PotashCorp. : le Saguenay-Lac-Saint-Jean se souvient d’Alcan

2010/11/09 | Par Maude Messier

Le gouvernement fédéral annonçait la semaine dernière qu’il interdisait l’acquisition de PotashCorp. par la multinationale BHP Billiton, une transaction qui n’allait pas dans le sens des intérêts du Canada, selon le ministre de l’Industrie, Tony Clement.

Une nouvelle qui ressasse de bien mauvais souvenirs pour la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, alors qu’en 2007, Rio Tinto faisait l’acquisition du géant canadien de l’aluminium Alcan pour 38,1 milliards $.

Joint par l’aut’journal, le député de Jonquière à l’Assemblée nationale, Sylvain Gaudreault, est scandalisé. « Je n’en reviens pas. En 2007, Jean Charest et Raymond Bachand [alors ministre du Développement économique] n’avaient pas levé le petit doigt dans le dossier d’Alcan. Je suis d’autant plus étonné que le premier ministre ait appuyé la Saskatchewan contre la vente de PotashCorp. »

En référence aux 13 députés conservateurs sur 14 sièges en Saskatchewan, le député de Jonquière estime que le gouvernement Harper prend des décisions politiques « à géométrie variable », plus en fonction de ses intérêts électoralistes que dans les intérêts du Canada.

Il convient toutefois que le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, a fait un travail politique et stratégique remarquable. « Lui, il s’est tenu debout jusqu’au bout. En 2007, il n’y a eu ni motion, ni appui d’aucune autre province pour empêcher la vente d’Alcan ou, à tout le moins, imposer de véritables garanties. »

Jean-Marc Crevier, représentant régional FTQ, se souvient que les efforts n’ont pourtant pas été ménagés de ce côté, les TCA et la FTQ multipliant les interventions politiques à Québec et à Ottawa, tout comme auprès des élus régionaux, mais en vain.

« Le gouvernement du Québec a dormi au gaz là-dessus. En plus, disons qu’on n’a pas eu la même attention du gouvernement fédéral dans le dossier de l’Alcan. Deux poids deux mesures. »


Litige autour des ressources naturelles

La vente avortée de PotashCorp. et, surtout, la mobilisation et la pression politique dans le dossier font jaser au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pourquoi n’y a-t-il pas eu cette même volonté politique pour contrer la vente d’Alcan?

La réponse qui a mis le feu aux poudres est venue du ministre délégué aux Ressources naturelles et à la Faune, Serge Simard, également ministre fédéral responsable de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

« On ne peut comparer les deux débats puisque l’une des entreprises fait de la production alors que l’autre concerne uniquement les ressources naturelles », affirmait-il dans Le Quotidien la semaine dernière, précisant que cette ressource naturelle – la potasse – est un élément structurant pour la Saskatchewan.

« C’est honteux. De Shipshaw à Alma, le lit de la rivière Saguenay appartient à des intérêts étrangers australiens, ce ne sont pas des ressources naturelles, ça? », s’insurge le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault.

Il note le changement de discours de M. Simard depuis son passage à la présidence de la conférence régionale des élus (CRÉ) de 2006 à 2008, alors qu’il multipliait les interventions publiques pour dénoncer le fait que le gouvernement ait « passé par-dessus la région » pour négocier les garanties qui liaient Rio Tinto et le gouvernement du Québec dans la transaction.

Jean-Marc Crevier est tout aussi stupéfait des déclarations de M. Simard. « On n’a aucune main mise sur des décisions prises au bout du monde, les gens d’ici ne décident rien. Chose certaine, pour produire de l’aluminium, ça prend beaucoup d’électricité. C’est sûr qu’ils ne partent pas avec les barrages, mais de l’hydroélectricité, il y en a pas mal dans les lingots d’aluminium par exemple. »

2 000 mégawatts d’hydroélectricité selon Jean-Marc Crevier, soit des milliards de dollars en énergie au bénéfice d’intérêts étrangers. « Et ce sera plus encore, entre 3 000 et 4000 mégawatts au terme de la modernisation. »


Des bénéfices pour qui?

L’affaire PotashCorp. met en lumière les aberrations de la vente d’Alcan à la multinationale anglo-australienne. Alain Gagnon, président du Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida (SNEAA), constate que les minces garanties obtenues par le gouvernement Charest au moment de la transaction ne valent pas grand-chose aujourd’hui.

« Trois ans après, les gens se réveillent. Ça fait longtemps qu’on le dit, nous autres, que ça n’avait pas de bon sens. »

Certes, il y a bien eu des investissements de capitaux neufs pour la construction de la nouvelle usine AP-50, une nouvelle turbine à Péribonka et le maintien du siège social à Montréal, mais ces investissements ne se traduiront pas en bénéfices directs pour la région.

Alain Gagnon explique que la modernisation des installations diminuera les besoins de main-d’œuvre. De 1 794 employés, il n’en restera que 750 en 2012. Même si ces postes sont éliminés par attrition, ce sont autant d’emplois bien rémunérés qui disparaissent de la région.

Si le développement de la deuxième et de la troisième transformation est envisagé par certains comme une voie de développement économique, les intentions de Rio Tinto à ce sujet sont on ne peut plus claires : c’est hors de question. La multinationale se concentre exclusivement sur la production d’aluminium primaire au Québec.

Voir les ressources naturelles du Québec profiter unilatéralement aux intérêts étrangers font grincer des dents à plusieurs. « Si je peux me permettre le parallèle, c’est la même chose avec le gaz de schiste. On livre nos ressources aux multinationales étrangères, on n’en retire que des pinottes et nos gouvernements sont complices de ces politiques-là », s’insurge Alain Gagnon.

À son avis, l’affaire PotashCorp. n’est que partie remise. « En 2004, BHP s’apprêtait à acheter Rio Tinto avant même qu’elle n’est acquis Alcan. Avec l’augmentation de la valeur de l’aluminium et la reprise économique à prévoir d’ici quelques années, c’est sûr que ce dossier-là va nous revenir au Québec. »


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