Immigration temporaire : réformes fédérales en vue

2024/01/19 | Par Anne Michèle Meggs

« Trudeau a bâclé la montée de l'immigration. » « Nous avons conçu notre propre politique, nous l'avons élaborée, nous l'avons mise en œuvre, et nous avons quand même réussi à foirer. » « Nous sommes tombés dans le piège démographique. »

Qui a lancé la nouvelle année avec ces jugements si lucides sur la politique d’immigration du gouvernement fédéral? Nul autre que les économistes en chef des plus grandes banques au Canada!

Oui. Ça a pris du temps pour l’élite financière du Canada d’émerger si ouvertement et à l’unisson avec leurs critiques. Leur constat : « La décision du premier ministre Justin Trudeau d’augmenter considérablement l’immigration – et de permettre un afflux de travailleurs temporaires et d’étudiants internationaux – sans fournir un soutien adéquat a créé une longue liste de problèmes économiques, notamment une inflation plus élevée et une faible productivité. » On pourrait ajouter les conséquences sur la qualité de vie (PIB par habitant), sur la disponibilité et le prix du logement, ainsi que sur plusieurs services publics qui roulent déjà au maximum.

Si je recourais à ma langue maternelle, je dirais que la m**de a finalement frappé le ventilateur proverbial.

Le débat public s’ouvre à tout le pays

Au Québec, on est des champions du débat public sur l’immigration. Il s’agit d’un enjeu électoral pour certains partis et pour les médias (moins pour l’électorat) depuis presque vingt ans. Il y a des consultations publiques formelles obligatoires à l’Assemblée nationale tous les 3 ou 4 ans sur les orientations gouvernementales dans le domaine. L’année dernière, les consultations ont donné lieu à une planification de seulement deux ans, ce qui veut dire que les consultations reprendront l’année prochaine.

Mais, au Canada anglais, il y a toujours eu un certain malaise à critiquer publiquement la politique d’immigration fédérale. Plus maintenant. On a compris que critiquer la politique d’immigration n’est pas la même chose que critiquer l’immigration tout court. Espérons que cela demeure le cas.

Pour ajouter l’insulte à l’injure, au cours de la même semaine de rentrée en janvier, on a appris que le gouvernement a été averti par ses fonctionnaires il y a deux ans des effets néfastes potentiels sur le logement et les services d’une augmentation trop rapide des niveaux d’immigration. De plus, les sondages montrent que l’électorat canadien a également commencé à faire le lien entre immigration, logement et services publics et souhaite un ralentissement du rythme des arrivées et qu’elle tient le gouvernement fédéral entièrement responsable des ratés.

Des enjeux pour le Québec

Qu’est-ce que ce réveil veut dire pour le Québec? Une grande vigilance à l’égard de la réaction du fédéral à ces constats, critiques et sondages.

Avec le changement de ministre fédéral en juillet dernier, on s’attendait déjà à une évolution dans le discours. Les murmures critiques avaient commencé; les études économiques scientifiques négatives apparaissaient dans les grands médias canadiens.

En novembre, le ministre Miller a démarré avec une série d’annonces. D’abord, la « stabilisation » autour de 500 000 admissions permanentes en 2025 et 2026. Il a également commencé à s’attaquer à certains aspects de l’immigration temporaire.

Si le rôle prédominant du Québec dans la sélection et dans l’établissement des volumes de l’immigration permanente est reconnu et respecté, la situation est tout autre quand il s’agit de l’immigration temporaire.

Couper dans l’immigration temporaire

Il y a essentiellement quatre sources d’immigration temporaire – les permis d’études, deux programmes de permis de travail – le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité international (PMI) – et les demandeurs d’asile.

Demandeurs d’asile

Le contrôle des frontières, et donc l’admission des demandeurs d’asile qui se présentent aux frontières, est de juridiction fédérale. Ce constat est reconnu dans l’Accord Canada-Québec sur l'immigration et l’admission temporaire des aubains. La seule façon d’exercer un certain contrôle sur le nombre de demandeurs d’asile est par les visas d’entrée. Les mesures proposées par le fédéral à ce jour sont très vagues et ne semblent pas pointer vers un resserrement.

Permis d’études

L’éducation est en principe de juridiction exclusivement provinciale. Au Canada anglais encore plus qu’au Québec, l’augmentation de l’immigration temporaire est poussée à la hausse par les permis d’études. Quoi de plus facile pour le fédéral que de rediriger le blâme pour les hausses d’immigration vers les provinces? Il le fait déjà pour les problèmes de pénurie de logements et le prix des maisons.  

Plusieurs ballons d’essai ont été lancés pour abaisser le nombre d’étudiantes et d’étudiants internationaux au Canada, la plupart venant jouer dans les plates-bandes des provinces. Le fédéral pourrait insister pour que les collèges et universités s’assurent du logement pour chaque inscription internationale acceptée, établir des critères pancanadiens pour la désignation des établissements d’enseignement ayant le droit d'accueillir les jeunes de l’étranger (ce sont les provinces qui désignent actuellement ces établissements), faire sa propre validation des lettres d’admission aux programmes d’études (peut-être pertinent dans les autres provinces, mais pas au Québec où le MIFI délivre les CAQ-études), et même mettre un plafond sur le nombre de permis d’études qui seront délivrés (aucun détail sur comment le ministère de l’Immigration fédéral répartirait ces permis si convoités).

Le monde postsecondaire au Québec et au Canada pourrait être sérieusement bouleversé par toutes ces mesures. Toutes les provinces ont réduit leur financement des établissements d’enseignement postsecondaire les rendant particulièrement dépendants des frais de scolarité exorbitants associés aux études internationales. Aucun indice que le fédéral compenserait cette perte de revenu. Si les provinces rouspètent ou si les négociations s’étirent, pas grave. Elles deviennent des boucs émissaires pour une bonne partie des hausses d’immigration.

Travailleurs étrangers temporaires

Enfin, en ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires, le Québec a accepté une interprétation très restrictive de l’Accord. Tout en reconnaissant qu’en « vertu de l’Accord Canada-Québec, le Québec est responsable de la sélection des candidats souhaitant s’établir sur son territoire à titre permanent ou temporaire », le Guide des procédures d'immigration sur l’immigration temporaire du MIFI affirme que le Programme de mobilité internationale « est sous la responsabilité́ exclusive du gouvernement du Canada. » Le MIFI n’intervient donc que dans le PTET en se prononçant sur l’évaluation d’impact sur le marché du travail et en délivrant un CAQ-travail aux personnes embauchées dans le cadre de ce programme.

Le premier ministre Legault réclame depuis des années les pleins pouvoirs sur l’immigration. Il pourrait commencer avec la revendication de consentir aux travailleurs étrangers temporaires admis dans le cadre du PMI. Ce pouvoir est d’autant plus critique que le nombre de permis délivrés par le fédéral dans le cadre de ce programme est le plus élevé des trois programmes. Pour les onze premiers mois de 2023, 55% des permis de travail délivrés au Québec ont échappé au contrôle du gouvernement québécois.

Les mesures proposées par le fédéral pour le PTET et le PMI auront aussi des conséquences sur l’immigration au Québec. Certaines toucheront les règles qui s’appliquent aux employeurs québécois qui veulent embaucher de l’étranger et d’autres pourraient créer encore plus de dédoublements dans la gestion des programmes, notamment dans les services aux employeurs et dans les contrôles visant la protection des travailleuses et travailleurs.

Prise de contrôle de l’ensemble de l’immigration temporaire

Avec l’approche des élections au fédéral, le gouvernement Trudeau va chercher par tous les moyens possibles de démontrer qu’il est capable de contrôler l’immigration au pays ou de trouver des boucs émissaires quand il devient clair que les résultats rapides sont impossibles.

Cela va prendre une grande vigilance de la part du gouvernement du Québec et un plan pour maintenir et étendre son contrôle de l’immigration temporaire. Un plan studieusement évité lors des consultations l’année dernière sur les orientations en matière d’immigration.