Pour un réseau scolaire commun

Le monde de l’éducation

2022/05/20

Imaginez une famille québécoise avec des enfants d’âge scolaire. Cette famille est inquiète : ses enfants seront-ils acceptés par « la bonne école » ? Sera-t-elle capable de se payer cette école ? Déjà qu’il faut payer un tuteur pour aider à passer les examens... Les enfants devront-ils faire de longs trajets matin et soir ? Et leurs amis ? Iront-ils, eux, à la bonne école ?

Imaginez maintenant que le cheminement des enfants de cette famille soit... simple ! Les enfants vont à l’école de leur ville. Cette école est excellente, diversifiée et gratuite. Tous les élèves y choisissent librement des parcours particuliers gratuits et motivants. Les amis du quartier qu’on fréquente depuis le préscolaire vont à cette école eux aussi.

Cette vision apaisée est aujourd’hui inimaginable pour les familles du Québec. Mais elle pourrait l’être avec le Plan pour un réseau scolaire commun proposé par le Mouvement L’école ensemble. Nous vous présentons l’essentiel de ce plan, mais le document d’une quarantaine de pages développe dans le détail ses différents aspects et répond aux différentes questions qu’il soulève. Nous vous invitons à le consulter sur le site www.ecoleensemble.com 
Le système scolaire du Québec est injuste. Soumises à une logique de marché, les écoles se concurrencent pour obtenir les élèves les plus payants en matière de revenus et de résultats scolaires. Il en résulte un système d’éducation inefficace et inéquitable, le plus inégalitaire au pays selon le Conseil supérieur de l’éducation. Nous devons agir pour que les élèves du Québec apprennent ensemble, quelle que soit leur origine socioéconomique. À cette fin, le Plan propose la création d’un réseau commun qui mettra à l’abri du marché scolaire les écoles publiques et les écoles privées conventionnées.

Toutes les écoles du réseau commun auront un bassin scolaire attitré. Les écoles du réseau commun ne disposeront donc plus du droit de sélectionner leurs élèves. La fin de la sélection des élèves implique la fin du droit d’exiger des frais de scolarité : les élèves seront admis dans leur école, peu importe la capacité de payer de leurs parents. Les écoles privées conventionnées seront donc financées à 100 % par l’État, c’est-à-dire autant que les écoles publiques.

Les écoles privées conventionnées conserveront leur statut juridique actuel et leur autonomie de gestion (conseil d’administration, choix de la direction par le conseil d’administration, embauche du personnel, négociation des conventions collectives et organisation de la tâche). Des écoles privées qui combinent autonomie de gestion et financement public à 100 % existent déjà : une douzaine d’écoles privées spécialisées consacrées à l’adaptation scolaire fonctionnent ainsi depuis des décennies.

Parallèlement, un statut d’école privée non conventionnée sera aussi disponible pour les établissements privés actuels qui voudront être hors du réseau commun. Ces écoles ne recevront aucun financement public, ni direct, ni indirect. Elles maintiendront leur droit de sélection de leur clientèle (elles n’auront pas de bassin scolaire).

Le conventionnement représente donc pour le trésor public un surcoût alors que le non-conventionnement représente une économie. 

La transition entre le système actuel et le réseau commun se fera graduellement sur six ans. Les accréditations syndicales des écoles privées actuelles seront maintenues.

Toutes les écoles du réseau commun offriront un libre choix de parcours particuliers gratuits à tous les élèves selon le modèle de la cinquième période. 

Une carte scolaire équitable sera établie pour chaque CSS/CS en utilisant l’innovation des bassins scolaires optimisés. Ces bassins optimisés permettent d’éviter que la non-mixité résidentielle des quartiers ne se transfère aux écoles. Ils permettent d’établir des cartes selon des critères clairs et garantissent aux élèves une école de proximité et un réel équilibre socioéconomique. Une preuve de concept pour le cas de Laval a été réalisée en collaboration avec l’Université de Zurich.
Certains territoires incluent des zones de défavorisation de grande étendue. Dans ces cas, il sera parfois impossible de créer des bassins scolaires équitables tout en garantissant la proximité. Dans ces situations, une série de compensations pour atténuer l’impact de la défavorisation sera offerte aux écoles du réseau commun.

 PILIER N° 1 : ALLER À L’ÉCOLE DE QUARTIER

Plusieurs parents croient qu’ils peuvent choisir l’école de leurs enfants. En fait, ce sont les écoles privées subventionnées et publiques sélectives qui choisissent leur clientèle. Ce marché scolaire où les écoles sont en concurrence pour les élèves les plus payants (en matière de revenus et de résultats scolaires) se fait au détriment des écoles publiques ordinaires, incapables de répondre à cette concurrence déloyale. L’affectation des élèves par le marché scolaire est le vecteur central de l’iniquité du système scolaire québécois. Nous corrigeons cette injustice en misant d’abord sur la proximité :

Les élèves seront associés aux écoles en fonction de leur bassin scolaire de proximité. Aucune école primaire ou secondaire du Québec, publique ou privée conventionnée, ne disposera du droit de sélectionner ses élèves. Autrement dit : une adresse, un bassin scolaire, une école. Le marché scolaire sera effectivement aboli au sein du réseau commun.

• Il n’y aura donc pas de choix d’école dans le réseau commun. Un choix existera entre le réseau commun et le privé non conventionné.
• La pratique du délestage d’élèves pour cause de faibles résultats scolaires du privé conventionné vers les écoles publiques ne sera pas permise.
• Les écoles publiques et privées conventionnées ne pourront plus accueillir seulement des garçons ou des filles, non plus que seulement des enfants d’une confession ou d’un groupe ethnique donné.
• La fin de la sélection des élèves implique la fin du droit d’exiger des frais de scolarité : les élèves seront admis dans leur école, peu importe la capacité de payer de leurs parents. La gratuité scolaire sera effective au sein du réseau commun.
• Les écoles privées conventionnées seront donc financées à 100 % par l’État, c’est-à-dire autant que les écoles publiques. Les écoles privées non conventionnées, elles, ne recevront aucun financement public, ni direct, ni indirect. Ainsi, le conventionnement représente pour le trésor public un surcoût alors que le non-conventionnement représente une économie.
• Une étude commandée à l’économiste François Delorme de l’Université de Sherbrooke montre que l’implantation du réseau commun entraînera à terme des économies annuelles nettes d’environ 100 millions de dollars en fonds publics.
• Dans le scénario de base (6 % des élèves du primaire et 6,7 % des élèves du secondaire au privé non conventionné – scénario basé sur les ratios de fréquentation du privé [non subventionné] en Ontario), et après la période de transition, les surcoûts liés au conventionnement sont de 414 M$ alors que les économies liées au non-conventionnement sont de 513 M$ pour un solde annuel positif de 99 M$.

PILIER N° 2 : OFFRIR UN CHOIX DE PARCOURS PARTICULIERS À TOUS

Chaque école secondaire offrira à tous ses élèves un choix de parcours particuliers en s’assurant que ce choix de cours n’ait pas de conséquence ségrégative. La sélection intraécole des élèves ne sera donc plus permise. Une école ne pourra pas conditionner le choix d’un parcours particulier à des résultats scolaires ou à des frais comme c’est le cas pour de nombreux projets particuliers, concentrations ou profils actuels.

Diversifier en toute équité

Dans son rapport de 2007, Les projets pédagogiques particuliers au secondaire : diversifier en toute équité, le Conseil supérieur de l’éducation s’inquiétait du développement inconséquent des « projets particuliers » au Québec. Le Conseil reconnaissait des effets positifs aux projets particuliers (formation générale de base améliorée, promotion de champs d’intérêt dans divers domaines de formation ; un plus grand nombre d’élèves intéressés et stimulés ; des équipes enseignantes motivées et mobilisées ; des parents plus intéressés et davantage satisfaits de l’école secondaire ; des commissions scolaires et des écoles plus dynamiques), mais déplorait leurs conséquences :

• L’éclatement de la formation commune ;
• L’exclusion de certains jeunes ;
• L’écrémage de la classe ordinaire ;
• La répartition inégale du poids de l’intégration des élèves handicapés ou des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ;
• L’iniquité dans la tâche d’enseignement ; et
• La concurrence entre les écoles publiques.

Modèle de la cinquième période

Pour parvenir à conserver les avantages des projets particuliers tout en en éliminant les désavantages, le présent plan recommande d’offrir des parcours particuliers à tous sur le modèle de la cinquième période. Il s’agit de réduire le temps alloué aux quatre périodes quotidiennes actuelles pour permettre la création d’une cinquième période utilisée pour des cours au choix qui viennent bonifier la formation générale.

Ce modèle existe depuis une décennie et a permis de rallier la communauté scolaire : élèves, parents, enseignants, direction, syndicat et centre de services scolaire y voient une réussite prête à inspirer tout le Québec.

Bien que le modèle de la cinquième période soit pour ainsi dire « clef en main », certaines écoles pourraient proposer elles aussi un modèle permettant un choix non ségrégatif de parcours particuliers. Nous recommandons de permettre l’innovation locale en cette matière, mais en exigeant le respect par les écoles des balises suivantes :

• Les élèves doivent choisir leurs parcours particuliers librement : la sélection par les frais, les notes ou le comportement est interdite.
• Les temps d’enseignements prescrits par matière doivent être respectés.
Nous recommandons au législateur de couvrir les frais reliés aux parcours particuliers.

Notons aussi que les activités parascolaires (p. ex. sports le midi, sports interscolaires, clubs divers, etc.) sont maintenues et que les concentrations actuelles des écoles (p. ex. cirque, soccer) — pour lesquelles elles ont déjà de l’expertise — pourront être redéployées dans le cadre de la cinquième période.

PILIER N° 3 : ÉTABLIR UNE CARTE SCOLAIRE ÉQUITABLE

Les frontières des bassins scolaires seront établies de manière à optimiser la proximité, la capacité d’accueil des écoles et la mixité socioéconomique, l’objectif étant que les bassins scolaires d’un même territoire soient les plus semblables possible entre eux. Des bassins scolaires optimisés permettront d’éviter que la non-mixité résidentielle des quartiers ne se transfère aux écoles.

Les bassins scolaires optimisés devront donc :

1. Minimiser la distance école-maison des élèves ;

2. Tenir compte de la capacité d’accueil des écoles ;

3. Et être semblables entre eux socioéconomiquement.

Étant donné l’importance de la proximité pour les élèves du primaire, le facteur distance aura plus de poids dans les cartes du primaire. Cela entraînera la création de bassins scolaires un peu moins semblables entre eux du point de vue socioéconomique. Il s’agit d’un compromis acceptable pour le primaire parce que la proximité et la sécurité doivent primer et que c’est au secondaire que la ségrégation scolaire est de toute manière la plus problématique.

Notons que, dans l’ensemble, le nombre de kilomètres parcourus par les élèves du Québec pour se rendre à l’école sera considérablement réduit grâce au réseau commun avec à la clef des économies de temps et de gaz à effet de serre. Notre modèle pour Laval permet d’établir une distance moyenne école-maison de 4 km.

• Dans l’éventualité où deux écoles secondaires se retrouvant dans le réseau commun seraient situées très près l’une de l’autre, il serait possible de les lier pour offrir le 1er cycle dans l’une et le 2e cycle dans l’autre.
• Les cartes des bassins scolaires pour les réseaux francophone, anglophone et autochtone seront distinctes.
• Les classes d’accueil (intégration linguistique, scolaire et sociale) sont maintenues.
• Dans le cas de parents séparés, les règles actuelles s’appliquent (les parents qui habiteraient dans deux bassins scolaires différents choisissent quel sera le bassin scolaire de l’enfant).
• Les bassins régionaux actuels des écoles/classes dédiées à l’adaptation scolaire (élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage) resteront les mêmes.
• Les services professionnels (orthophonie, etc.) seront attribués par le réseau commun.

PILIER N° 4 : ATTÉNUER L’IMPACT DE LA DÉFAVORISATION

Certains territoires de centres de services scolaires/commissions scolaires incluent des zones de défavorisation de grande étendue. Dans ces cas, il sera parfois impossible de créer des bassins scolaires équitables (similaires entre eux sur le territoire) tout en respectant la distance maximale école-maison.

Dans ces situations, le présent plan propose qu’une série de compensations soit offerte aux écoles du réseau commun dont les bassins diffèrent trop de ceux des autres écoles de leur territoire en matière de mixité socioéconomique. (Le document développe des modèles de compensation).

NOTRE SYSTÈME SCOLAIRE EST INJUSTE

Il faut rappeler sans complaisance les principales caractéristiques du « modèle québécois » en éducation :

1. Les écoles « privées » sont subventionnées par l’État. Un élève du privé reçoit en fonds publics 75 % du montant que reçoit un élève équivalent du réseau public.

2. La part de marché du réseau privé subventionné augmente. De 5 % en 1970, elle est aujourd’hui de 21 % au secondaire. Elle atteint même 39 % à Montréal et 42 % à Québec.

3. Les autorités ont répondu à l’écrémage des écoles publiques par le privé en créant un réseau public sélectif doté lui aussi du droit de sélectionner sa clientèle : le nombre d’élèves admis au public sélectif est estimé au secondaire à au moins 20 %.

4. En parallèle, l’école publique ordinaire voit sa tâche alourdie : elle compose avec une surreprésentation d’élèves défavorisés et en difficulté.

5. Cette nouvelle composition de la classe ordinaire, de plus en plus écrémée, renforce l’attrait du privé subventionné et du public sélectif : le cercle vicieux de la ségrégation scolaire semble inévitable.

Il en résulte un système d’éducation inefficace et inéquitable, le plus inégalitaire au pays selon le Conseil supérieur de l’éducation. Décrochage scolaire (plus haut taux au pays), décrochage enseignant (près d’un quart des enseignants quittent la profession durant leurs cinq premières années sur le marché du travail), alphabétisation insuffisante (53 % des 16-65 ans ont des compétences faibles ou insuffisantes en littératie) et perpétuation des inégalités résultent du système d’éducation que les Québécois se sont donné. Ce n’est pas pour rien qu’en 2020 le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations Unies a demandé formellement au gouvernement du Québec de lui préciser quelles étaient « les mesures prises pour assurer l’égalité d’accès à l’éducation dans le cadre du système scolaire à trois niveaux au Québec, indépendamment de la situation économique des parents ».

« Le Conseil souligne que de nombreuses recherches ont montré que les groupes hétérogènes sont à la fois les plus efficaces et les plus équitables. En effet, sur le plan scolaire, la tendance à l’homogénéisation des classes ne compte pas de façon significative pour les élèves qui apprennent facilement. En revanche, elle est particulièrement défavorable à ceux qui sont plus vulnérables. Plus encore, l’homogénéisation des classes restreint les occasions pour les élèves de côtoyer au quotidien une diversité d’individus, condition essentielle à l’apprentissage du vivre-ensemble, de la tolérance et de la solidarité. Le Conseil y voit par conséquent une sérieuse menace non seulement pour l’équité du système, mais aussi pour son efficacité globale. »