Immigration : Arrêtons la rhétorique !

2024/04/17 | Par Anne Michèle Meggs

Un référendum sur « l’immigration ». Rapatrier tous les pouvoirs en « immigration ». « L’immigration » est une menace à la Nation. « L’immigration » est la source de la pénurie du logement et des difficultés d’accès aux services, de l’itinérance. Il y a trop « d’immigration » et c’est toute la faute d’Ottawa!

Arrêtons ! Arrêtons la rhétorique, la démagogie et la chasse aux boucs émissaires. Rappelons-nous que « l’immigration » représente des êtres humains. De simples gens, dont la vaste majorité ont été autorisés, même recrutés, par le Québec pour venir étudier, travailler et parfois s’établir en permanence chez nous.

Le Québec autorise préalablement à leur arrivée toutes les personnes qui obtiennent leur résidence permanente sur son territoire. Il décide combien obtiendront ce statut chaque année et selon quels critères.

Le Québec a autorisé les deux tiers des permis d’études et de travail délivrés au Québec en 2023 et la proportion et le nombre de ces permis n’ont cessé d’augmenter depuis dix ans.

Le Québec n’a jamais mis de plafond sur le nombre de ces permis. Le Québec a plutôt concentré ses efforts de recrutement à l’étranger sur les travailleuses et travailleurs « temporaires », souvent en leur faisant miroiter la possibilité d’obtenir la résidence permanente.

Il a misé fortement surtout sur le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET) et, en particulier, sur le volet bas-salaire pour répondre aux demandes des employeurs. Il s’en sert afin de pourvoir des postes permanents, et non temporaires. En collaboration avec le fédéral, le gouvernement du Québec a facilité l’embauche dans le cadre de ce programme. Il a permis que beaucoup des postes vacants ne soient même pas affichés localement et il a augmenté le pourcentage des effectifs autorisés pour une entreprise.

Ce programme a été qualifié de « terrain fertile pour les formes contemporaines d’esclavage », en septembre dernier, par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage de l’Organisation des Nations unies.

L’année dernière, en dépit de moult témoignages critiques, lors des consultations sur les niveaux d’immigration, la ministre Christine Fréchette a refusé d’inclure le nombre d’autorisations de permis d’études et de travail dans la planification pluriannuelle.

On peut décoder des déclarations récentes que les négociations en cours entre la ministre et son homologue fédéral, Marc Miller, portent notamment sur les mesures administratives à mettre en place en vue d’assurer le consentement du Québec sur des permis de travail délivrés dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI).

Si de telles négociations réussissent, ce sera une bonne nouvelle. Il s’agira d’une correction à une situation malheureuse créée, il y a au moins dix ans, et cela permettra au Québec de contrôler l’ensemble des arrivées liées à un séjour temporaire d’études ou de travail ou visant l’établissement permanent. Ce ne sera pas un « rapatriement » de pouvoirs. Il s’agira plutôt d’une reconnaissance tardive d’une responsabilité du Québec déjà prévue dans l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991. Aucun besoin de « rouvrir » ou « d’élargir » l’Accord.

De plus, le ministre Miller a annoncé qu’il a l’intention, à partir de cet automne, d’inclure les permis temporaires dans la planification des niveaux d’immigration canadienne. Le Québec n’aura pas d’autre choix que de suivre l’exemple et d’intégrer cet élément, lors des consultations de l’année prochaine, dans sa propre planification.

Il faut néanmoins comprendre que la croissance du nombre de personnes arrivant au Québec de l’étranger dans les dernières années découle en grande partie de la décision du gouvernement du Québec de ne pas exercer le même niveau de contrôle sur les permis d’études et de travail du PTET que celui qu’il prétend exercer sur le nombre de nouveaux visas de résidence permanente.

Le premier ministre Legault, tout comme le premier ministre Trudeau, se sont tout récemment réveillés et rendus compte qu’il y a trop de personnes à statut temporaire sur leurs territoires respectifs. Ils semblent être surpris! M. Legault, comprend-il que non seulement il y en a trop, mais qu’en focalisant sur les postes à bas salaire, sa politique met ces travailleuses et travailleurs dans des situations de haute vulnérabilité et nuit sérieusement à l’économie du Québec, au PIB par habitant et à la productivité? Qu’elle mine la réputation du Québec sur la scène internationale?

Plusieurs questions se posent. Quels critères le gouvernement du Québec appliquera-t-il en vue d’abaisser le nombre de personnes à statut temporaire et pourquoi a-t-il attendu la pression du fédéral avant de commencer à le faire avec les programmes qu’il contrôle déjà? Comment va-t-il expliquer aux employeurs qu’ils ne pourront plus compter sur le même niveau de cheap labour de l’étranger que dans les dernières années? Combien de permis seront accordés dans le cadre du PMI, et combien recevront le consentement du Québec? Comment la ministre va-t-elle intégrer l’année prochaine le contrôle des permis temporaires dans la planification pluriannuelle des niveaux d’immigration?

D’autre part, quelles portes s’ouvriront avec le plein contrôle de ces permis par le Québec? Il faut penser au-delà du nombre. De nouveaux critères pourront s’appliquer, surtout des critères linguistiques. Le Québec pourra-t-il concevoir ses propres programmes temporaires comme il le fait déjà avec des programmes permanents? Avec des programmes plus adaptés aux besoins culturels, linguistiques, sociaux et économiques particuliers du Québec.

Petite parenthèse : je n’aborderai pas ici tout le dossier des demandes d’asile. J’en ai couvert plusieurs aspects dans ma chronique du mois de mars. Le nombre de ces demandes est de plus en plus imprévisible et difficile à dompter. J’ajouterai cependant que plus on admet de personnes avec un statut temporaire, plus on ouvre la porte aux demandes d’asile. Surtout si les permis temporaires n’offrent pas un chemin évident vers la résidence permanente.

S’assurer que la majorité des personnes arrivent au Québec avec un statut permanent éliminerait bien des aspects du chaos actuel. Les procédures seraient plus simples; l’accueil et les services linguistiques et d’intégration seraient plus efficaces; la planification serait plus facile et juste. Les gens qui arrivent vivraient plus en sécurité et la population d’accueil verrait que tout le monde y gagne.

Il est évident que les études internationales méritent d’être encouragées. L’embauche de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires permet de répondre aux besoins spécifiques du marché du travail à court terme et aux engagements internationaux. Les familles ont besoin d’être ensemble et nous avons nos responsabilités face à une situation humanitaire mondiale en crise.

Il est temps que nous mettions de côté la rhétorique, la démagogie et la partisanerie et que nous nous concentrions sur ces réalités. En attendant l’indépendance, qui semble encore éloignée, il faut se servir de l’autonomie que le Québec peut déjà exercer, qui est quand même significative, pour accueillir des gens qui choisissent de se joindre à nous d’une manière qui reflète la vraie nature, pleine d’ouverture, du peuple québécois.