Stagflation à l’horizon

La production diminue et les prix augmentent

2022/03/25

Depuis l’automne, on assistait déjà à une hausse préoccupante du coût de la vie. Or, la guerre en Ukraine vient sérieusement amplifier l’inflation. Évidemment, les conséquences de cette crise des prix ne peuvent se comparer à l’horreur que vit le peuple ukrainien et on ne peut que souhaiter une solution de paix durable. Le concert des nations doit s’investir davantage pour garantir la paix dans le monde et travailler en amont pour éviter les tragédies comme celles qu’on vit en ce moment.

Même si c’est à une tout autre échelle de gravité, l’invasion russe vient bouleverser l’économie mondiale, qui était déjà fragilisée par la pandémie. Par exemple, à mesure que l’économie a redémarré, le prix de l’essence, qui avait diminué au début de la pandémie, a recouvré puis dépassé son niveau d’avant la crise. Comme la Russie est un immense producteur de pétrole, la guerre fait littéralement exploser le prix à la pompe.

Même chose pour le gaz et l’énergie. Cette crise de l’offre de l’énergie devrait se répercuter à l’ensemble de l’économie. On peut penser aux coûts du transport, mais le prix de l’énergie influence aussi le coût de production d’une foule de biens et services, comme les produits agricoles.

Stagflation : stagnation et inflation

Selon l’économiste Nouriel Roubini, la présente guerre accroît sérieusement les risques de stagflation. Ce terme combine les mots stagnation et inflation et est utilisé pour décrire les crises de l’offre, où la production diminue en même temps que les prix augmentent, comme cela s’est produit lors des deux crises des années 1970. Roubini évalue d’ailleurs que l’impact du présent conflit est plus important que ceux des chocs pétroliers des années 1970.

Les répercussions de l’invasion sur le prix des aliments devraient être au moins aussi inquiétantes. L’Ukraine et la Russie comptent parmi les plus importants producteurs de denrées alimentaires au monde. Le prix du blé a déjà passablement augmenté et les marchés anticipent une hausse de 40 % à l’automne prochain. Ceci laisse présager de sérieuses conséquences, d’autant plus que ça s’ajoute à de mauvaises récoltes durant la dernière année à cause de sécheresses.

Alors que la pandémie a fait croître les prix de l’immobilier résidentiel – les gens voulant être confinés dans un plus grand espace et profiter des faibles taux d’intérêt – l’invasion de l’Ukraine ne devrait rien arranger. Le conflit fait exploser les prix du bois, y compris chez nous.

Explosion du prix du bois

C’est que la Russie est traditionnellement un grand fournisseur de bois d’œuvre en Europe. Une partie du bois d’œuvre produit en Europe de l’Ouest est même normalement exportée en Amérique. Avec la guerre et les sanctions, l’Europe n’est plus en mesure de répondre aux besoins de son propre marché local et n’exporte plus aux États-Unis. Cela est synonyme de  bonnes affaires pour nos scieries, mais aussi de nouvelles augmentations des prix dans les domaines de la construction et de la rénovation.

De nouveaux goulots d’étranglement

Tout cela dans un contexte où les goulots d’étranglement des chaînes d’approvisionnement à l’international vont s’accroitre plutôt que de se résorber. Les nouvelles flambées de cas de COVID en Asie forcent l’arrêt de la production de certaines composantes. De nombreux produits spécialisés sont aussi normalement fabriqués en Russie et en Ukraine. Cela affecte sérieusement les secteurs de la métallurgie, de l’automobile et de l’aérospatiale. Une autre tuile s’abat sur la production de semi-conducteurs, dont la pénurie ralentit déjà d’importants pans de l’économie. L’Ukraine produit la majorité du néon purifié à l’échelle mondiale, une composante essentielle dans la fabrication des semi-conducteurs. Les usines ukrainiennes sont évidemment à l’arrêt. Bref, même si l’Europe et les États-Unis déploient beaucoup de ressources pour implanter des usines de semi-conducteurs sur leurs territoires, la pénurie devrait encore durer un moment.

Selon l’OCDE, le conflit pourrait coûter un pour cent au PIB mondial et générer une inflation de 2,5 %. Le magazine L’Express résume ainsi l’étude de l’OCDE :

« Si le rôle de la Russie et de l’Ukraine dans l’économie mondiale est faible » (les deux réunis représentent 2 % du PIB mondial), ils ont une « influence importante sur l’économie mondiale en raison de leurs parts d’exportations de nombreuses matières premières, poursuit l’OCDE. Elle évoque le blé – les deux nations représentant 30 % des exportations planétaires –, le maïs (20 %), les engrais minéraux et le gaz naturel (20 %) ainsi que le pétrole (11 %). Sans parler du palladium et du nickel, dont la Russie est un exportateur clé, ou de l’argon et du néon (Russie et Ukraine). »

Évidemment, il y a présentement beaucoup d’incertitudes et la durée même du conflit est un déterminant majeur.
Tous ces facteurs inflationnistes qui découlent de la guerre viennent s’ajouter à ceux qu’on observait déjà. Les goulots d’étranglement et le prix de l’immobilier liés à la pandémie, la hausse du prix de l’essence et de l’énergie à la suite du redémarrage de l’économie, les mauvaises récoltes de la dernière année provoquées par les bouleversements climatiques, sans oublier la pénurie de main-d’œuvre découlant du vieillissement de la population.

Crise de l’offre

Si les banques centrales et les États sont assez bien outillés pour lutter contre les crises de la demande – merci à Keynes – ce n’est pas le cas avec les crises de l’offre. Si l’État cherche à stimuler l’économie ou à contrer l’érosion du pouvoir d’achat de la population par l’émission de chèques envoyés aux contribuables, on peut simplement anticiper encore plus d’inflation. Même chose si l’État stimule la demande ou si la banque centrale réduit ses taux. Faire l’inverse créerait une austérité qui ne relance pas la croissance.

La solution se trouve à plus long terme en modifiant la structure de l’économie pour la rendre plus résiliente. Par exemple, en soutenant l’économie verte pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures, ou encore en soutenant la productivité pour pallier la pénurie de main-d’œuvre. À court terme, l’État peut venir en aide aux secteurs de la population les plus touchés par l’inflation comme les aînés et les gens à faibles revenus. On peut aussi considérer un soutien aux entreprises les plus affectées, comme les taxis ou les PME agricoles.

Notre époque fait face à de multiples crises. De la pandémie aux changements climatiques. Mal-heureusement, chaque crise semble systématiquement affecter davantage les plus démunis et accroître les écarts de richesse. Il faut évidemment lutter de toutes nos forces contre cette tendance. Et la présente guerre nous rappelle l’importance de porter une voix forte pour la paix dans le concert des nations.

L’auteur est député du Bloc Québécois