 

Avant la loi 101, la part du français dans l’assimilation des allophones n’était ni de 0, ni de 10, ni de 20 %, comme l’ont avancé divers intervenants. Elle était, selon le recensement de 1971, de 27 %. En 2016, elle s’élevait à 55 %. Cela représente, au total, une hausse de 28 points de pourcentage.

Au moins 18 de ces points s’expliquent cependant par des modifications apportées au questionnaire du recensement en 1991 et en 2001, et par l’arrivée d’immigrants allophones qui étaient en majorité francotropes et qui avaient souvent adopté le français comme langue d’usage avant même d’immigrer au Québec. La loi 101, en propre, n’aurait donc fait progresser la part du français dans l’assimilation des allophones que de 10 points, tout au plus. Le projet de loi 96 n’offre rien de comparable aux dispositions scolaires de la loi 101, et qui permettrait de combler les 35 points qui manquent pour atteindre le 90 %.

Quant à l’assimilation des francophones à l’anglais, sa dernière hausse, entre 2011 et 2016, a annulé à peu près totalement le progrès, durant la même période, du français comme langue d’assimilation des allophones. 

C’est ainsi que le Québec a dépassé, maintenant, le point de bascule.

Il n’y a rien dans le projet de loi 96 qui serait susceptible de mettre fin à l’anglicisation des francophones. Et les dispositions scolaires de la loi 101 sont les seules mesures à avoir fait progresser de façon significative le français comme langue d’assimilation des allophones. Au vu de son trop mince progrès d’au plus 10 points sur ce plan et des 35 points qu’il lui reste à combler, et au vu de l’assimilation croissante des francophones eux-mêmes à l’anglais, étendre la loi 101 aux études collégiales est incontournable.

C’est aussi insuffisant. Pour renverser l’anglicisation du Québec qui est en marche depuis le début des années 2000, le principe de précaution commande également d’étendre la loi 101 au baccalauréat.

La recherche à cet égard est concluante. La langue des études pertinentes à l’exercice d’un métier ou d’une profession a un lien indéniable avec la langue utilisée par la suite au travail. La langue de travail, à son tour, a un lien indéniable avec la langue d’usage à la maison. 

Concrétiser le statut du français comme langue commune en rétablissant le français comme unique langue d’affichage commercial est également indispensable. Rien dans le projet de loi 96 n’oblige les nouveaux arrivants adultes qui ignorent le français à l’apprendre et à l’utiliser dans leur vie quotidienne.

Au contraire, l’affichage instauré à l’origine par la loi 101 faisait de l’apprentissage et de l’utilisation du français une obligation pratique de tous les jours. De façon plus puissante et immédiate que toute autre mesure, il faisait une promotion de tous les instants de l’usage du français comme langue commune des Québécois. Y compris entre francophones et anglophones de souche.