La fin de l’éternité

Des données linguistiques dramatiques

2022/09/09

C’est fait, Statistique Canada (« Stat Can ») a enfin publié, le 17 août dernier, une partie des données linguistiques du recensement 2021. Celles-ci sont dramatiques pour le fait français au Canada et au Québec. Peu importe l’indicateur retenu, les nouvelles sont atterrantes. Tellement, en fait, que la posture voulant que le déclin du français au Québec soit un « mythe » n’est plus tenable. 

Il était évident depuis des années et des années que le français était en recul au Québec, mais de beaux esprits finassaient en mettant de l’avant de légères améliorations dans certains paramètres secondaires en les faisant passer pour des paramètres principaux. Le recensement 2021 fait voler tout cela en éclats : tous les paramètres principaux et secondaires sont maintenant en recul.

Après répartition égale des réponses multiples, au Québec, le français langue maternelle passe de 78 % en 2016 à 76,3 % en 2021 (recul de 1,7 point). Comme langue parlée le plus souvent à la maison, il passe de 80,6 % en 2016 à 79,1 % en 2021 (recul de 1,5 point). Le poids démographique des francophones défonce le seuil de 80 % tant sur le plan de la langue maternelle que sur celui de la langue d’usage pour la première fois depuis que des données de recensement sont collectées.

En même temps, l’anglais comme langue maternelle passe de 8,1 % en 2016 à 8,8 % en 2021 (gain de 0,7 point) et, comme langue parlée le plus souvent à la maison, de 10,7 % en 2016 à 11,7 % en 2021 (gain d’un point). Au Québec, le français recule alors que l’anglais avance. Et cette dynamique est en voie d’accélération rapide quand on compare aux données de recensement sur la période 2011-2016.

Montréal, 
un milieu de vie anglicisant

Alors que l’on nous a répété pendant presque deux décennies qu’il ne fallait pas s’inquiéter du recul du français comme langue maternelle ou comme langue parlée à la maison parce que l’immigration, en soi, allait faire mécaniquement baisser ces poids pour le français et l’anglais également, ce que l’on constate, et de façon fulgurante, c’est que l’immigration provoque maintenant une dilution du poids des francophones seulement ! Dans le contexte d’immigration massive qui est le nôtre, l’immigration ne provoque pas de recul de l’anglais au Québec ! 

Ce qui est en cause ici, ce sont les transferts linguistiques effectués par les allophones et, de plus en plus, par les francophones vers l’anglais qui permettent non seulement de combler la dilution du poids démographique des anglophones causée par l’immigration, mais qui permettent même à celui-ci de faire des gains ! Le problème numéro un au Québec, c’est la dynamique linguistique favorable à l’anglais et les transferts linguistiques massifs effectués vers ce dernier. Le Québec, c’est-à-dire la grande région de Montréal, est un milieu de vie anglicisant. Malgré la loi 101 (ou ce qui en reste) et, j’ajouterais, malgré la loi 96. Voilà la réalité qui nous est maintenant lancée en pleine face.

L’anglais, de plus en plus 
la « langue commune » 
dans la région de Montréal

Ceux qui niaient le déclin du français au Québec étaient forcés, soit, comme Michel C. Auger, de se rabattre sur la « connaissance des langues officielles », soit sur les transferts linguistiques des allophones vers le français (en hausse légère sur la période 2001-2016, mais toujours largement insuffisants) pour prétendre que tout allait bien. Mais surprise ! En 2021, ces deux paramètres ont reculé par rapport aux données de 2016 ; la connaissance des langues officielles est passée de 94,5 % en 2016 à 93,7 % en 2021, une baisse de 0,8 point et le premier recul enregistré depuis au moins 1991. 

Et, chose notable, alors que la connaissance de l’anglais par les francophones (langue maternelle) poursuit sa hausse (à 42,2 % en 2021), la connaissance du français par les anglophones recule, passant de 68,8 % à 67,1 %. On assiste donc maintenant à une augmentation significative de l’unilinguisme anglais au Québec. Il s’agit d’un autre retournement de tendance séculaire.
Il s’agit là de signes indubitables voulant que la « langue commune » qui est en train de s’établir dans la région de Montréal est de plus en plus l’anglais. 

Un processus 
de « minorisation-assimilation »

Mais il y a pire : les transferts linguistiques des francophones vers l’anglais ont également augmenté de façon importante entre 2016 et 2021, passant de 30 000 à 41 000 dans la région métropolitaine de Montréal (calcul de Charles Castonguay). Et il s’agit là d’un effectif « net », c’est-à-dire qu’aux transferts des francophones vers l’anglais sont soustraits les transferts des anglophones vers le français. 

Hausse de l’unilinguisme anglais, hausse du bilinguisme chez les francophones, déclin des transferts linguistiques des allophones vers le français, hausse des transferts linguistiques des francophones vers l’anglais, on assiste à l’enracinement de plus en plus solide d’un processus de « minorisation-assimilation » au Québec. 

Dans l’imaginaire québécois, la menace de l’assimilation a longtemps été un des pôles qui charpentait la psyché collective. Cette menace, cependant, semblait lointaine, irréelle et ne s’était jamais concrétisée (au Québec). Cela a donné naissance à l’idée de la « permanence tranquille », de « l’éter-nité » du Québec, l’idée que peu importe les vicissitudes de l’histoire, les reculs et les défaites, le Québec français allait perdurer pour toujours. Le Québec n’avait ainsi pas besoin de se battre, d’agir politiquement et de peser pour choisir et infléchir son destin, il survivrait quand même. Voilà le ressort psychologique sur lequel repose le refus de choisir et la passivité des Québécois sur ces questions. 

Mais nous assistons en direct à l’écroulement du mythe de la permanence tranquille. Le Québec français est maintenant engagé, fermement, dans un processus d’assimilation-minorisation. Le déni n’est non seulement plus possible, il est toxique. Nos élites politiques pour la plupart (sauf au Parti Québécois, soulignons-le) semblent incapables de prendre la pleine mesure du drame qui est en train de se dérouler sous nos yeux. On le constate, par exemple, avec la décision frivole et irresponsable de M. Legault d’exclure l’application des clauses scolaires de la Charte de la langue française au niveau collégial ou bien avec son double jeu en immigration (le Québec n’ayant, de toute son histoire, jamais accueilli autant d’immigrants qu’il ne le fera en 2022). Nos élites se comportent comme si nous étions encore dans les années quatre-vingt-dix. Par inconscience, irresponsabilité ou lâcheté, elles continuent de se réfugier dans l’illusion de l’éternité.