Pendant que le gouverneur de New York Eliot Spitzer payait une « escorte » 4 300 $ dans une chambre d’hôtel à Washington, à quelques pas de là, le nouveau président du conseil d’administration de la Réserve fédérale américaine nommé par George Bush, Ben Bernanke, remettait secrètement, lors d’un rendez-vous galant d’un autre genre, plus de 200 milliards aux spéculateurs de l’industrie bancaire du marché hypothécaire.
Les deux gestes étaient licencieux, pervers et vils. Mais il y a une différence énorme entre les deux. Le gouverneur Spitzer utilisait son carnet de chèques personnel. Bernanke, l’homme de Bush, utilisait le nôtre.
Le Sheriff de Wall Street
Cette semaine, pour la première fois de son histoire, la Réserve fédérale de Bernanke a avancé à une coterie sélecte de banques la coquette somme d’un cinquième de trillion de dollars pour garantir à ces banques les hypothèques adossées à des actions de pacotille. Ce pillage des fonds publics constituait une bouée en or pour ces mêmes banquiers prédateurs qui ont conduit deux millions de familles au bord de la faillite.
Jusqu’à ce mercredi 12 mars, il n’y avait qu’un seul et unique politicien qui se tenait en travers de la route de ce servile petit transfert de fonds au bordel des banquiers : Eliot Spitzer.
Le lynchage de Spitzer et l’enrichissement des banquiers sont intimement liés. Comment? On n’a qu’à suivre la trace de l’argent.
Les médias ont gobé l’interprétation de Wall Street selon laquelle des millions de familles américaines vont perdre leur résidence parce qu’elles ont acheté des maisons qu’elles ne pouvaient se payer ou parce qu’elles ont contracté des emprunts trop gros pour leur porte-feuille. C’est complètement faux. C’est faire porter le blâme à la victime.
Le fonctionnement des « sub-primes »
Voici ce qui s’est produit. Depuis l’arrivée de Bush au pouvoir, une nouvelle sorte de prêt est devenu la norme : l’hypothèque avec une « sub-prime » et ses variantes dont des prêts avec de faibles taux d’intérêt « introductoires ».
Venant de nulle part, une entreprise nommée « Countrywide » est devenue la principale entreprise prêteuse d’hypothèques, possédant jusqu’à un prêt hypothécaire résidentiel sur cinq, dont une bonne partie d’entre eux sont de la catégorie « sub-prime ».
Voici comment cela fonctionne. La famille Belhumeur, dont les revenus se situent dans la moyenne des revenus des familles américaines, contractent une hypothèque de 200 000 $ à un taux de 4% pour deux ans. Le paiement de 955 $ par mois représente 25% de leur revenu. Jusqu’ici, il n’y a pas de problème. Leur banquier leur a promis une nouvelle hypothèque, encore une fois à très bas taux, dans deux ans.
Mais, au bout de deux ans, il s’avère que la promesse ne tient plus et les Belhumeur sont sommés de foutre le camp, parce que leur maison vaut désormais moins que leur hypothèque. Désormais, l’hypothèque est à un taux de 9% ou 1 609 $ plus les frais pour rembourser la « ristourne » qu’ils ont obtenue deux ans auparavant. Soudainement, les paiements représentent de 42% à 50% de leur revenu avant impôt. Les Belhumeur doivent emménager dans leur Toyota.
Qui sont ces familles américaines aux prises avec les « sub-prime »? Voici un indice : 73% des emprunteurs des familles noires et hispaniques à haut revenu ont obtenu des prêts avec des « sub-prime » alors que c’est le cas pour seulement 17% des familles blanches à revenu similaire. Ce n’est pas que les emprunteurs à la peau foncé sont stupides. C’est qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Ils étaient orientés comme on dit dans le milieu des requins de l’industrie hypothécaire.
Bush et les « sub-primes »
« L’orientation », les prêts usuraires avec des « sub-prime », les encouragements trompeurs à sur-emprunter, des prêts caractérisés de « transferts frauduleux » ou « prêts prédateurs » d’après la loi américaine, tout cela était totalement interdit jadis (sous l’administration Clinton et antérieurement) par la réglementation fédérale et considéré par les législations des États comme rien d’autre que la forme fantaisiste de prêts consentis par des requins de la finance.
Mais avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush, Countryside et ses banques sœurs ont reçu le feu vert pour orienter, flouer, encaisser et reprendre.
Mais il y avait ce fatigant de casseux de party de Spitzer. Le ministre de la Justice de l’État de New York Eliot Spitzer poursuivaient ces gars-là jusqu’à les faire tomber. Ou, du moins, il cherchait à le faire.
Plutôt que de réglementer les activités des banques délinquantes, les fonctionnaires de Bush sont partis en guerre contre Spitzer et les États qui voulaient mettre un terme à ces pratiques prédatrices. Dans un geste sans précédent, ils ont utilisé les dispositions légales du gouvernement fédéral pour ordonner aux États de ne pas appliquer les lois de protection des consommateurs.
En fait, les fonctionnaires fédéraux ont intenté une action légale pour bloquer les enquêtes de Spitzer sur de sales manœuvres hypothécaires à caractère racial. Les amis banquiers de Bush étaient particulièrement énervés du fait que Spitzer s’attaquait aux pratiques bancaires à travers le pays en utilisant les lois de l’État de New York.
Le bal des requins
Spitzer ne s’en prenait pas seulement à Countrywide, mais également à ceux qui rendaient ces activités possibles parmi les banquiers. Derrière Countrywide, se trouvait le Requin mère, son fondateur et son propriétaire, la Bank of America.
D’autres s’étaient joints au festin. Goldman Sachs, Merrill Lynch et Citigroup’s Citibank avaient fait du prêt hypothécaire usuraire leurs principaux centres de profit par le biais d’un certain nombre de tours de passe-passe financiers appelés « sécuritization ».
Cela signifie qu’ils ont pris une série de prêts hypothécaires de pacotille, comme ceux de la famille Belhumeur, et les ont ré-emballés dans des « tranches » d’actions qu’ils ont estampillés « AAA » – la cotation la plus élevée – par les agences de cotation d’obligations. Cette « merde » peinte en or a été vendue comme des investissements sûrs à des fonds de pension de districts scolaires américains et de municipalités jusqu’en Finlande.
Lorsque la bulle immobilière a éclaté et que la peinture s’est écaillée, les investisseurs se sont retrouvés avec les excréments et les banquiers avec les bénéfices. Cette année, le principal dirigeant de Countrywide, Angelo Mozilo, touchera une prime de 77 millions $ en plus du 656 millions $ qu’il a tiré de l’entreprise entre 1998 et 2007.
Mais la rumeur courait que le party tirait à sa fin. Des régulateurs mécontents, des investisseurs floués et le poids de millions de maisons devant être placardées étaient en train de noyer les requins. L’action de Countrywide avait perdu 50% de sa valeur et celle de Citigroup avait chuté de 38%, ce qui n’était pas pour plaire aux cheiks du Golfe qui en sont maintenant les détenteurs du plus gros bloc d’action.
Puis, ce mercredi 12 mars, l’impensable est arrivé. Le groupe Carlyle Capital a fait faillite. Le groupe Carlyle avec James Baker comme principal conseiller. Avec des partenaires passés et présents aussi prestigieux que George Bush, la famille de Ben Laden et plus de dictateurs, de potentats, de pirates et de présidents que vous pouvez en compter.
La Réserve fédérale se devait d’agir. Bernanke a ouvert la voûte et a jeté 200 milliards aux pieds des pauvres petits banquiers. Ils ont mis la main dans le Trésor public et ont pu conserver la maison des Belhumeur. Aucune famille n’a reçu d’aide, mais aucun banquier n’a été laissé sur la touche.
Toutes les opérations hypothécaires prédatrices ont augmenté de valeur. L’action de Countrywide de Mozillo a bondi de 17% en une journée. Les cheiks de la Citi ont vu leur bloc d’actions s’enrichir de 10 milliards $ au cours d’un après-midi.
Le Sheriff se fait descendre
Et le même jour que fut décidé ce sauvetage – le hasard fait bien les choses – l’homme qu’on surnommait le Sheriff de Wall Street se faisait passer les menottes. Spitzer était réduit au silence.
Est-ce que je pense que les banques ont appelé le ministère de la Justice en disant : « Débarrassez nous en aujourd’hui! ». Non ! Ce n’est pas de cette façon que le système fonctionne. Mais les gros joueurs savaient qu’à moins que Spitzer soit retiré du chemin, il ferait suffisamment de tapage pour gâcher le party. Les manchettes de la presse financière – une d’entre elles titrait : « Wall Street déclare la guerre à Spitzer » – indiquaient clairement aux fonctionnaires du ministère de la Justice de Bush qui devait être leur cible numéro un. Et ce n’était pas Ben Laden.
C’est le 13 février au soir lorsque Spitzer a fait son choix stupide faire venir un repas dans sa chambre d’hôtel à Washington. Il venait tout juste de finir ce texte pour le Washington Post à propos des prêts prédateurs.
« Non seulement, écrivait-il, l’administration Bush n’a rien fait pour protéger les consommateurs, mais elle s’est engagée dans une campagne agressive sans précédent pour empêcher les États de protéger leur population contre les problèmes devant lesquels le gouvernement fédéral se fermait les yeux. »
Bush, écrivait Spitzer dans le titre de l’article, est « partenaire de crime de ces prêteurs prédateurs ». Le Président, déclarait Spitzer, fuit la justice. Et Spitzer était à Washington pour lancer une campagne contre l’administration Bush et les plus importantes puissances financières de la planète.
Spitzer écrit : « Lorsqu’on racontera l’histoire de la crise des prêts des ‘‘subprime’’ et décrira ses effets dévastateurs sur les vies de plusieurs propriétaires de maison innocents, l’administration Bush ne sera pas jugé d’un œil favorable. »
Mais, l’administration Bush peut se rassurer, son histoire d’amour avec les banquiers ne sera pas racontée, maintenant que le Sheriff de Wall Street est tombé sur son fusil.
(Traduction : l’aut’journal)
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