Une prémisse mal fondée

La nation québécoise dans la Constitution du Canada

2021/10/08

L’article 159 du projet de loi ajoute unilatéralement deux nouvelles dispositions à l’article 90 de la « Loi constitutionnelle de 1867 » en les termes suivants :

« 159. La Loi constitutionnelle de 1867 (30-31 Vict., ch. 3 (R.-U.); 1982, ch. 11 (R.-U.)) est modifiée par l’insertion, après l’article 90, de ce qui suit : 

« CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES DU QUÉBEC

« 90Q.1. Les Québécoises et les Québécois forment une nation. 

« 90Q.2. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. »

La lettre Q est employée pour signifier Québec. Si j’ai bien compris, les auteurs de l’article 159 estiment que toute autre province pourrait ajouter des dispositions de son cru de la même façon par une loi de son assemblée législative. Ainsi nous aurions l’article 90A pour l’Alberta, 90CB pour la Colombie-Britannique, 90O pour l’Ontario, etc. Comme aucune limite quantitative ne se trouve dans la Constitution, chaque ajout provincial pourrait avoir vingt lignes ou vingt pages. L’ampleur de la Constitution du Canada pourrait être plus que décuplée. 

Pour bien cerner cette problématique, il faut aussi reproduire l’article 90 de la Loi constitutionnelle de 1867 tel qu’il existe encore dans le langage de l’époque :

« 90. Les dispositions suivantes de la présente loi, concernant le parlement du Canada, savoir : — les dispositions relatives aux bills d’appropriation et d’impôts, à la recommandation de votes de deniers, à la sanction des bills, au désaveu des lois, et à la signification du bon plaisir quant aux bills réservés, — s’étendront et s’appliqueront aux législatures des différentes provinces, tout comme si elles étaient ici décrétées et rendues expressément applicables aux provinces respectives et à leurs législatures, en substituant toutefois le lieutenant-gouverneur de la province au gouverneur général, le gouverneur général à la Reine et au secrétaire d’État, un an à deux ans, et la province au Canada. »

Le gouvernement s’appuie sur l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui confère à l’Assemblée nationale la compétence exclusive de modifier la constitution provinciale. Il ne fait aucun doute que cette constitution existe même si elle n’est pas codifiée. Elle consiste en l’ensemble des règles fondamentales du droit québécois qui se trouvent principalement dans diverses lois du Québec. Certaines de ces règles ont déjà une valeur juridique supérieure aux autres lois québécoises ; il en est ainsi d’une partie de la Charte des droits du Québec et il en sera ainsi de la Charte de la langue française si le projet de loi est adopté ; ces lois sont supralégislatives parce qu’il faut une clause dérogatoire expresse pour qu’une autre loi puisse les contredire.
Il ne fait aucun doute aujourd’hui que l’Assemblée nationale peut ainsi rendre certaines de ses lois supérieures aux autres même si cette question a été controversée dans le passé. De telles lois ont été qualifiées par les tribunaux de quasi constitutionnelles, ce qui signifie qu’elles occupent un niveau intermédiaire dans la hiérarchie des règles de droit entre la plupart des lois provinciales, qui ne bénéficient pas de ce statut privilégié, et la Constitution du Canada. 

Ce que l’article 159 tente de faire, c’est de hisser une règle quasi constitutionnelle dans la Constitution du Canada. Une telle tentative est inédite. Elle modifie unilatéralement l’architecture de l’ensemble de la Constitution que la Cour suprême a le souci constant de préserver. 

Si on examine de près l’article 90 de la Loi constitutionnelle de 1867, on s’aperçoit que les règles qu’il mentionne échappent à la procédure d’amendement unilatéral de la constitution provinciale de l’article 45. Il en est ainsi parce qu’elles sont toutes relatives à l’essence du fonctionnement du système parlementaire britannique dont le Canada a hérité, ou encore des règles relatives à la monarchie. L’article 90 a pour but d’en faire des règles provinciales. Elles ne peuvent pas être modifiées par l’Assemblée nationale en agissant seule parce qu’elles font partie de la Constitution du Canada, d’autant plus que la Cour suprême a décidé en 1987 que les règles essentielles du système parlementaire sont englobées dans la notion de monarchie constitutionnelle au Canada, et qu’elles ne peuvent donc être amendées qu’à l’unanimité des dix assemblées législatives provinciales et du Parlement fédéral selon l’article 41.

L’article 159 repose sur la prémisse que les dispositions de l’article 90 font partie de la constitution provinciale envisagée à l’article 45. Cette prémisse risque d’être considérée mal fondée par les tribunaux. Il ne fait aucun doute que l’Assemblée nationale peut validement doter le Québec d’une constitution qui contiendrait le texte des articles 90Q.1 et 90Q.2, et bien davantage. Il est toutefois douteux que l’Assemblée nationale puisse inscrire unilatéralement de telles dispositions dans la Constitution du Canada.