Les employeurs se dérobent à leurs responsabilités

Hausser ou baisser les seuils, une fausse solution

2021/12/03

Le débat n’en finit plus. Les représentants des employeurs veulent augmenter les seuils d’immigration pour pourvoir les postes vacants. Legault veut les garder bas, en principe pour protéger la langue. (Intéressant. Le Premier ministre semble avoir découvert récemment qu’au moment où la CAQ a pris le pouvoir, le pourcentage de personnes admises déclarant pouvoir communiquer en français était sous la barre de 50 %. Donc, qu’est-ce que la CAQ a fait ? Éliminer l’objectif d’augmenter le pourcentage !)

Il s’agit là de propositions simplistes à des enjeux éminemment complexes. Un faux débat, en fait. On oublie que l’augmentation ou la réduction des « seuils d’immigration » n’est pas un concept théorique. On parle ici d’êtres humains.

Un faux débat parce que l’expression « seuils d’immigration » fait référence au nombre de personnes qui obtiendront le statut de résidence permanente dans une année. L’autre expression administrative pour le même phénomène est « admissions » ou « personnes admises ». Ce ne sont pas nécessairement des personnes récemment arrivées. Ce sont de plus en plus des personnes qui vivent au Québec avec un statut temporaire, voire précaire, depuis plusieurs années et qui, sélectionnées éventuellement par le Québec, reçoivent un statut permanent du fédéral.

La transparence est de mise

En respectant la décision du gouvernement Legault, le gouvernement canadien a admis 40 000 personnes en 2019, une baisse de 20 % par rapport aux admissions de 2018. Pourtant, au 31 décembre de la même année, le nombre de personnes à statut temporaire s’est hissé à plus de 160 000.

Le gouvernement parle de garder les seuils (nombre de personnes à statut permanent) bas, mais en même temps il augmente le nombre de travailleurs temporaires, qui resteront quand même au Québec. Il est malhonnête de faire semblant que les admissions représentent le nombre d’entrées. 

Même en 2020, en pleine pandémie, les données du fédéral mettent le nombre de personnes avec un permis de séjour temporaire au Québec au 31 décembre à plus de 156 000, en excluant les demandeurs d’asile avec droit de travailler ! (Aux études : 82 180 ; Permis fermés : 17 155 ; Permis ouverts : 57 090). Le nombre de personnes admises en 2020 était de 25 225. Le débat sur les seuils d’immigration est devenu stérile.

Si Legault était sérieux concernant l’importance d’accueillir plus de personnes immigrantes connaissant le français, il s’organiserait pour avoir beaucoup moins recours à l’immigration temporaire, contrôlée par le fédéral sans aucune exigence linguistique. Il ferait plutôt en sorte de remonter la part d’immigration permanente économique, entièrement sélectionnée par le Québec où la connaissance du français joue un rôle important.

De plus, il mettrait en place, comme demandé par le Vérificateur général en 2017, de meilleurs mécanismes de suivi pour que le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) puisse rejoindre l’ensemble des personnes récemment arrivées ayant besoin des services d’intégration et de francisation.

Employeurs : examen de conscience demandé

Quant aux employeurs et l’immigration, ils continuent à revendiquer une augmentation des seuils d’immigration comme solution aux problèmes de pénurie de main-d’œuvre. Ce qui manque dans leur discours est la démonstration qu’une augmentation du nombre annuel de visas de résidence permanente aiderait leur cause – n’oublions pas qu’il y a plus de quatre fois plus de personnes à statut temporaire sur le territoire et les pénuries de main-d’œuvre persistent – ainsi qu’une explication des écarts négatifs significatifs entre les personnes immigrantes et les natifs à l’égard de plusieurs indicateurs économiques importants (taux d’emploi, taux de chômage, salaires).

En 2020, l’OCDE a publié une importante étude intitulée Intégrer les immigrants pour stimuler l’innovation au Québec, Canada. Cette étude, accompagnée de plus d’une trentaine de recommandations, a été produite avec le soutien et la collaboration du MIFI, ainsi que de plusieurs organismes représentants des employeurs. (Fait intéressant : on trouve l’étude sur le site de l’OCDE, mais pas sur le site du MIFI.) Le travail a été entrepris en 2019, basé sur des données fournies par le MIFI, d’une enquête auprès des employeurs et d’entretiens avec des parties prenantes sur le terrain, notamment dans cinq régions du Québec (Montréal, Québec, Chaudière-Appalaches, Centre-du-Québec, Estrie).

Déjà, avant la pandémie, le rapport soulignait que « les raretés de main-d’œuvre sont devenues la raison principale de l’appel à l’immigration des entreprises ». Il note que « les employeurs demandent plus de support gouvernemental, mais ne connaissent pas les services déjà existants » et que « mobiliser les employeurs est une clé de succès ». 

Essentiellement, les auteurs con-cluent que l’insertion en emploi pour une personne immigrante est souvent plus difficile que pour une personne native. Ils repèrent bien les mêmes obstacles qu’on entend régulièrement, comme la reconnaissance des compétences acquises dans le pays de provenance, la maîtrise de la langue française, l’exigence du bilinguisme. Mais l’enquête leur a aussi permis de déceler des facteurs dont on parle moins souvent. 

Par exemple, ils notent que « les différences de codes culturels entre immigrants et natifs soulèvent de nombreuses craintes de la part des employeurs concernant l’intégration des immigrants au sein de l’entreprise, et dans la compréhension des immigrants des codes régissant la vie en entreprise et le marché du travail au Québec ». 

« Les employeurs au Québec, bien qu’ils aient recours dans une grande proportion à une main-d’œuvre immigrante, n’ont souvent aucune expérience de l’interculturalité et de la communication avec un public immigrant. »

Les recommandations couvrent beaucoup d’enjeux, incluant des améliorations dans le système de sélection, dans les informations fournies aux personnes avant leur arrivée, dans l’offre de service d’intégration et de francisation. Ils mettent un accent important sur l’engagement du milieu local dans l’accueil et l’intégration et offrent plusieurs exemples concrets d’initiatives locales dans les régions du Québec qui fonctionnent bien, ainsi que dans d’autres pays qui pourraient servir de modèles. 

Des recommandations, notamment pour les employeurs

En particulier, les auteurs appellent à des efforts significatifs de la part des réseaux des employeurs, par exemple :

• Les réseaux d’entreprises doivent pouvoir se porter garants du recrutement d’un immigrant, afin d’apaiser les craintes des employeurs. Les mentors, coachs ou formateurs doivent être mis en commun par les réseaux d’employeurs afin de profiter à un maximum d’entreprises, notamment les plus petites.
• Offrir des cours de français plus adaptés aux secteurs d’activité auxquels se destine la personne immigrante.
• Augmenter le nombre de formations proposées sur le lieu de travail, en mutualisant si nécessaire les moyens de plusieurs entreprises les plus petites.
• Mettre en œuvre des formations dédiées exclusivement à l’adaptation à la culture professionnelle du Québec pour les immigrants et à la gestion de la diversité et à la lutte antidiscrimination pour les natifs.

Le déclin de la vitalité du français au Québec est un enjeu qui va bien au-delà des seuils d’immigration. Tout comme augmenter les seuils ne résoudra pas par magie la pénurie de main-d’œuvre. Les personnes de l’étranger continuent d’arriver au Québec, avec de moins en moins de planification, compte tenu de la part grandissante des personnes à statut temporaire. Ce sont des êtres humains qui ont le plus souvent choisi de joindre la belle aventure québécoise. Ils ne se réduisent pas à un chiffre désincarné. Il faut mieux se préparer pour les accueillir, les franciser, au besoin, et les intégrer chez nous.