Soixante ans à défendre les aînés

Entrevue avec la présidente Lise Lapointe de l’AREQ

2021/12/03

En 2021, l’AREQ souffle ses soixante bougies. Qu’est-ce que l’AREQ ? C’est l’Associa-tion des retraitées et retraités de l’éducation et autres services publics du Québec, une association affiliée à la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), vouée à la défense des droits des personnes retraitées. En ce qui a trait aux dossiers  touchant les citoyens du troisième âge, l’AREQ est, 
ex aequo avec la FADOQ, l’un des organismes cumulant le plus d’expertise au Québec. Pour célébrer ces six décennies dédiées à la lutte pour la justice sociale, je m’entretiens avec la présidente de l’Association depuis 2017, Mme Lise Lapointe. 

O. : En commençant, madame Lapointe, je me demandais si vous pourriez me donner un tour d’horizon historique de L’AREQ. 

L.L. : En fait, notre histoire est très liée avec celle de notre fondatrice, Laure Gaudreault, qui était une véritable pionnière dans plusieurs domaines. En 1936, Mme Gaudreault, qui était institutrice dans Charlevoix, a fondé la Fédération catholique des institutrices rurales. Elle n’avait pas froid aux yeux, en osant former un syndicat féminin – à l’époque, il n’y avait pas vraiment d’instituteurs – durant la Grande Dépression, avec Duplessis comme premier ministre. Elle n’avait pas peur de descendre à Québec pour négocier avec les hommes du gouvernement en place et elle a fini par leur arracher une convention collective, minime, c’est certain, mais c’était une première.

La Fédération fondée par Mme Gaudreault est à l’origine de la CSQ, aujourd’hui une des plus grandes centrales du Québec. Après des décennies de militantisme et d’enseignement, Mme Gaudreault a pris sa retraite. La Révolution tranquille a amené une syndicalisation massive dans la fonction publique et une amélioration spectaculaire des conditions de travail des enseignantes et des enseignants. Donc, les travailleuses et les travailleurs étaient mieux protégés, mais elle n’était pas encore satisfaite. 

O. : Pourquoi ? 

L.L. : Parce que Mme Gaudreault remarquait qu’on oubliait les ainées. La plupart des retraitées étaient très pauvres, surtout les anciennes institutrices comme elle. Rappelle-toi qu’au début des années 1960, il n’y avait pas encore de régie des rentes. C’est pour ça qu’en 1961, Mme Gaudreault a créé l’AREQ, qui était, et demeure toujours, une association au sein de la CSQ. Depuis le début, on est fidèle à la vision féministe et syndicaliste de notre fondatrice. 

O. : Et quels sont vos principaux accomplissements depuis 1961 ? Je sais qu’on parlait il y  a peu de la Régie des Rentes. 

L.L. : Alors, oui, en 1965, le gouvernement Lesage a créé la Régie des Rentes du Québec; il est évident que l’AREQ était en faveur de cela et nous avons toujours défendu le principe d’indexation des rentes au coût de la vie.  Donc, oui, on est pour le modèle de la RRQ, mais aussi pour que les prestations puissent garantir un niveau de vie acceptable aux retraités, y compris les ainés qui n’ont jamais pu travailler, parce qu’ils souffraient de handicaps par exemple, et qui ont vécu longtemps sur l’aide sociale. Ces gens n’ont pas accès à des rentes; ils ne reçoivent que des pensions fédérales et, donc, vivent sous le seuil de la pauvreté. Il faudrait peut-être des réformes de la RRQ de ce côté-là, tous les ainés ont droit à un revenu décent. 

O. : Je crois savoir aussi que le 
RREGOP est une de vos fiertés. 

L.L. : Le RREGOP, la caisse de retraite des employés de la fonction publique, a été créé en 1973 et nous avons beaucoup milité pour cela. Ce fond de retraite est sous l’égide de Retraite Québec et est géré par la Caisse de Dépôt ; il garantit généralement de bonnes rentes aux retraités du public. Par contre, en 1982, dans le cadre de la récession qui frappait un peu partout en Amérique du Nord après les chocs pétroliers, un décret du gouvernement péquiste a enlevé l’indexation du RREGOP à l’inflation. Depuis presque quarante ans, l’AREQ milite pour que l’indexation soit rétablie. L’excuse de la récession ne marche plus vraiment ; le Québec a connu plusieurs périodes de prospérité depuis 1982. Pourtant, nous n’avons eu droit qu’à une réindexation partielle en 1999, puis plus rien.

L’AREQ souhaiterait aussi que tous les employeurs privés se dotent également d’une caisse de retraite, à la manière du modèle RREGOP, et y injectent un certain montant tiré de leurs profits annuels. Ça garantirait un meilleur revenu aux travailleurs rendus à la retraite, plutôt que de les faire juste cotiser individuellement à la RRQ. 

O. : Je vous entends beaucoup parler du revenu des ainés, diriez-vous que c’est votre principal enjeu à l’AREQ ? 

L.L. : Oui, le revenu et les services de santé. Ce sont nos deux principales campagnes. Vous savez que la pauvreté et les inégalités sociales sont plutôt rampantes chez les ainés. Qu’est-ce qu’on peut faire pour arranger ça ? Bien, on en a parlé : réformer la RRQ, indexer le RREGOP, multiplier les fonds de retraite, etc. L’AREQ souhaiterait aussi que le fédéral augmente le Supplément de revenu garanti pour les ainés de 65 à 75 ans. Monsieur Trudeau a décidé de manière un peu arbitraire que le supplément serait juste pour les plus de 75 ans, parce que supposément ils seraient plus vulnérables.

Désolé, mais la vulnérabilité ça touche tous les retraités, tout le monde devrait avoir accès au Supplément. Le Bloc québécois en a parlé un peu, mais il est dans l’opposition, il faut que le gouvernement bouge. Sinon, tous les paliers de gouvernement pourraient agir pour lutter contre certains frais qui touchent particulièrement les ainés : le stationnement quand on doit aller dans un établissement de santé, le transport en commun, les hausses exagérées de loyer et de nourriture dans les résidences, ainsi de suite. 

O. : Pour les générations plus jeunes, surtout la mienne, la santé est un enjeu important, mais pas autant que l’éducation, par exemple. Pour les ainés que vous représentez, l’état du système de santé doit être une préoccupation constante ? 

L.L. : Absolument, l’AREQ insiste beaucoup, par exemple, pour que le gouvernement investisse dans les soins à domicile, dans le soutien aux proches aidants et embauche plus de travailleurs de la santé. Une grosse campagne de l’Association en ce moment c’est « Cap sur la dignité ». Notre but, c’est de sensibiliser tous les élus, de même que la population, au sort des retraités. Avec toutes les histoires d’horreur sur la maltraitance qu’on entend depuis des années, et qui ont augmenté pendant la pandémie, on voudrait que tous les partis   politiques travaillent ensemble – comme au temps du projet « Mourir dans la dignité » – pour que le système de santé traite mieux les personnes âgées, notamment en soins palliatifs.

La ministre Blais a fait adopter une loi contre la maltraitance des ainés – à l’élaboration de laquelle on a participé et qui contient certaines bonnes choses – mais qui ne parle pas de maltraitance institutionnelle ! Que les CHSLD soient insalubres et que certains résidents n’aient que deux bains par semaine, c’est de la maltraitance, mais le gouvernement fait très attention de ne pas inclure des dispositions qui le forceraient à réformer le secteur de la santé. 

O. : Voyez-vous des raisons d’espérer en l’avenir ? 

Oui, parce que, depuis la COVID, les gens commencent à réaliser à quel point les ainés ont été négligés. Il commence à y avoir un éveil des consciences. Et il ne faut pas oublier que les retraités sont un gros bloc électoral, qui participe en masse aux élections. Le gouvernement devrait se rappeler de ça, s’il décidait encore d’ignorer nos demandes.