L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) vient de rendre public un Manifeste intitulé « Pour un système public, libérons-nous du privé ».
Au moment où ces lignes sont écrites, l’ASSÉ affirme sur son site Internet que le manifeste a été endossé par « plus de 1 200 citoyennes et citoyens ainsi que par 74 organisations sociales représentant plus de 200 000 personnes issues des mouvements des femmes, étudiant et communautaire, d’organismes de défense des droits sociaux, de l’immigration, de lutte à la pauvreté, pour le droit au logement ainsi que de certains groupes politiques ».
Tous ces groupes appellent à participer à une manifestation nationale le 26 mars prochain.
Le Manifeste dénonce « les intérêts et la logique du privé dans les institutions publiques » et revendique « un investissement public massif dans les services publics ». Il exige « que soit rétablie la primauté de l’être humain sur les profits » et que soit « expulsé l’entreprise privée des instances décisionnelles » et qu’on établisse « un processus démocratique participatif et prendre en main notre destin collectif ».
Tout cela est fort bien. Mais on se demande pourquoi le Manifeste ne fait aucunement mention de la place du privé dans notre système d’éducation. On se serait attendu de la part d’une association étudiante - surtout de celle qui se proclame la plus radicale du mouvement étudiant - qu’elle s’élève hardiment contre le fait que le Québec soit le seul endroit en Amérique du Nord où fleurit un réseau d’institutions privées grassement subventionnées, officiellement à hauteur de 60%, mais encore plus généreusement lorsqu’on tient compte des fondations privées de ces écoles dont les donateurs profitent d’importantes déductions fiscales.
Et ce réseau n’est pas marginal. Au Québec, plus de 20% des élèves du secondaire fréquentent l’école privée. À Montréal, c’est plus de 30%, soit presqu’un élève sur trois.
De plus en plus d’observateurs font un lien direct entre l’écrémage des écoles publiques par les écoles privées et le taux de décrochage scolaire spectaculaire au Québec. Dans sa chronique du 10 février intitulé « L’école à deux vitesses », Michel David du Devoir établit un lien entre le fait que pour 100 décrocheurs en Ontario, le Québec en compte 137 en rappelant que « dans la province voisine, le taux de décrochage scolaire a connu une baisse spectaculaire au cours des dernières années, tandis qu’il monte en flèche ici. »
Citant l’exemple d’une enseignante ayant œuvré dans les deux systèmes, Michel David mentionne qu’elle avait « réalisé qu’à Toronto, où l’école privée n’est pas subventionnée par l’État, tout le monde ou presque envoyait ses enfants à l’école publique, alors que le tiers des élèves montréalais, ceux qui en ont les moyens et qui sont jugés suffisamment performants, fréquentent maintenant l’école privée ».
Michel David a raison de mentionner la sélection effectuée par les écoles privées sur la base de la richesse. Dans 86 % des écoles privées, les revenus des parents sont supérieurs à 60 000 $. Ils sont inférieurs à ce montant dans 75 % des écoles publiques.
Il faut ajouter à cela que, pour rivaliser avec l’école privée, l’école publique y va de son propre programme de sélection avec le développement de projets particuliers. Nous nous retrouvons dans les faits avec une école à trois vitesses : écoles privées, écoles publiques avec projets particuliers et écoles publiques « normales ». Ces dernières se retrouvent évidemment avec une proportion toujours plus importante d’élèves en difficulté ou avec des problèmes de comportement dans leurs classes. Ce qui, bien entendu, nuit à la réussite scolaire et favorise le décrochage.
Au réseau des écoles privées au secondaire s’ajoute également un réseau de collèges privés qui accueille environ 15% des élèves.
Avec ces faits en tête, on comprend que la revendication, par ailleurs fort légitime, des associations étudiantes pour la gratuité scolaire universitaire afin d’éviter que soient exclus les étudiants n’ayant pas les ressources financières pour poursuivre leurs études est incomplète.
On peut et on doit lutter contre la sélection à l’université, mais cette lutte est entachée par le fait que la principale sélection a été faite à l’école secondaire par le biais du réseau privée qui a tamisé les étudiants en fonction des revenus de leurs parents.
Que Michel David du Devoir - le journal de l’élite québécoise - s’attaque à ce tabou est un indicateur d’une certaine prise de conscience des conséquences désastreuses de l’existence du réseau privé sur l’ensemble de notre système d’éducation.
On se serait attendu à ce que l’association étudiante la plus radicale et la plus revendicative s’empare de cette question et en fasse le cœur de son Manifeste qui se veut une défense du secteur public.
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